OEUVRES MORALES
DU TRAITÉ D'ISIS ET D'OSIRIS.
Plutarque
Traduit du grec par Amyot, Grand-aumônier de France
Chez Janet et Cotelle, Librairies,
Rue Neuve des Petits-Champs N° 17,
1819
DU TRAITÉ D'ISIS ET D'OSIRIS.
Plutarque
Traduit du grec par Amyot, Grand-aumônier de France
Chez Janet et Cotelle, Librairies,
Rue Neuve des Petits-Champs N° 17,
1819
Texte intégral
Sommaire
I. Introduction. II. Étymologie des mots Isis et Typhon. III. En quoi consiste la vertu des prêtres Isiaques. IV. Leur accoutrement. V. Leur abstinence de vin. VI. De poisson. VII. Frugalité des anciens Égyptiens. VIII. Mystérieux dans le nom de leurs divinités. IX. Les plus sages de la Grèce étudient la doctrine des Égyptiens. X. Explication de divers hiéroglyphes. XII. Moyen d'éviter la superstition. XIII. Histoire mythologique d'Isis et d'Osiris : origine de ces divinités. XIV. Voyage d'Osiris, sa mort. XV. Isis cherche son mari. XVI. Nourrit l'enfant qu'il avoit eu de Nephté. XVII. Est admise à la cour du roi de Byblus, en sort et trouve le corps de son mari. XVIII. Usages des Égyptiens dans leurs festins. XIX. Le corps d'Osiris est partagé en quarante parties par Typhon : Isis les recueille et leur donne autant de sépultures. XX. Osiris apparaît à son fils Orus qui fait Typhon prisonnier. XXI. Vrai lieu de la sépulture d'Osiris. XXII. Première explication de cette histoire mythologique qui est toute appliquée à de grands hommes déifiés. XXIII. Seconde explication où tout est appliqué aux démons. XXIV. Opinion des anciens philosophes sur les démons. XXVI. Digression sur Sérapis. XXVIII. Continuation de la seconde explication. XXIX. Troisième explication tirée des causes physiques. XXXI. Digression sur la ressemblance d'Osiris et de Bacchus. XXXIII. Continuation de la troisième explication. XXXVI. Digression sur les explications allégoriques des stoïciens. XXXVII. Quatrième explication tirée des observations astronomiques. Époque de la mort d'Osiris. XXXVIII. Cinquième explication fondée sur l'observation des éclipses. XL. Jugement de Plutarque sur ces explications. XLI. Exposition de la doctrine des deux principes. XLVII. Sixième explication tirée de la doctrine des deux principes. XLVIII. Hiéroglyphes de Typhon. XLIX. D'Osiris. L. Fêtes égyptiennes. LII. Continuation de la sixième explication. LVII. Manière d'expliquer les fables. LVIII. Continuation de la sixième explication. LXII. Récapitulation de la sixième explication. LXIII. Elle réunit les avantages de toutes les autres. LXIV. Se concilie avec l'universalité du culte des divinités égyptiennes. LXV. Arrête les progrès de l'idolâtrie. LXVI. Opinion des plus sages païens sur la divinité. LXVII. Manière d'interpréter les cérémonies religieuses. LXVIII. On ne doit parler des dieux qu'avec respect. LXIX. Ressemblance des fêtes grecques et égyptiennes. LXX. Superstition de différents peuples. LXXI. Manière dont elle s'établit. LXXIII. Conduit à l'athéisme. LXXIV. Animaux sacrés chez les Égyptiens : raisons du culte qui leur a été rendu. LXXVIII. Superstition des Égyptiens comparée à celle des Grecs. LXXIX. Opinion de Plutarque sur le culte rendu aux animaux. LXXX. Raison des vêtements d'Isis et d'Osiris d'après la sixième explication. LXXXII. Ce qui nous empêche de comprendre ici-bas cette sixième explication. LXXXIII. Parfums en usage chez les Égyptiens.
D'ISIS ET D'OSIRIS.
I. Les hommes sages, ô Clea, doivent en leurs prieres demander tous biens aux dieux, mais ce que plus nous desirons obtenir d'eux, c'est la cognoissance d'eux mesmes, autant comme il est loisible aux hommes d'en avoir, pource qu'il n'y a don ne plus grand aux hommes à recevoir, ne plus magnifique et plus digne aux dieux à donner, que la cognoissance de verité : car dieu donne aux hommes toutes autres choses dont ils ont besoing, mais celle là il la retient pour luy mesme et s'en sert, et n'est point bienheureux pour posseder grande quantité d'or ny d'argent, ny puissant pour tenir le tonnerre et la foudre en sa main, mais bien pour sa prudence et sapience : et est une des choses qu'Homere a le mieux et le plus sagement dictes, en parlant de Jupiter et de Neptune,
Ils sont tous deux de mesme extraction,
Et tous deux nez en mesme region,
Mais Jupiter en est le fils aisné,
Et de sçavoir plus grand que l'autre orné.
Il afferme que la preference et precedence de Jupiter estoit plus venerable et plus digne en ce qu'il estoit plus sçavant et plus sage. Et quant à moy j'estime que la beatitude et la felicité de la vie eternelle, dont Jupiter jouit, consiste en ce qu'il n'ignore rien, et que rien de tout ce qui se fait ne le fuit : et pense que l'immortalité, qui en osteroit la cognoissance et intelligence de tout ce qui est et qui se fait, ne seroit pas une vie, mais un temps seulement.
II. Pourtant pouvons nous dire, que le desir d'entendre la vérité est un desir de la divinité, mesmement la verité de la nature des dieux, dont l'estude et le prochas de telle science est comme une profession et entrée de religion, et œuvre plus saincte que n'est point le veu et l'obligation de chasteté, ny de la garde et closture d'aucun temple : et si est davantage très agreable à la deesse que tu sers, attendu qu'elle est très sage et très sçavante, ainsi comme la derivation mesme de son nom nous le donne à cognoistre, que le sçavoir et la science luy appartient plus qu'à nul autre, car c'est un mot Grec que Isis : et Typhon aussi l'ennemy et adversaire de la deesse, enflé et enorgueilly par son ignorance et erreur, dissipant et effaceant la saincte parole, laquelle la deesse rassemble, remet sus et baille à ceux qui aspirent à se deifier par une continuelle observance de vie sobre et saincte, en s'abstenant de plusieurs viandes, et se privant du tout des plaisirs de la chair, pour reprimer la luxure et l'intemperance, et en s'accoustumant de longue main à supporter et endurer dedans les temples des durs et penibles services faicts aux dieux : de toutes lesquelles abstinences , peines et souffrances, la fin est la cognoissance du premier, principal et plus digne object de l'entendement, que la deesse nous invite et convie à chercher, estant et demeurant avec elle. Ce que mesme nous promet le nom de son temple, qui s'appelle Ision, c'est à sçavoir l'intelligence et cognoissance de ce qui est : comme nous promettant, que si nous entrons dedans le temple et religion de la deesse sainctement et ainsi qu'il appartient par raison, nous aurons intelligence de ce qui y est. Davantage plusieurs ont escrit qu'elle est fille de Mercure, les autres de Prometheus, dont on repute l'un inventeur et autheur de sapience, et de provoyance, et l'autre de la grammaire et de la musique.
III. Voilà pourquoy en la ville de Hermoupolis ils appellent la premiere des Muses, Isis et Justice tout ensemble, comme estant sçavante, ainsi qu'il a esté dit ailleurs, et monstrant à ceux qui à bonnes enseignes sont surnommez religieux, et portans habits de saincteté et de religion, et ce sont ceux qui portent et enferment en leur ame, comme dedans une boette, la saincte parole des dieux pure et nette, sans aucune curiosité ne superstition, et qui de l'opinion qu'ils ont des dieux, en declarant aucunes choses obscurcies et ombragées, et les autres toutes claires et ouvertes, comme encore leur habit sainct le monstre. Et pourtant ce que lon habille ainsi de ces habits saincts les religieux Isiaques, après qu'ils sont trespassez, est une marque et un signe qui nous tesmoigne, que ceste saincte parole est avec eux, et qu'ils s'en sont allez de ce monde en l'autre sans emporter autre chose que ceste parole : car porter longue barbe, ou se vestir d'une grosse cappe, ne font point le philosophe, dame Clea : aussi ne font pas les vestements de lin, ny la tonsure ou rasure, les Isiaques, ains est vray Isiaque celuy, qui après avoir veu et receu par la loy et coustume les choses qui se monstrent, et qui se font ès cerimonies de ceste religion, vient à rechercher et diligemment enquerir par le moyen de ceste saincte parole et discours de raison, la verité d'icelles.
