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samedi 27 novembre 2010

Le Conte de l’Oasien

Le conte de l'Oasien est également connu sous le nom de "conte du paysan". Cette histoire du "tel est pris qui croyait prendre" à une portée bien plus importante que ne le laisse supposer une première lecture. Ce conte a une connotation philosophique voire théologique. En effet les suppliques du paysans ne sont ni plus ni moins que les préceptes de base des croyances égyptiennes que l'on invoque à travers Maât.
Ce conte date d'une ère spéciale de l'Egypte antique ; la première période intermédiaire. Celle-ci est de courte durée lorsque l'on se projette dans le temps. Elle n' aura durée que 150 à 200 ans. C'est l'époque de la valse des rois, une quarantaine durant ce laps de temps ! La cause probable en est vraisemblablement le manque de repères de tout un peuple. Le roi laisse gouverner des nomarques davantages interessés par leurs biens que celui de leurs administrés. La corruption et l'arbitraire sont le pain quotidien d'un peuple qui n'aspire qu'à une vie meilleure. Plus tard Esope, Jean de la Fontaine et bien d'autres se feront l'écho, bien malgré eux, de cette fable où le pauvre n'a d'autre choix que de plier devant le riche. La longue sinusoïde du temps nous rappelle que tout n'est qu'un éternel recommencement...
Ce conte nous est parvenu grâce à quatre papyrus dont le plus ancien daterait d'Amenemhat III (1842-1797 av. J.-C.).
Le texte ci-dessous est très largement inspiré du livre de Michel Laporte "11 contes de l’Egypte ancienne" édité chez Flammarion en 2005.

Le texte en hiéroglyphe présenté par Jenny Carrington : texte

II y avait autrefois, à l'ouest du Nil, un paysan qui avait pour nom Kevna. Il vivait avec sa femme Gwemehtoues et ses enfants, une petite maison entouré par des champs lui apportant une maigre récolte.
Un jour, il dit à sa femme :
- Je m'en vais descendre en Égypte pour en rapporter de quoi nous faire vivre. Va donc voir au silo ce qu'il nous reste d'orge.

La femme y alla et revint en disant :
- Il y en a tout juste huit boisseaux !

Kevna mesura ce dont il avait besoin comme provisions pour le voyage. Il s'en alla préparer ses ânes et les charger de toutes sortes de produits qu'il emportait pour les vendre : des roseaux, du natron, du sel, du bois, des peaux de panthères et des fourrures de loups venant du désert voisin, ainsi qu'une grande quantité de plantes sèches et de graines aromatiques diverses qu'on cultivait dans l'oasis.
Ayant bien embrassé sa famille, Kevna se mit en route. Alors qu'il était arrivé à proximité d'une grande ville, il tomba sur un homme qui se tenait sur la digue. C'était Mahou, un fermier du grand intendant Adjib, lui-même fils de Ounennefer.
Quand il vit arriver les ânes et surtout ce qu'ils portaient, Mahou songea : « Quel moyen pourrais-je bien trouver pour m'emparer de ce que transporte ce paysan? »
Or, dans les parages de la maison de Mahou, le chemin longeait le canal. La chaussée n'était pas large, et d'un côté il y avait l'eau, de l'autre un champ d'orge. Alors Mahou ordonna à un de ses domestiques :
- Cours à la maison et rapportes-en une pièce de toile !

Le domestique fit l'aller-retour en un clin d'œil et Mahou étala la toile en travers du chemin; d'un côté elle frôlait l'eau, de l'autre elle empiétait presque sur l'orge.
Le paysan, quand il voulut passer, ne le put pas. D'autant que Mahou lui lança :
- Fais attention! Ne piétine pas mon étoffe!
- Je n'en ai pas l'intention, répliqua le paysan.
- Et ne t'avise pas non plus de piétiner mon orge !

Un peu exaspéré, le paysan répondit :
- Tu occupes la chaussée avec ton linge et ton orge empiète sur le chemim ! Tu veux donc empêcher les braves gens de passer ?