IV. Car il y en a bien peu entre eux qui entendent et sçachent pour quelle cause ceste petite cerimonie, qui est la plus commune, s'observe, pourquoy les presbtres et religieux d'Isis rasent leurs cheveux, et portent vestemens de lin : et y en a les uns qui du tout ne se soucient pas d'en rien sçavoir, les autres disent qu'ils s'abstienent de porter habillement de laine, ne plus ne moins que de manger de la chair des moutons par reverence qu'ils leur portent, et qu'ils font raser leurs testes en signe de deuil, et qu'ils portent habillements de lin à cause de la couleur qu'a la fleur du lin quand il florit, ressemblant proprement au celeste azur qui environne tout le monde. Mais à la verité il n'y en a qu'une cause certaine, car il n'est pas loisible que l'homme net et monde touche chose aucune qui soit immonde : or toute superfluité de nourriture et tout excrement est ort et immonde, et de telles superfluitez s'engendrent et se nourrissent la laine, le poil, les cheveux et les ongles : si seroit chose digne de mocquerie, que ès sanctifications et celebrations des divins offices ils ostassent tout leur poil, en rasant et polissant uniement tout leur corps de toutes superfluitez, et qu'ils vestissent et portassent les superfluitez des bestes : et fault estimer que quand le poete Hesiode escrivoit,
Ny au festin d'un public sacrifice
Offert aux dieux tu ne seras si nice,
Que de rongner les ongles d'un cousteau,
Couppant le sec d'avec la verte peau :
Il ne nous vouloit pas enseigner que pour faire festes et bonnes cheres il falloit estre propre et net, mais bien se nettoier et se purger de telles superfluitez, en traittant les choses sainctes, et faisant le service des dieux. Or le lin naist de la terre, qui est immortelle, et produit tout fruict bon à manger, et nous fournit dequoy faire robbe simple, sobre et nette, qui ne charge point de sa couverture celuy qui la porte, et convenable à toute saison de l'année, joinct qu'elle n'engendre point de poux nullement, ainsi que lon dit, dequoy il faudroit discourir ailleurs. Mais les presbtres baissent tant la nature de toutes superfluitez, que pour cela non seulement ils refusent à manger toutes sortes de legumages, et entre les chairs celles des brebis et moutons, et celles des porcs, d'autant qu'elles engendrent beaucoup d'excremens, ains aussi ès jours et œuvres de sanctification, ils commandent d'oster mesme le sel des viandes, tant pour plusieurs autres causes et raisons, que pour ce qu'il aiguise l'appetit, et nous provoque à boire et à manger davantage : car de dire ce que disoit Aristagoras : que le sel est par eux reputé immonde, pour autant que quand il se congele plusieurs petits animaux qui se treuvent pris dedans y meurent, c'est une sottise. On dit mesme qu'ils ont un puis à part, de l'eau duquel ils abbreuvent leur beuf Apis, et qu'ils l'engardent en toute sorte de boire de l'eau du Nil, non qu'ils reputent l'eau du Nil immonde à cause des Crocodiles qui sont dedans, comme quelques uns estiment : car au contraire il n'y a, il rien que les Ægyptiens honorent tant qu'ils font le fleuve du Nil, mais il semble qu'elle engraisse trop, et engendre trop de chair : or ne veulent ils pas que leur Apis soit par trop gras, ny eux aussi, ains veulent que leurs ames soient estayées de corps legers, habiles et dispos, et non pas que la partie divine qui est en eux soit opprimée et accablée par le poid et la force de celle qui est mortelle.
V. En la ville de Heliopolis, qui est à dire la ville du Soleil, ceux qui servent à dieu ne portent jamais du vin dedans le temple, comme n'estant pas convenable qu'ils boivent de jour à la veuë de leur seigneur et leur roy, et ailleurs les presbtres en boivent, mais bien peu, et ont plusieurs purgations et sanctifications où ils s'abstienent totalement de vin, èsquels jours ils ne font autre chose que vacquer à estudier, à apprendre et enseigner les choses sainctes : les roys mesmes n'en buvoient que jusques à certaine mesure, ainsi qu'il estoit prescript en leurs escriptures sainctes, et commancerent à en boire au roy Psammitichius, au paravant duquel ils n'en buvoient du tout point, et n'en offroient point aux dieux, estimans qu'il ne leur estoit pas aggreable, pour ce qu'ils pensoient que ce fust le sang de ceux qui jadis feirent la guerre aux dieux, duquel meslé avec la terre, après qu'ils furent renversez, elle produisit la vigne : c'est pourquoy, disoient ils, ceux qui s'enyvrent perdent l'entendement et l'usage de la raison, comme estans remplis du sang de leurs predecesseurs. Eudoxus escrit au second de sa geographie, que les presbtres d'Ægypte le disent et le tienent ainsi.
VI. Quant aux poissons de mer tous ne s'abstiennent pas de tous, mais les uns d'aucuns, comme les Oxyrinchites de ceux qui se prennent avec l'hameçon : car d'autant ils adorent le poisson qui se nomme Oxyinchos, qui est à dire bec-aigu, ils ont doubte que l'hameçon ne soit immonde, si d'aventure le poisson Oxyrinchos l'auroit avallé : et les Syenites le phagre, car il semble qu'il se trouve alors que le Nil commance à croistre, et qu'il leur en signifie la croissance quand il apparoit, dont ils sont fort joyeux, le tenans pour un certain messager, mais les presbtres s'abtienent de tous : et là où le neufieme jour du premier mois tous les autres habitans de Ægypte devant la porte de leur maison mangent de quelque poisson rosty, les presbtres n'en tastent aucunement, mais bien en bruslent ils devant leurs maisons, ayans deux sortes de paroles, l'une saincte et subtile, laquelle je reprendray encore en cest endroit comme estant conforme et convenable à ce que lon discourt sainctement touchant Osiris et Typhon, l'autre vulgaire, grossiere et exposée à tout le monde, qui est representée par le poisson, lequel n'est viande ny necessaire, ny rare et exquise ainsi que tesmoigne Homere, quand il ne fait les Phæaciens qui estoient gens delicats, et aimans à delicieusement vivre, ny ceux d'Ithace hommes insulaires, mangeans en leurs festins du poisson, non pas les gens mesmes d'Ulysses par tout le temps de leur navigation qui fut si longue et par la mer, jusques à ce qu'ils furent reduits à l'extreme necessité : brief ils estiment que la mer ait esté produitte par le feu sortant hors des bornes de la nature, n'estant ny partie naturelle, ny element du monde, ains chose estrangere, superfluité corrompue, et maladie contre nature : car il n'y avoit rien de fabuleux, ny hors de raison, ny de superstitieux , comme aucuns cuydent faulsement, qui servist de note et de signe en leurs sainctes cerimonies, ains estaient toutes marques qui avoient quelques causes et raisons morales et utiles à la vie, ou bien qui representoient quelque notable histoire, ou bien quelque deduction naturelle, comme ce que lon dit touchant un Crommyus : car de dire ce que le commun en raconte, que le nourrisson d'Isis nommé Dictys, tomba dedans la riviere du Nil et s'y noya, s'estant pris à des oignons, il n'y a apparence quelconque : mais les presbtres haïssent et abominent l'oignon, ayant observé que jamais il ne croit et ne grossit bien, et jamais ne florit sinon au decours de la lune, et qu'il n'est convenable ny à ceux qui veulent jeuner et mener saincte vie, ny à ceux qui veulent celebrer festes, aux uns pource qu'il apporte la soif, aux autres pource qu'il fait plorer ceux qui en mangent : pour ceste mesme cause reputent ils la truye beste immonde, d'autant qu'elle se fait couvrir ordinairement au masle quand la lune commance à defaillir, et que de ceux qui en boivent du laict, la peau jette hors ne sçay quelle sorte de lepre et d'asperitez, (qui ressemblent au mal de sainct Main ) : et quant au propos que disent ceux qui une fois en leur vie sacrifient une truye, et puis la mangent, que Typhon poursuyvant une truye, estant la lune au plein, il rencontra un bûcher de bois, dedans lequel estoit le corps d'Osiris, et qu'elle le renversa et esboula, il y a peu de gens qui l'approuvent , estimans que ceste fable a esté mise en avant par gens qui avoient mal ouy et n'avoient pas bien entendu que cela vouloit dire, comme plusieurs autres contes semblables.
VII. Mais on tient que les anciens ont eu par le passé en si grande haine et si grande abomination les delices, la superfluité et volupté, qu'ils disent que dedans le temple de la ville de Thebes y avoit une coulonne quarrée, sur laquelle estoient engravées des maledictions et execrations à l'encontre du roy Minis, qui fut le premier qui destourna et retira les Ægyptiens d'une vie simple et sobre, sans argent et sans richesses : et dit on aussi que Techhatis le pere de Borchoris en une guerre qu'il eut à l'encontre des Arabes, comme son bagage fust demouré derriere, et n'eust peu arriver à temps, souppa d'une pauvre viande la premiere qu'il peut trouver, et puis se coucha sur une paillasse, là où il dormit toute la nuict d'un très profond sommeil, à raison dequoy tousjours depuis il aima la sobrieté de vie, et maudit ce roy Minis : ce que luy ayants loué les presbtres de son temps, il feit engraver lesdictes maledictions et execrations sur la coulonne.
Or les roys s'elisoient ou de l'ordre des presbtres, ou de l'ordre des gens de guerre, pour ce que l'un ordre estoit honoré et reveré pour la vaillance, et l'autre pour la sapience : et celuy qui estoit esleu de l'ordre des gens de guerre, incontinent après son election estoit aussi receu en l'ordre de presbtrise, et luy estoient communiquez et descouverts les secrets de leur philosophie, qui couvroit plusieurs mysteres soubs le voile de fables, et soubs des propos qui obscurement monstroient et donnoient à veoir à travers la verité, comme eux mesmes donnent taisiblement à entendre, quand ils mettent devant les portes de leurs temples des Sphynges , voulans dire que toute leur theologie contient, soubs paroles enigmatiques et couvertes , les secrets de sapience.
VIII. Et en la ville de Sais l'image de Pallas, qu'ils estiment estre Isis, avoit une telle inscription, « Je suis tout ce qui a esté, qui est, et qui sera jamais, et n'y a encore eu homme mortel qui m'ait descouverte de mon voile ». Davantage plusieurs estiment que le propre nom de Jupiter en langue Ægyptienne soit Amoun, et que nous en grec en ayons derivé ce mot Ammon, dont nous appellons Jupiter Ammon : mais Manethon qui estoit Ægyptien de la ville de Sebenne estime que ce mot signifie caché ou cachement : et Hecatheus natif de la ville d'Abdere dit, que les Ægyptiens usent de ce mot quand ils se veulent entre-appeller l'un l'autre, pour ce que c'est une diction vocative : et pour autant qu'ils estiment que le prince des dieux soit une mesme chose que l'univers qui est obscur, caché et incogneu, ils le prient et convient à se vouloir manifester et donner à cognoistre à eux , en l'appellant Amoun.
IX. Voilà donc comment les Ægyptiens estoient reservez et retenus à ne point profaner leur sapience, en publiant trop ce qui appartient à la cognoissance des dieux, ce que tesmoignent mesme les plus sages et plus sçavans hommes de la Grece, Solon, ThaIes, Platon, Eudoxus, Pythagoras, et comme quelques-uns ont voulu dire, Lycurgus mesme, qui allerent de propos deliberé en Ægypte pour en communiquer avec les presbtres du païs : car on tient que Eudoxus ouit Chonoupheus qui estoit de Memphis, et Solon Sonchis qui estoit de Sais, et Pythagoras Oenupheus qui estoit de Heliopolis : ce dernier Pythagoras fut fort estimé d'eux, et luy aussi ce semble les estima beaucoup, tellement qu'il voulut imiter leur façon mystique de parler en paroles couvertes, et cacher sa doctrine et ses sentences soubs paroles figurées et enigmatiques : car les lettres que lon appelle hieroglyphiques en Ægypte, sont presque toutes semblables aux preceptes de Pythagoras : « Comme, ne manger point sur une selle, ne se seoir point sur un boisseau, ne planter point de palmier, n'attizer point le feu avec une espée en la maison».
X. Et me semble que ce que les Pythagoriens appellerent l'unité Apollon, et le deux Diane, le sept Minerve, et Neptune le premier nombre cubique, ressemble fort à ce qu'ils consacrent, qu'ils font et qu'ils escrivent en leurs sacrifices, car ils paignent leur roy et leur seigneur Osiris par un œil, et un sceptre, et y en a qui interpretent le nom d'Osiris, ayant plusieurs yeux, pour ce que os en Ægyptien signifie plusieurs , et iris œil : et le ciel, comme ne vieillissant point à cause de son eternité, par un cœur, ayant dessoubs une chaufferette de feu, qui est la marque de courroux. Et en la ville de Thebes y avoit des images de juges, qui n'avoient point de mains, et celle du president d'iceux avoit les yeux bandez, pour donner à entendre que la justice ne doit estre ny concussionnaire ny favorable, c'est-à-dire, ne prendre point d'argent, et ne faire rien plus ne moins par faveur. Les gens de guerre pour la marque de leurs anneaux y portoient engravé la figure d'un escharbot, pource qu'entre les escharbots il n'y a point de femelle, ains sont tous masles, et jettent leur geniture dedans une boule de fiens, laquelle ils preparent et construisent, non tant pour matiere et provision de leur vivre, comme pour un lieu à engendrer.
XI. Quand doncques tu entendras parler de certaines vagabondes peregrinations et erreurs , et desmembremens, et autres telles fictions, il te faudra souvenir de ce que nous avons dit, et estimer qu'ils ne veulent pas entendre que jamais rien ait esté de cela ainsi, ne qu'il ait oncques esté fait : car ils ne disent pas que Mercure proprement soit un chien, ains la nature de celle beste, qui est de garder, d'estre vigilant, sage à discerner et chercher, estimer et juger l'amy ou l'ennemy, celuy qui est cogneu ou incogneu, suivant ce que dit Platon, ils accomparent le chien au plus docte des dieux. Et si ne pensent pas que l'escorce d'un alisier sorte un petit enfant ne faisant que naistre, mais ils paignent ainsi le soleil levant, donnant entendre soubs figure couverte, que le soleil sortant des eaux de la mer, se vient à rallumer. Car ainsi appellerent-ils Ochus, l'Espée, qui fut le plus cruel roy des Perses et le plus terrible, comme celuy qui fait mourir plusieurs grands personnages, et qui finablement tua leur bœuf Apis, et le mangea avec ses amis, et jusques aujourd'huy ils l'appellent encore ainsi en la liste et catalogue de leurs roys, non qu'ils voulussent signifier sa substance, ains la dureté de son naturel et sa mauvaistié, qu'ils accomparent à l'instrument dont on fait mourir les hommes.
XII. En escoutant doncques et recevant ainsi ceux qui t'exposeront sainctement et doctement la fable, en faisant et observant tousjours diligemment ce qui vous est ordonné en vostre estat pour le service des dieux, et croyant fermement que tu ne leur pourrois faire service ne sacrifice qui leur fust plus aggreabIe que de t'estudier à avoir saine et vraye opinion d'eux, tu éviteras par ce moyen la superstition, laquelle n'est point moindre, mal ne peché, que l'impieté de ne croire point qu'il y ait de dieux.
XIII. Or la fable doncques d'Isis et d'Osiris, pour la deduire en moins,de paroles qu'il sera possible, et en retrencher beaucoup de choses superflues, et qui ne servent à rien, se raconte ainsi. On dit que Rea s'estant meslée secrettement à la derobée avec Saturne, le soleil s'en apperceut qui la maudit, priant en ses maledictions qu'elle ne peust jamais enfanter ny mois, ny an, mais que Mercure estant amoureux de celle deesse coucha avec elle, et que depuis jouantau dez avec la Lune, il luy gaigna la septantiéme partie de chascune de ses illuminations, tant que les mettant ensemble il en fait cinq jours, qu'adjousta aux trois cents soixante de l'année, que les Ægyptiens appellent maintenant les jours épactes, les celebrans. et solennizans, comme estans les jours de la nativité des dieux, pour ce que au premier jour nasquit Osiris, à l'enfantement du quel il fut ouye une voix ,que le Seigneur de tout le monde venoit en estre : et disentaucuns, que une une femme nommée Pamyle, ainsi comme elle allait querir,de l'eau au temple de Jupiter, en la ville de Thebes , ouyt celle voix ,qui luy commandoit de proclamer à haute voix, que le grand roy bienfaicteur Osiris estoit né : et pour ce que Saturne luy meit l'enfant Osiris entre les mains pour le nourrir, que c'est pour l'honneur d'elle que l'on celebre encore la feste des Pamyliens, semblable à celle des Phallephores en la Grece. Le deuxiesme jour elle enfanta Aroueris qui est Appollo, que les uns appellent aussi l'aisné Orus. Au troisiesme jour elle enfanta Typhon, qui ne sortit point à terme, ny par le lieu naturel, ains rompit le costé de sa mere, et saulta dehors par la playe. Le quatriesme jour nasquit Isis, au lieu de Panygres. Le cinquiesme nasquit Nephté, que les uns nomment aussi Teleute, ou Venus, et les, autres Victoire : et que Osiris et Aroueris avait esté conçeus du Soleil, et Isis de Mercure, et Typhon et Nephté de Satume: c'est pourquoy les roys reputent le troisieme jour malencontreux, et à ceste cause ne despeschent affaires quelconques ce jour-là, et ne boivent ny ne mangent jusques à la nuict : que Typhon porta honneur à Nephté, que Isis et Osiris estant amoureux l'un de l'autre devant qu'ils fussent, sortis du ventre de la mere coucherent ensemble à cachettes, et disent aucun que Aroueris nasquit de ces amourettes-là, qui est appellé l'aisné Orus par les Ægyptiens, et Apollo par les Grecs.