En même temps qu'il parlait, un des ânes, plus gourmand que ses collègues, arracha une touffe d'orge en herbe.
Aussitôt, Mahou commença à se plaindre comme si on l'avait assassiné :
- Voilà qu'à présent tes bêtes ravagent ma récolte! C'est exprès que tu les as menées ici, pour leur faire dévorer mon orge. Mais tu ne vas pas t'en tirer comme ça !
Et sans laisser au malheureux paysan le temps de réagir, l'autre prit une branche de tamaris et se mit à le frapper tandis que ses domestiques emmenaient les ânes et leur chargement dans sa maison.

Quand les coups cessèrent enfin de pleu­voir, Kevna reprit ses esprits et s'écria : - Je sais qui est le propriétaire de ce do­maine : c'est le grand intendant Adjib. Est­ce que je vais être battu et volé sur ses terres alors qu'il est censé faire régner la justice dans toute la région ?
Mais Mahou fit celui qui n'entendait pas et rentra à son tour dans sa maison sans rien répondre.
Alors Kevna cogna du poing contre la porte en réclamant ses ânes et tout ce qu'ils transportaient. Mais, dans la maison, ce fut comme si on ne l'entendait pas.
Pendant six jours, il resta ainsi à prier et supplier qu'on lui restitue son bien. En vain. Alors, de guerre lasse, il fit route vers la ville pour demander au grand intendant que justice lui soit faite.
Il le rencontra devant sa maison, alors qu'il descendait au fleuve où l'attendait son bateau. L'ayant salué comme il se devait, Kevna lui dit :
- Seigneur, je viens à toi me plaindre car je suis la victime ...
Le grand intendant l'interrompit d'un geste.
- Je n'ai pas le temps de t'entendre maintenant, dit-il. Adresses-toi à mon adjoint et exposes-lui ton cas en détail. Il m'en fera part à mon retour et demain, à l'audience, je pourrai juger en toute connaissance de cause.

Kevna raconta donc ses malheurs à l'adjoint qui, à son tour, les répéta à son maître. Un peu embarrassé d'apprendre qu'un de ses fermiers était en accusation, Adjib décida de prendre conseil auprès de ses amis et relations.
C'étaient tous des notables qui lui répon­dirent sans se mouiller.
- Avec ces paysans, on ne peut jamais être sûr de rien, dit l'un. Qui te dit qu'il y avait bien des ânes et des marchandises ?
- Ils sont toujours à se chicaner pour des broutilles, dit un autre. Le mieux à faire, c'est de les ignorer !
- Tu ne vas pas punir ton fermier pour un peu de natron et quelques graines ! dit un autre. A la rigueur, demande-lui de dédommager le paysan, si tu le juges nécessaire. Le grand intendant les écouta sans rien répondre.
Le lendemain matin, Kevna se pré­senta devant lui et dit :
- Seigneur, embarque-toi sur le lac paisible de la justice : le vent te sera propice, ta voile ne sera pas déchirée ni ton mât brisé, tu ne craindras ni les courants ni l'accostage brutal, et même les poissons, qui pourtant sont craintifs, viendront au-devant de toi ! Car tu es un père pour l'orphelin, un mari pour la veuve, un frère pour la femme abandonnée, un manteau pour celui qui n'a rien à se mettre ! Rends-moi justice, ô guide vénéré entre tous ! Détruis le mensonge, donne vie à la vérité, anéantis le mal ! Ainsi ton renom restera-t-il inégalé dans le pays !...

Kevna continua sur le même ton et dans le même style jusqu'à la fin de la mati­née, sans même prendre le temps de boire un peu d'eau pour se rafraîchir la gorge.
Impressionné par son bagout, l'intendant finit tout de même par le couper pour lui dire qu'il réfléchirait à son cas. Puis il alla trou­ver le pharaon.
- Mon seigneur, j'ai rencontré un paysan incroyablement beau parleur. Je suis persuadé que ses propos amuseraient beaucoup Votre Majesté.
- Si tu le penses, répondit le roi, fais-le lanterner en sorte qu'il puisse parler tout son saoul. Puis que ses paroles nous soient rapportées par écrit afin que nous les entendions. Veille cependant à ce que sa femme et ses enfants ne manquent de rien, car il est probable que, s'il est venu en Égypte, c'est parce qu'il n'avait plus rien à manger chez lui. Et fais-lui porter discrètement du pain et de la bière, sans qu'il sache que c'est toi qui le nourris.