XIV. Osiris regnant en Egypte, retira incontinent les Ægyptiens de la vie indigente, souffreteuse et sauvage, en leur enseignant à semer et planter, en leur establissant des loix, et leur monstrant à honorer et reverer les dieux : et depuis allant par tout le monde il l'apprivoisa aussi sans y employer aucunement la force des armes, mais attirant et gaignant la plupart des peuples par douces persuasions et remonstrances couchées en chansons, et en toute sorte de musique dont les Grecs eurent opinion que c'estoit un mesme que Bacchus : que Typhon durant le temps de son absence ne remua rien, d'autant que Isis y donna bon ordre, et y prouvent avec bonne forces : mais que quand il fut de retour, Typhon luy dressa embusche, ayant attiIré à sa ligne soixante et douze autres hommes conjurez avec luy, sans une royne d''Ethiopie participante et complice aussi de la conjuration (ceste royne s'appelloit Azo ayant secrettement pris la mesure du corps d'Osiris, il feit faire un coffre de la mesme longueur, beau à merveilles, ouvré et labouré fort exquisement, lequel il feit apporter en la salle, où il donnoit à soupper à la compagaie, chascun prit plaisir à veoir un si bel ouvrage, et l'estima lon grandement : et Typhon faisant semblant de jouer, dit qu'il le donneroit volontiers à celuy qui auroit le corps egal de mesure à ce coffre : tous ceux de la compagnie l'essayerent les uns après les autres, et ne se trouva bien proportionné, ny egal à pas un des autres : finablement Osiris luy mesme y monta, et se coucha dedans : et alors les conjurez y accourans, jetterent le couvercle dessus, et partie le fermerent de cloux, et partie de plomb fondu qu'ils jetterent par dessus, puis le portans en la riviere, le jetterent par la bouche du Nil, qui se nomme Tanitique, dedans la mer : c'est pourquoy jusques aujourd'huy ceste bouche est execrable, aux Ægyptiens, et pourquoy ils l'appellent abominable.
XV. On dit que tout cela fut faict le dixseptiesme du mois, que I'on appelle Athyr, qui est celuy durant lequel le soleil passe par le signee du scorpion, et le vingthuitiesme du regne d'Osiris : toutefois d'autres disent qu'il vescut, non pas qu'il regna, autant : que les premiers qui entendirent la nouvelle de cest inconvenient furent les panes et satyres habitans autour de la ville de Chennis, et comnamcerent à murmurer entre eux : c' est pourquoy encore jusques aujourd'huy on appelle les soudaines peurs, troubles et emotions de peuples, frayeurs paniques. Et qu'Isis en estant avertie feit tondre une tresse de ses cheveux, et se vestit de deuil au lieu qui est maintenant appellé Coptus, combien que les autres veulent dire, que ce mot signifie privation, pour ce que Coptein est autant à dire comme priver : en cest habit elle alla errant par-tout, pour en cuider entedre des nouvelles en grande destresse, mais personne ne venoit ni ne parloit à elle, jusques à ce que elle rencontra de jeunes enfans qui jouoient ensemble, ausquels elle demanda s'ils avaient point veu le coffre : ces enfans l'avoient veu, qui lui, dirent la bouche du Nil par laquelle les complices de Typhon l'avoient poulsé dedans la mer : depuis ce temps-là les AEgyptiens estiment, que les enfans ont le don de prophetie, de pouvoir reveler les choses secrettes, et prennent à presage toutes les paroles qu'ils disent en jouant et babillant ensemble, mesmement dedans les temples, de quoy que ce soit.
XVI. Et qu'ayant apperceu qu'Osiris estant devenu amoureux de sa soeur, avoit couché avec elle, pensant que ce fust Isis, et en ayant trouvé le signe du chappellet de melilot, qu'il avait laissé chez sa sœur Nephté, elle chercha l'enfant, pour ce que Nephté incontinent qu'elle l'eut enfanté l'aIla cacher, pour la crainte de Typhon, et l'ayant trouvé difficilement et à grande peine, par le moyen des chiens qui la conduisirent au lieu où il estoit, elle le nourrit, de maniere que depuis qu'il fut devenu grand, il fut son gardien et son page, appellé Anubis, que Ion dit qui garde les dieux, comme les chiens font les hommes. Depuis elle entendit nouvelles du coffre, comme les flots de la mer l'avoient jetté en la coste de Byblus, là où il s'estoit tout doucement rengé au pied d'un Tamarix : ce Tamarix, en peu de temps devint un fort beau et fort gros tronc d'arbre bien branchu, qui embrassa et enveloppa tout alentour le coffre, de sorte qu'on ne le voyoit point. Le roy de Byblus s' esbahissant de veoir ceste plante aussi soudainement creuë en telle grandeur, feit coupper le branchage qui couvroit le coffre que Ion ne voyoit point, et du tronc en feit un pillier à soustenir le toict de sa maison, dequoy Isis, ainsi que lon dit, ayant esté advertie par un vent divin de renommée, s'en alla en la ville de Byblus, là où elle s'asseit auprès d'une fontaine, toute triste et esplorée, sans parler à autre personne quelconque, sinon qu'elle salua et caressa les femmes de la royne, en leur accoustrant les tresses de leurs cheveux, et leur rendant une merveilleusement douce et souëfve odeur yssant de son corps.
XVI. Et qu'ayant apperceu qu'Osiris estant devenu amoureux de sa sœur, avoit couché avec elle , pensant que ce fust Isis, et en ayant trouvé le signe du chappellet de melilot, qu'il avoit laissé chez sa sœur Nephté, elle chercha l'enfant, pour ce que Nephté incontinent qu'elle l'eut enfanté l'alla cacher, pour la crainte de Typhon, et l'ayant trouvé difficilement et à grande peine, par le moyen des chiens qui la conduisirent au lieu où il estoit, elle le nourrit, de maniere que depuis qu'il fut devenu grand, il fut son gardien et son page, appellé Anubis, que Ion dit qui garde les dieux, comme les chiens font les hommes. Depuis elle entendit nouvelles du coffre , comme les flots de la mer l'avoient jetté en la coste de Byblusl, là où il s'estoit tout doucement rengé au pied d'un Tamarix : ce Tamarix en peu de temps devint un fort beau et fort gros tronc d'arbre bien branchu, qui embrassa et enveloppa tout alentour le coffre, de sorte qu'on ne le voyoit point. Le roy de Byblus s'esbahissant de veoir ceste plante aussi soudainement creuë en telle grandeur, feit coupper le branchage qui couvroit le coffre que lon ne voyoit point, et du tronc en feit un pillier à soustenir le toict de sa maison, dequoy Isis, ainsi que lon dit, ayant esté advertie par un vent divin de renommée, s'en alla en la ville de Byblus, là où elle s'asseit auprès d'une fontaine, toute triste et esplorée, sans parler à autre personne quelconque, sinon qu'elle salua et caressa les femmes de la royne, en leur accoustrant les tresses de leurs cheveux, et leur rendant une merveilleusement douce et souëfve odeur yssant de son corps.
XVII. La royne ayant veu ses femmes si bien parées , eut envie de veoir l'estrangere qui les avoit ainsi accoustrées, tant pour ce qu'elle scavoit ainsi bien accoustrer les cheveux, comme pour ce qu'elle rendoit une si douce senteur : ainsi l'envoya elle querir, et ayant pris familiarité avec elle, la feit nourrice et gouvernante de son fils : le roy s'appelloit Malcander, et la royne Astarte, ou bien Saosis, ou Nemanoun, comme les autres veulent, c'est à dire en langage grec, Athenaide, et dit on que Isis nourrit cest enfant en luy mettant son doigt en la bouche au lieu du bout de la mammelle, et que la nuict elle luy brusloit tout ce qui estoit mortel en son corps, et qu'elle se tournant en une hirondelle alloit voletant et lamentant alentour de ce pillier de bois, jusques à ce que la royne s'en estant pris garde, et s'estant escriée quand elle veit le corps de son fils bruslant ainsi alentour, luy osta l'immortalité, et que la deesse ayant ainsi esté descouverte, demanda le pillier de bois, lequel elle couppa facilement, et osta de soubs la couverture le tronc du tamarix qu'elle oignit d'une huyle parfumée, puis l'enveloppa d'un linge et le bailla en garde aux roys, dont vient que jusques aujourd'huy les Bybliens reverent encore ceste piece de bois là, qui est couchée dedans le temple d'Isis, et qu'à la fin elle rencontra le coffre sur lequel elle plora, et lamenta tant que l'un des enfans du roy le plus jeune en mourut de pitié, et elle ayant en sa compagnie le plus aagé avec le coffre s'embarqua en un vaisseau, monta sur la mer et s'en alla. Et pourtant que sur l'aube du jour la riviere de Phedrus destourna le vent un peu trop asprement, elle qui en fut courroucée, la secha toute : et au premier lieu qu'elle se peut trouver seule, elle ouvrit le coffre, là où trouvant le corps d'Osiris, elle meit sa face sur la siene en l'ambrassant et plorant. Le jeune enfant survint et s'approcha secrettement, et veit ce qu'elle faisoit, dont elle s'estant apperceuë se retourna, et le regarda d'un mauvais œil en travers, tellement que l'enfant ne pouvant supporter la terreur qu'elle luy feit, en mourut.
XVIII. Les autres le disent autrement, c'est qu'il tomba dedans la mer, et qu'il est honoré à cause de la deesse, et que c'est celuy que les Ægyptiens chantent en leurs festins qu'ils appellent Maneros : aucuns disent que cest enfant avoit nom Palestinus, et que la ville de Pelusium fut fondée en memoire de luy par la deesse, et que ce Maneros qu'ils celebrent en leurs chansons, fut celuy qui le premier trouva la musique : toutefois il y en a d'autres qui disent, que ce n'est point le nom d'aucun homme, mais une façon de parler propre et convenable à ceux qui boivent et banquettent ensemble, laquelle signifie autant, comme qui diroit, à bonne heure soit cecy venu, car les Ægyptiens ont accoustumé de cryer cela ordinairement : comme aussi le corps sec d'un homme mort qu'ils portent dedans un cercueil, n'est point une representation de l'accident d'Osiris, comme aucuns estiment, ains un admonestement aux conviez de se donner joye et jouir alaigrement des biens presents, d'autant que bien peu de temps après ils seront tous semblables à celuy là, c'est la raison pourquoy ils l'introduisent ès festins.
XIX. Et comme la deesse Isis fust allée voir son fils Orus qui se nourrissoit en la ville de Butus, et qu'elle eust osté le coffre, ou la biere dedans laquelle estoit le corps d'Osiris, Typhon estant la nuict à la chasse au clair de la Lune le rencontra, et ayant recogneu le corps le deschira et decouppa en quarante parties, qu'il jetta ça et là : ce que ayant Isis entendu, le chercha dedans un bateau fait de l'herbe du papier atravers les marets, d'où vient que les crocodiles n'offensent jamais ceux qui naviguent dedans les vaisseaux faicts d'icelle herbe, soit qu'ils en aient peur, ou qu'ils les reverent en memoire de ce faict de la deesse. Voylà d'où vient que lon trouve plusieurs sepultures d'Osiris, par le païs d'Ægypte, pource que à mesure qu'elle en trouvoit chasque partie, elle y faisoit dresser un sepulchre : les autres disent que non, mais qu'elle en feit faire plusieurs images, qu'elle laissa en chascune ville, comme si elle leur en laissoit le propre corps, à fin qu'en plusieurs lieux il fust honoré, et que si d'adventure Typhon venoit au dessus de son fils Orus, quand il viendrait à chercher le vray sepulchre d'Osiris, et qu'on luy en monstreroit plusieurs, il ne sçeust auquel s'arrester : et dit on plus que Isis trouva toutes les autres parties du corps d'Osiris, excepté le membre naturel, pource qu'il fut incontinent jetté dedans la riviere, et que les poissons le Lepidote, le Phagre, et l'Oxyrinche le mangerent : pour raison dequoy Isis les abomina par dessus tous les autres poissons, mais au lieu du naturel elle en feit contrefaire un qui s'appelle Phallus, et le consecra, tellement que les Ægyptiens en solennisent encore la feste.
XX. Et puis ils content, que Osiris revenant de l'autre monde s'apparut à son fils Orus, qu'il instruisit et exercita à la battaille, qu'il luy demanda, quelle chose il estimoit au monde la plus belle, et que Orus luy respondit que c'estoit venger le tort et l'injure que lon auroit fait à ses peres et meres. Secondement qu'il luy demanda, quel animal il estimoit plus utile à ceux qui alloient à la battaille. Orus respondit, que c'estoit le cheval : dont Osiris s'esmerveilla, et luy demanda pourquoy il avoit respondu que c'estoit le cheval, et non pas le lion : et que Orus repliqua que le lion estoit plus utile à celui qui auroit besoing de secours pour combattre, mais le cheval pour deffaire entierement et desconfire celuy qui se mettroit en fuitte : ce que Osiris ayant entendu de luy, en fut fort aise, jugeant qu'il estoit suffisamment preparé pour donner la battaille à son ennemy. Et dit on que plusieurs se retournoient ordinairement du costé d'Orus, jusques à la concubine mesme de Typhon nommée Thoueris, mais que un serpent la poursuyvit, qui fut taillé en pieces par les gens d'Orus : voylà pourquoy encore aujourd'huy ils apportent une petite corde, laquelle ils couppent en pieces. Si disent que la battaille dura plusieurs jours, mais que finablement Orus en gaigna la victoire, et que Isis ayant Typhon prisonnier lié et garroté ne le tua point, ains le deslia, et le laissa aller : ce que Orus ne peut endurer patiemment, ains jetta les mains sur sa mere, et luy osta de sur la teste la marque de royauté, au lieu de laquelle Mercure luy meit en la teste un morrion fait en guise d'une teste de bœuf.
Typhon voulut appeller en justice Orus, et luy mettre en avant qu'il estoit bastard, mais à l'aide de Mercure qui defendit sa cause, il fut jugé par les dieux legitime, et qu'il deffeit depuis à fait Typhon en deux autres battailles : et que Isis après sa mort coucha encore avec Osiris, duquel elle eut Helitomenus et Harpocrates qui estoit mutilé des pieds. Voylà presque les principaux poincts de toute la fable, exceptez ceux qui sont plus execrables, comme le demembrement d'Orus, et la decapitation de Isis. Or qu'il ne leur faille cracher au visage et rompre la bouche, comme dit Æschylus, s'ils ont telles opinions de la bienheureuse immortelle nature que nous entendons la divinité, s'ils pensent et disent que telles fables soient veritables, et que realement et de faict elles soient ainsi advenues : il ne le fault point dire à toy, car je sçay bien que tu hais et abomines ceulx qui ont de si barbares et si estranges opinions des dieux : mais aussi vois tu bien que ce ne sont pas contes qui ressemblent fort aux fables vagues, et vaines fictions que les poëtes ou autres fabuleux escrivains controuvent à plaisir, ne plus ne moins que les araignées qui d'elles mesmes, sans aucune matiere ni subject, filent et tyssent leurs toiles, ains est apparent qu'ils contiennent des accidents et memoires de quelques inconvenients : ainsi comme les mathematiciens disent, que l'arc en ciel est une apparence seulement de diverses paintures de couleurs, par la refraction de nostre veuë contre une nuée : aussi ceste fable est apparence de quelque raison qui replie et renvoye nostre entendement à la consideration de quelque autre verité, comme aussi nous le donnent à entendre les sacrifices, où il y a meslé parmy ne sçay quoy de deuil et de lamentable, et semblablement les ordonnances et dispositions des temples qui en quelques endroicts sont ouverts en belles æles et plaisantes allées longues à descouvert, et en quelques autres endroicts ont des caveaux tenebreux et cachez soubs terre, ressemblans proprement aux sepulchres et caves où l'on met les corps des trespassez : et mesmement l'opinion des Osiriens, qui bien que Ion die que le corps d'Osiris soit en plusieurs lieux, renomment toutefois Abydus et Memphis petite ville, où ils disent que le vray corps est, tellement que les plus puissans hommes et plus riches de l'Ægypte ordonnent coustumierement que leurs corps soient inhumez en la ville d'Abydos, à fin qu'ils gisent en mesme sepulture que Osiris : et en Memphis on nourrît le bœuf Apis, qui est l'image et figure de son ame, et veulent que le corps aussi y soit, et interpretent aucuns le nom de ceste ville, comme s'il signifioit le port des gens de bien, les autres le sepulchre d'Osiris : et y a devant les portes de la ville une petite isle, qui au demourant est inaccessible à tous autres, de maniere que les oyseaux mesmes n'y peuvent pas demourer, ny les poissons en approcher, fors qu'en un certain temps les presbtres y entrent, et y font des sacrifices et offrandes que lon presente aux trespassez, et y couronnent de fleurs la sepulture d'une medipthe qui est ombragée et couverte d'un arbre plus grand et plus hault que pas un olivier.