Le grand intendant fit comme Sa Majesté l'avait demandé et, le lendemain, Kevna comparut une deuxième fois devant lui.
- Seigneur, dit-il, quand tu rends la justice, tu es pareil au fil à plomb, pareil au gouvernail que tient une main ferme : tu ne dévies pas d'un pouce. Mais vois, tu as dans ta maison tout ce qui est nécessaire à la vie, le pain et la bière n'y manquent pas. Pourquoi ceux qui sont à ton service auraient-ils besoin de plus ? Si tu laisses commettre l'injustice, toi qui es un homme juste et intègre, quel exemple ce sera pour les fripons ! Celui qui doit donner le souffle peut-il rester au sol en ayant perdu la respiration ? Celui qui doit montrer le chemin des lois peut-il cautionner le vol ? Corriger ne prend qu'un moment, alors que le mal dure longtemps !
Tel qu'il était lancé, le paysan aurait sûre­ment continué de la même sorte jusqu'à la nuit tombante. Le moment vint, pourtant, où le grand intendant jugea qu'il en avait assez entendu. Sans dire un mot, il se leva et quitta la salle d'audience. Kevna fut bien obligé de se taire.

Mais, le lendemain, il comparut pour la troisième fois.
- Tu es fort et ton bras puissant, mais ton cœur est celui d'un rapace qui ne connaît rien de la pitié ! dit-il. Tu mènes la barque de la justice sans porter ton regard vers l'avant et elle va à la dérive. Si le guide qui voyait est devenu aveugle, si, alors qu'il entendait, il est devenu sourd, alors ce guide ne guide plus ceux qui se confient à lui, il les égare !

Kevna continua ainsi de parler et de parler jusqu'à ce que, brusquement, le grand intendant en eût assez de l'entendre. Il fit signe à deux gardes qui se saisirent du paysan, l'entraînèrent dehors et, devant la porte de la maison, lui administrèrent une solide volée de coups de bâton. Kevna s'en alla en clopinant et en se frictionnant les reins, ce qui ne l'empêcha pas, le lendemain, de comparaître pour la quatrième fois.
- Combien de temps encore feras-tu l'aveugle et le sourd en ignorant mon affaire ? Si tu ne réponds pas au bien, tu encourages le mal ! Ne prends pas une chose pour une autre en confondant l'honnêteté et la rapine, la bonne foi et le mensonge ! Car si tu méprises le bon droit, alors le mal prospérera comme la mauvaise herbe favorisée par la pluie ...

Une fois encore il parla en abondance jusqu'au moment où, levant les yeux, il vit que l'intendant fronçait les sourcils. Instruit par l'expérience de la veille, il décida de s'en tenir là et, s'interrompant d'un coup, s'en alla.
Mais le lendemain matin, de très bonne heure, il revint se plaindre pour la cinquième fois. Il n'eut toutefois pas besoin d'aller jusque chez le grand intendant : il le rencontra alors qu'il sortait du temple.
- Me voilà bien surpris de te voir sortir du temple, s'écria-t-il, alors que l'injustice étend son aile sur tout le pays que tu régentes ! Mais peut-être es-tu venu prendre modèle sur Thot, lui qui juge sans jamais pencher ni d'un côté ni de l'autre ? Crois-moi, tu ferais bien de te rappeler que la justice nous suit dans l'éternité : elle descend au tombeau avec celui qui la pratique. Il va sous la terre, le juste, mais son nom n'est jamais effacé et on se souvient de lui à cause du bien qu'il a fait. C'est probablement cette règle que tu es venu entendre dans les paroles prononcées par le dieu.

Le grand intendant savait Kevna capable de parler de la sorte jusqu'à l'heure du déjeuner, et même au-delà. Mais, ce matin-là, il n'était pas d'humeur à l'entendre. Il se dépêcha donc de rentrer chez lui et fit refermer la porte après son passage.
Le paysan fut bien obligé de s'en aller et d'attendre au lendemain pour présenter sa sixième supplique.
- Cinq fois déjà je me suis adressé à toi pour te soumettre mon cas, dit-il, et cela n'a servi à rien. Vais-je donc y passer tout mon temps, jusqu'à la fin de mes jours ? Ne frustre pas un pauvre du peu qu'il possède, un homme dont tu sais qu'il trime dur pour assurer sa subsistance et celle des siens. Ces quelques biens que je réclame sont le souffle vital du miséreux que je suis. Sans eux, la vie m'échappe et celui qui me les vole m'étouffe aussi sûrement que s'il me serrait le cou de ses mains ! Toi, tu as été désigné pour juger entre les parties, pour poursuivre le criminel, pour punir le brigand éhonté ! Mais tu ne fais rien d'autre que soutenir le voleur parce qu'il est de ta maisonnée ! Oh ! que la confiance de celui qui t'a nommé juge est mal placée, mainte­nant que tu es passé du côté des scélérats ! C'est comme bâtir une digue pour protéger l'innocent de la noyade et le précipiter ensuite à l'eau ...

Avec sa faconde habituelle, Kevna se plaignit encore pendant un long moment. Ce qu'il ne savait pas, c'est que ses paroles étaient mises par écrit comme l'avaient été celles qu'il avait prononcées depuis cinq jours. Ainsi l'avait demandé le roi. Caché derrière un rideau, un scribe invisible entendait tout et le transcrivait, chaque jour, sur un rouleau neuf de papyrus.
Si bien que le lendemain, quand Kevna reparut dans la salle d'audience, le scribe tenait prêt un rouleau pour y noter la septième supplique du paysan.
- Mon seigneur, chaque jugement prononcé, s'il résulte d'une enquête impartiale faite par le juge, annihile l'effet du mensonge, ouvre la voie à la vérité, crée le bien et détruit le mal ! Comme la satiété vient remplacer la faim, l'eau étancher la soif, l'habit voiler la nudité, le feu chasser la sensation de froid, le soleil dissiper les nuages après la tempête, ainsi la bonne justice vient-elle apaiser le cœur des plaignants honnêtes qui lui font confiance ! Mais le malheur veut que le juge pactise avec le voleur ! Que le jardinier laisse inonder son terrain par le mensonge et le faux témoignage afin qu'y prospèrent le vol et les appropriations frauduleuses ! Ranime-toi ! Ne sois pas lent ni indécis, agis vigoureusement en vue de faire justice à la plainte que j'ai déposée.
Une fois de plus, le grand intendant laissa le paysan parler sans l'interrompre. Cela dura et dura jusqu'à ce que le plaignant comprenne qu'il n'obtiendrait pas gain de cause ce jour­là. Alors il se tut et s'en alla.

Ce qui ne l'empêcha pas, le lendemain, de présenter une huitième supplique.
- La stabilité du pays, dit-il, repose tout entière sur la justice. Toi qui en es la balance, ne perds pas l'équilibre ! Car si tu penches, elle penchera aussi. Ne sois pas léger dans tes décisions, car elles sont lourdes de conséquences. Cherche à connaître la vérité. Sois maître de ce que tu choisis et de ce que tu décides. Ne néglige aucune affaire car ce serait risquer de la rendre pire. Sois bienveillant quand un homme fait appel à toi pour juger sa juste cause, mais pense que l'indulgence envers le mauvais ne profite qu'au mauvais. Et dis-toi que ta nonchalance te perdra, toi qui lambines quand il faudrait agir, qui hésites et fais traîner les choses en longueur quand une prompte décision s'impose !...

Appliquant les consignes royales, le grand intendant le laissa, une fois encore, parler autant qu'il le voulut. Malgré lui, il ne put s'empêcher de penser qu'il avait vu juste et que Kevna était réellement un cas. Car, comme il n'obtint pas de réponse ce jour-là, il se présenta au tribunal le lendemain pour y exposer sa neuvième supplique.
- Des voleurs, des brigands, des pillards, voilà ce que sont devenus ceux qui avaient été désignés pour réprimer le mal ! Tu ne fais pas exception à la règle ! Tu as des terres à la campagne, tu es grandement logé grâce à ta fonction, tu puises ta nourriture dans le grenier public, mais tous ces avantages ne te suffisent pas. Pour se faire entendre de toi, il faut venir en apportant des cadeaux ! Tu devrais être le calame, le rouleau de papyrus, la palette de Thot, mais je vois qu'on ne peut pas compter sur toi pour rendre la justice. Cette fois, j'ai compris que je perds mon temps : je t'adresse une supplique et tu ne l'écoutes pas. Je vais donc aller supplier Anubis à ton sujet.