XXI. Eudoxus escrit que combien que lon monstre plusieurs sepulchres, qu'on dit estre d'Osiris en Ægypte, le corps neantmoins en est en Busiride, pource que c'est le païs et le lieu de la naissance d'Osiris , et qu'il n'est jà besoing le dire de Taphosiris pource que le nom mesme le dit assez, signifiant la sepulture d'Osiris. J'approuve la coupure du bois, la deschireure du lin, et les effusions et offrandes funebres que lon y fait, pour autant qu'il y a beaucoup de mysteres meslez parmy. Si disent les presbtres Ægyptiens, que non seulement de ces dieux là, mais encore de tous ceulx qui ont esté engendrez , et ne sont point incorruptibles, les corps en sont demourez par devers eux, là où ils sont honorez et reverez, et les ames estans devenues estoiles en reluysent au ciel, et que celle d'Isis est celle que les Grecs appellent l'estoile Caniculaire, et les Ægyptiens Sothin, celle de Orus Orion, celle de Typhon l'Ourse. Mais là où tous les autres villes et peuples de l'Ægypte, contribuent la quote qui leur est imposée, pour faire portraire et paindre les animaux que lon y honore, ceux qui habitent en la contrée Thebaïde seuls entre tous n'y donnent rien, estimans que rien qui soit mortel ne peult estre dieu, ains celuy seul qu'ils appellent Cnef, qui jamais ne nasquit, ne jamais ne mourra. Comme doncques ainsi soit, que plusieurs telles choses se disent et se monstrent en Ægypte, ceux qui cuydent que ce soit pour perpetuer la memoire des faicts et accidents merveilleux et grands de quelques princes, roys ou tyrans, qui pour leur excellente vertu, ou grande puissance ont adjousté à leur gloire l'authorité de divinité, auxquels puis après il soit arrivé des inconveniens, ils usent en cela d'une bien facile desfaitte et façon d'eschapper, et si ne font point mal de transferer des dieux aux hommes ce qu'il y a de sinistre ou infame en tous ces contes là, et si sont aidez par ces tesmoignages que lon lit ès histoires : car les Ægyptiens escrivent que Mercure estoit bien petit de corsage, que Typhon estoit de couleur rousseau , Orus blanc, et Osiris brun, comme ayants de nature esté hommes : davantage ils appellent Osiris capitaine et gouverneur, Canobus duquel nom ils ont aussi appellé une estoile, et la navire que les Grecs appellent Argo, ils tiennent que c'est la figure de la navire d'Osiris, que lon a réferé au nombre des astres pour l'honneur de luy, et si n'est pas située au mouvement du ciel gueres loing de celle d'Orion, et de celle de la Caniculaire, dont ils estiment l'une sacrée à Orus, et l'autre à Isis.
XXII. Mais j'ay peur que cela ne soit remuer les choses sainctes, auxquelles on ne doit toucher, pour ne point combattre, non seulement le long temps et l'antiquité, comme dit Simonides, ains la religion de plusieurs peuples qui de langue main ont une dévotion imprimée envers ces dieux là, en ne voulant pas endurer que ces grands noms là transportent chose quelconque du ciel en la terre, et que ce ne soit encore vouloir arracher et renverser un honneur, et une foy et creance, qui est emprainte aux cœurs des hommes presque dès leur premiere naissance, qui seroit ouvrir de grandes portes à la tourbe des mescreants Atheistes, lesquels separent et esloignent les hommes de toute divinité, et donner manifeste ouverture et grande licence aux impostures et tromperies de Evemerus le Messenien, lequel ayant luy mesme controuvé les originaux de fables qui n'ont aucune verisimititude, ny aucun subject, a respandu par le monde universel toute impieté, transmuant et changeant tous ceux que nous estimons dieux en noms d'admiraux, grands capitaines, et de roys qui auroient esté le temps passé, ainsi qu'il est, ce dit il, escrit en lettres d'or, en la ville de Panchon, que jamais homme Grec ne Barbare ne veit que luy, ayant navigué au païs des Panchoniens et Triphyliens, qui ne sont en nulle partie de la terre habitable : et neantmoins on celebre assez entre les Assyriens les haults faicts de Semiramis, et de Sesostris en Ægypte, jusques aujourdhuy les Phrygiens appellent les illustres et admirables entreprises, exploits d'armes Maniques. d'autant que l'un de leurs anciens roys du temps jadis s'appelloit Manis, qui de son temps fut un très sage et très vaillant prince, aucuns l'appellent autrement Masdes. Cyrus mena les Perses, Alexandre les Macedoniens tousjours conquerans presque jusques au bout du monde, mais pour tout cela, ils n'ont renom que d'avoir esté puissans et vaillants princes et roys. Et s'il y en a eu quelques uns qui elevee par oultrecuydance avec jeunesse et ignorance, comme dit Platon, ayants l'ame enflammée de vaine gloire et d'insolence, ayant reçeu les surnoms de dieux, et des fondations de temples en leurs noms, celle gloire ne leur a gueres longuement duré, et puis estans par la posterité condamnez de vanité et de superbe arrogance, oultre l'injustice et l'impieté,
En peu de jours leur folle renommée
S'en est allée en vent et en fumée.
Et maintenant, comme serfs fugitifs qu'il est loysible de reprendre par tout où lon les peult trouver, ils sont arrachez des temples et des autels, et ne leur est demouré que leurs tombeaux et sepulchres. Et pourtant Antigonus le vieil, commue un certain poete, nommé Hermodotus en ses vers l'eust appellé fils du soleil, et dieu : "celuy, dit il, qui vuide le bassin de ma selle "percée sçait bien, comme moy, le contfaire". Et feit aussi bien sagement Lysippus le statuaire, quand il reprit le paintre Apelles de ce que paignant Alexandre le grand, il luy meit la foudre en main, là où Lysippus luy avoit mis au poing la lance, de laquelle la gloire estoit pour durer eternellement, comme estant veritable et meritoirement propre et deuë à luy.
XXIII. Et pourtant ont mieux fait et dit ceux qui ont pensé et escrit que ce que lon recite de Typhon, d'Osiris, et d'Isis, n'estoient point accidents advenus ny aux dieux ny aux hommes, ains à quelques grands dæmons, comme ont fait Pythagoras, Platon, Xenocrates et Chrysippus, suyvant en cela les opinions des vieux et anciens theologiens, qui tienent qu'ils ont esté plus forts et plus robustes que les hommes, et qu'en puissance ils ont grandement surmonté nostre nature : mais ils n'ont pas eu la divinité pure et simple, ains ont esté un suppost composé de nature corporelle et spirituelle, capable de volupté et de douleur, et des autres passions et affections qui accompaignent ces mutations là, travaillans les uns plus, les autres moins : car entre les dæmons il y a, comme entre les hommes, diversité et difference de vice et de vertu. Et les faicts des geants et des titans qui sont tant chantez par les poetes Grecs et les abominable actes d'un Saturne, et les resistences d'un Python à l'encontre d'Apollon, les sons d'un Bacchus, et les erreurs d'une Ceres, ne diffrerent en rien des accidents d'Osiris et de Typhon et de tous ces autres tels contes fabuleux que chascun peult ouir tant qu'il veult, et tout ce qui est caché et couvert soubs le voile des sacrifices significatifs et soubs des cerimonies qu'il n'est pas loysible de dire, ny de monstrer à un commun populaire, tout cela est d'une mesme sorte, suyvant laquelle opinion nous voyons qu'Homère appelle les gens de bien diversement, tantost semblables aux dieux ou egaux aux dieux, tantost
Ayants des dieux la divine prudence :
mais du nom de dæmon il en use communement, autant en parlant des meschans comme des bons,
Dæmonien avant approche toy,
Comment as tu de ces Grecs tant d'effroy ?
Et ailleurs,
Quand il chargea la quattriéme fois
Il ressemble un dæmon.
Et ailleurs,
Dæmonienne en quelle forfaitture
Le vieil Priam, et sa progeniture,
T'ont ils si fort offensée, que tant,
Ton cœur felon prochasse soubhaittant
De Troye voir la ville bien bastie
Entierement rasée et subvertie ?
Comme nous donnant à entendre que les dæmons ont une nature meslée, et une volonté et affection inegales, et non point tousjours semblables.
XXIV. De là vient que Platon attribue aux dieux Olympiques et celestes, tout ce qui est dextre et non pair, et tout ce qui est senestre et pair aux dæmons : et Xenocrates tient que les jours malencontreux, et les festes où lon se bat, et où lon se donne des coups, et qu'on se frappe l'estomac, ou que lon jeune, où il se fait ou dit quelque chose honteuse et villaine, il n'estime point, qu'elles appartiennent aux bons dieux, ny aux bons dæmons : mais qu'il y a en l'air des natures grandes et puissantes, au demourant malignes et mal-accointables, qui ont plaisir que lon face de telles choses pour elles, et que quand elles les ont obtenues, elles ne s'addonnent plus à pis faire : comme aussi au contraire Hesiode appelle les bons et saincts dæmons gardiens des hommes,
Donneurs de biens, d'opulence et richesse,
Propre à eulx est la royale largesse.
Et Platon appelle ceste sorte de dæmons mercuriale et ministeriale, estant leur nature au milieu des dieux et des hommes, envoyans les prieres et requestes des hommes vers le ciel aux dieux, et de là nous transmettans en terre les oracles et revelations des choses occultes et futures, et les donations des richesses et des biens. Empedocles mesme dit, qu'ils sont punis et chastiez des faultes et offenses qu'ils ont commises,
L'air les vous jette en la grand' mer profonde,
L'eau les vomit dessus la terre ronde,
La terre après au ciel les fait voler,
Et le soleil les precipite en l'air :
De l'un en l'autre ainsi chassez, ils cheent,
Et tous ensemble egalement les hayent :
jusques à ce qu'estans ainsi chastiez et purgez, ils recouvrent de rechef le lieu, le reng et l'estat qui leur est propre, selon leur nature : à cela ressemble naifvement ce que lon recite de Typhon, qu'il feit par son envie et sa malignité plusieurs mauvaises choses, et qu'ayant mis tout en combustion, il remplit de maulx et de miseres la mer et la terre : et puis en fut puny, et que la femme et sœur d'Osiris en feit la vengeance, estaignant et amortissant sa rage et sa fureur : et neantmoins encore ne meit elle point à nonchaloir les travaux et labeurs qu'elle avoit supportez, et les fuittes çà et là, ny plusieurs actes de grande sapience et grande vaillance, se contentant que cela demourast ensepvely en silence et en oubly, ains les meslant parmy les plus sainctes ceremonies des sacrifices, comme exemples, images et souvenances des inconvenions pour lors advenus, elle consecra un enseignement et une instruction et consolation de pieté envers les dieux, autant pour les femmes que pour les hommes detenus en miseres et calamitez.
XXV. Au moyen dequoy elle et son mary Osiris auroient esté transmuez de bons dæmons pour leurs vertus en dieux, comme depuis l'auroient aussi semblablement esté Hercules et Bacchus, ausquels non sans raison pour cela auroient esté decernez honneurs entremeslez des dæmons et des dieux comme à ceux qui ont par tout grande puissance, tant dessoubs que dessus la terre, mais specialement en ces sacrifices là, pource que Sarapis n'est autre chose que Pluton, et Isis que Proserpine, comme dit Archemachus natif d'Eubœe, et Heraclitus le Pontique, qui pense que l'oracle qui est en la ville de Canobus soit celuy de Pluton.
XXVI. Le roy Ptolomeus, surnommé le sauveur, feit enlever de la ville de Sinope la statue enorme de Pluton, non qu'il sçeust qu'elle y fust, et qu'il eust jamais veu auparavant quelle face elle avoit, sinon qu'il luy fut advis en songeant, qu'il voyoit Sarapis qui luy commandoit, que le plus tost qu'il luy seroit possible, il feist transporter sa statue en Alexandrie. Le roy ne sçavoit où estoit ceste statue, ny là où il la devoit trouver, mais ainsi comme il racontoit luy mesme sa vision à ses amis, il se rencontra un nommé Sosibius, homme qui a voit esté en beaucoup de païs, lequel dit qu'il avoit veu une pareille statue que celle que le roy leur descrivoit en la ville de Sinope : si y envoya le roy un Soteles et Dionysius, qui avec longue espace de temps et grand travail, non sans aide special encore de la providence divine, la deroberent et l'emmenerent. Quand elle fut apportée, et qu'on la veit en Alexandrie, Timotheus le cosmographe et Manethon Sebennitique, conjecturans que c'estoit la statue de Pluton à voir Cerberus auprès de luy, et le dragon, persuaderent au roy que ce n'estoit l'image d'autre dieu que de Sarapis, car il ne vint pas de là avec ce nom là, mais estant apporté en Alexandrie, il y acquit le nom de Sarapis, qui est le nom dont les Ægyptiens appellent Pluton, combien que Heraclitus le physicien die, que Pluton et Dionysius, c'est à dire Bacchus , soient tout un. Quand doncques ils veulent enrager et follastrer, ils se laissent aller en ceste opinion. Car ceux qui cuydent que Ades, c'est à dire Pluton, soit le corps, comme la sepulture de l'ame, pource qu'il semble qu'elle soit folle ou yvre pendant qu'elle est dedans, il me semble qu'ils allegorisent bien froidement, et vault mieulx assembler en un Osiris avec Bacchus, et Bacchus avec Sarapis, en disant que depuis qu'il eut changé de nature, il changea aussi d'appellation : et pourtant est le nom de Sarapis commun à tous, ainsi comme souvent assez ceux qui ont esté reçeus ès sacrifices et en la religion de Osiris.
XXVII. Car il ne fault pas adjouster foy aux livres des Phrygiens qui disent que une Charops fut fille de Hercules, et que d'un autre fils de Hercules nommé Isaiacus nasquit Typhon, nyaussi faire compte de Philarchus escrivant que Bacchus fut le premier qui amena des Indes deux bœufs, l'un desquels avoit nom Apis, et l'autre Osiris, et que Sarapis est le propre nom de celuy qui regit et embellit l'univers, d'autant que Sairein signifie orner et embellir, car ces propos de Philarchus sont manifestement hors de toute apparence, et encore plus le dire de ceux qui escrivent que Sarapis n'est pas le nom d'un dieu, mais que c'est le sepulchre d'Apis que lon appelle ainsi, et qu'il y a dedans la ville de Memphis des portes de bronze(nommées d'oubliance et de deuil) que lon ouvre quand lon inhume Apis, et qu'elles menent un bruit bas et rude quand on les ouvre, et que c'est pourquoy nous mettons la main sur tout vase de bronze et de cuyvre qui nous fait du bruit pour le faire cesser. Il y a plus d'apparence en l'opinion de ceux qui tienent qu'il a esté derivé de ce mot Sevesthai ou Sousrthai, qui signifie poulser, comme estant celuy qui remue toute la machine du monde. Il y a aussi plusieurs des presbtres qui tienent que c'est un mot composé de Osiris et d'Apis, exposans et nous enseignans qu'il nous fault penser que Apis est une belle image de l'ame d'Osiris. Mais quant à moy si Sarapis est un nom Ægyptien, je pense qu'il signifie joye et alaigresse, le conjecturant par ce que les Ægyptiens appellent feste et liesse Sairei, car Platon mesme escrit que Ades, qui signifie Pluton, est fils d'Aido, c'est à dire de vergongne et de honte, doulx et clement dieu à ceux qui sont par devers luy. Et est vray que au langage des Ægyptiens, plusieurs autres noms propres signifient quelque chose, comme celuy par lequel ils signifient le lieu de dessoubs terre, où ils cuydent que les ames des trespassez s'en aillent après la mort, qu'ils disent Amenthes, c'est à dire, prenant et donnant : mais si ce mot là est un de ceux qui anciennement sont sortis de la Grece, et depuis y ont esté rapportez, nous en discourrons cy après.