Sur quoi le paysan tourna les talons et sortit sans rien ajouter. Aussitôt, le grand intendant envoya deux gardes pour le faire reve­nir sur ses pas. En les voyant, Kevna se dit qu'on allait le punir pour l'audace des discours qu'il avait prononcés. Il aurait certes préféré s'en aller, mais il ne put faire autre­ment que de suivre les gardes.
De retour dans la salle d'audience, il y trouva le scribe qui, depuis le début de l'affaire, avait noté toutes ses paroles. Le grand inten­dant semblait tout à fait détendu et avait le sourire. Il s'empressa de rassurer Kevna :
- N'aie pas peur! Je ne te veux aucun mal car je ne suis pas aussi injuste que tu le prétends. Je veux simplement que tu écoutes ce que cet homme a écrit et que tu me dises s'il s'agit bien des propos que tu as tenus.
Le scribe donna lecture des rouleaux de papyrus sur lesquels il avait tout consigné.

Kevna l'écouta attentivement puis déclara que c'était bien, mot pour mot, ce qu'il avait dit.
Le grand intendant fit alors porter les papyrus au palais royal, à l'intention de Sa Majesté. Le roi fut très content de les recevoir et, sans plus attendre, il demanda qu'on lui en fasse la lecture.
Il passa la nuit presque entière à les écouter, fort amusé qu'il fut par l'aplomb du paysan et par sa volubilité. Finalement, dès qu'il fut parvenu à la fin de la dernière supplique, il fit expédier au grand intendant ce message :
- Décide toi-même en conscience de la façon dont tu veux terminer l'affaire de ce paysan.

Alors, le grand intendant envoya deux de ses gardes et son adjoint chez Mahou pour qu'ils établissent un inventaire détaillé de ses biens et qu'ils le ramènent devant le tribunal.
Les serviteurs s'exécutèrent et revinrent avec une très longue liste. Y figuraient, outre six domestiques attachés au service du fer­mier, de grandes provisions d'orge et d'épeautre, des légumes séchés, du gros et du petit bétail - y compris des cochons. Y figu­raient aussi un grand nombre d'ânes et diverses marchandises telles que des roseaux, du natron, du sel, du bois, des peaux de pan­thères et des fourrures de loups, des plantes et des graines aromatiques ...
Le grand intendant demanda sèchement à Mahou :
- Comment se fait-il que tu sois en pos­session d'un aussi grand nombre d'ânes ? Et d'où te viennent toutes ces marchandises? Il n'est pas courant de les trouver chez un fer­mier !

Mahou fut embarrassé pour répondre. Il avait bien inventé un vague mensonge, pour le cas où on lui demanderait des comptes. Mais il pensait que l'affaire se traiterait avec un petit fonctionnaire ou même un simple garde, et qu'il n'aurait pas trop de peine à les embobiner ou à les corrompre. Mais se trou­ver face au grand intendant était une autre histoire. D'autant qu'il avait tout de suite compris, à sa mine sévère, que ce dernier n'était pas disposé à avaler des menteries. Pour ne pas aggraver son cas, il préféra ne rien répondre et se jeta à plat ventre dans la poussière en criant :
- Pitié !

Le grand intendant fit alors saisir Mahou par ses gardes qui lui administrèrent une solide bastonnade. C'était bien son tour! Il fut ensuite décidé que tous ses biens seraient confisqués et donnés au paysan, à sa femme et à ses enfants. Et, comme il fallait bien que Mahou puisse travailler pour gagner sa pitance, le grand intendant le mit au service de Kevna. Ainsi ; jour après jour, en travaillant la terre, dans l'oasis du Sel, l'ancien fermier indélicat put méditer sur les risques qu'il y a à se montrer malhonnête dans un pays où la justice est rendue selon le droit.