XXVIII. Et maintenant achevons de considerer le reste de l'opinion que nous avions en main : car Osiris et Isis estants des bons dæmons, ont esté transferez en la nature des dieux : et quant à la puissance de Typhon qui s'en alloit deffaitte et fracassée, voire tirant aux derniers sanglots et battements de la mort, ils ont aucuns sacrifices et cerimonies où ils la reconfortent, et y en a aussi d'autres, esquels au contraire ils l'abbattent et la diffament en certaines festes qu'ils ont : car ils injurient et oultragent les hommes rousseaux, et qui plus est, ils precipitent les asnes roux, comme font les Coptites, pour autant que Typhon a esté roux, et de la couleur d'un asne rouge : et les Busirites, et Lycopolites se gardent entierement de sonner des trompettes, d'autant que leur son ressemble au cry de l'asne : et brief ils estiment que l'asne soit un animal immonde, pour la semblance de couleur qu'il a avec luy : et faisant des gasteaux ès sacrifices des moys de Payni, et de Phaofi, ils y figurent dessus un asne lié : et au sacrifice du soleil, à ceux-qui veulent cognoistre dieu, ils commandent qu'ils ne portent point de bagues d'or sur leurs corps, et qu'ils ne donnent point à manger à l'asne : et semble que les Pythagoriens mesmes eussent opinion, que Typhon estoit une puissance dæmonique : car ils disent qu'il nàsquit en un nombre pair de cinquante huict, et de rechef que celle du nombre triangle est la puissance de Pluton, de Bacchus, de Mars, et que celle du quarré est de Rhea, de Venus, de Geres, de Vesta et de Juno : et celle du Dodecagone, c'est à dire, à douze angles, est celle de Jupiter, et celle à cinquante et huict angles est celle de Typhon, ainsi comme Eudoxus a laissé par escrit : et les Ægyptiens estimans que Typhon a esté roux de couleur, immolent et sacrifient les bœufs de la mesme couleur, en faisant si exquise et si diligente observation, que s'il a un seul poil blanc ou noir, ils le reputent non sacrifiable, par ce qu'ils estiment que ce qui est bon à sacrifier, ne soit pas agreable aux dieux : ains au contraire, desplaisant à eux, d'autant qu'ils pensent que ce soient des corps qui ont receu les ames de quelques mauvais et meschants hommes, transformez en d'autres animaux, et pourtant font ils toutes les execrations et maledictions du monde dessus la teste laquelle ils couppent, et puis la jettent dedans la riviere , au moins ils le faisoient ainsi anciefmement, mais maintenant ils la donnent aux estrangers, et puis les presbtres, qui se nomment les Seelleurs, venoient à marquer ce bœuf que lon devoit immoler de la marque de leur seau, qui estoit, ainsi comme escrit Castor, l'image d'un homme à genoux, ayant les mains liées derriere, et l'espée à la gorge : semblable traittement font ils à l'asne pour sa lourde rudesse et son insolence, non moins que pour sa couleur. Et pourtant surnomment ils Ochus celuy des roys de Perse que plus ils haïssoient comme execrable et abominable, l'asne : Et Ochus en estant adverty leur dit, « Cest asne là mangera vostre bœuf ». Aussi feit il immoler leur bœuf Apis, ainsi comme Dinon a laissé par escript. Et quant à ceux qui disent que Typhon, après la battaille perdue, s'en fuit sept journées dessus un asne, et que s'estant ainsi sauvé, il engendra des enfans, Jerosolymus et Judæus, il est tout manifeste qu'ils veulent tirer à toute force les histoires des Juifs en ceste fable.
XXIX. Telles doncques sont les conjectures que lon en peut tirer, mais pour en discourir un peu avec raison, considerons premierement les points où il y a plus de simplicité. Ainsi comme les Grecs allegorisent, que Saturne est le temps, et que Juno est l'air, et que la generation de Vulcain est la transmutation de l'air en feu : aussi disent ils que Osiris emprès les Ægyptiens s'entend estre le Nil, qui se mesle avec Isis, c'est à dire la terre, et que Typhon est la mer; dedans laquelle le Nil venant à entrer, se perd et se dissipe cà et là, sinon en tant que la terre en recevant une partie en est rendue fertile par luy, et s'y fait une lamentation sacrée sur le Nil, par laquelle on le deplore comme naissant à la main gauche, et se perdant à la main droitte : car les Ægyptiens estiment que la partie du soleil levant soit la face du monde, et la partie de Septentrion soit le costé droict, et la partie du midy le costé gauche. Ce Nil doncques qui sourd à la main gauche, et se vient à perdre en la mer à la main droitte, à bon droit est dit avoir sa naissance à la gauche, et sa mort à la droitte. C'est pourquoy les presbtres ont la mer en abomination, et appellent le sel l'escume de Typhon et est l'un des poincts qu'on leur defend, de n'user jamais de sel à la table, et la raison pourquoy ils ne saluënt jamais les pilotes et gens de marine, pour autant qu'ils sont ordinairement sur la mer, et gaignent leur vie à l'art de naviger, et est aussi l'une des principales causes pourquoy ils abominent le poisson, de sorte que quand ils veulent escrire le hair et abominer, ils paignent un poisson : comme au vestibule, qui est devant le temple de Minerve, en la ville de Sai, il y avoit paint un petit enfant, un vieillard, et puis un esparvier, et tout joignant un poisson, et à la fin un cheval de riviere, qui signifioit soubs figure : « O arrivans et partans, jeunes et vieux, dieu hait toute violente injustice » : car par l'esparvier ils representent dieu, par le poisson haine et abomination, et par le cheval de riviere, toute impudence de mal faire, d'autant que lon tient qu'il tue son pere, et puis se mesle par force avec sa mere. Ainsi semblera il que le dire des Pythagoriens, qui disoient que la mer estoit la larme de Saturne, soubs paroles couvertes voulussent donner à entendre qu'elle estoit impure et immonde.
XXX. J'ay bien voulu en passant alleguer cela, encore qu'il soit hors du propos de nostre fable, pour ce qu'il contient une histoire toute commune : mais pour revenir à nostre propos, les plus sçavans des presbtres entendent par Osiris non seulement la riviere du Nil, et par Typhon la mer, ains par l'un ils entendent generalement toute vertu de produire eau, et toute puissance humide, estimans que ce soit la cause materielle de generation, et la substance du germe generatif : et par Typhon ils entendent toute vertu desicative, toute chaleur de feu, et toute secheresse, comme chose qui est de tout point contraire et ennemie de l'humidité : c'est pourquoy il tienent que Typhon estoit rousseau de poil, et de tainct jaunastre, et pour ceste raison ils ne rencontrent pas volontiers les hommes qui sont de telles couleurs ny ne parlent pas, sinon envis, à eux : au contraire ils faignent que Osiris estoit brun de couleur, pour autant que toute eau fait apparoir la terre, les vestemens, et les nuées mesmes noires, et l'humidité qui est dedans les jeunes hommes rend les cheveux noirs, et la couleur jaune, qui semble une pallidité procedant de seicheresse qui est au corps de ceux qui ont passé la fleur et vigueur de leur aage : et la saison de la primevere est verdoyante, generative et doulce : mais l'arriere saison de l'automne à faute d'humeur est ennemie des plantes, et maladive pour les hommes. Et le bœuf qui publiquement est nourry en la ville de Heliopolis, que lon appelle Mnevis, consacré à Osiris, et que les aucuns estiment estre pere d'Apis, est de poil noir, et est honoré en second lieu après celuy d'Apis. Davantage toute la terre d'Ægypte est fort noire entre les autres, comme ils appellent le noir des yeux chemia, et l'accomparent et representent par le cœur, lequel est chaud et humide, et aussi à la senestre partie du monde, comme le coeur est tourné vers la partie gauche de l'homme, et encline là : et disent que le soleil et la lune ne sont point voiturez dedans des charriots ou charrettes, ains dedans des bateaux, esquels ils naviguent tout à l'entour du monde, donnans par cela couvertement à entendre, qu'ils sont nez et nourris d'humidité. Et estiment que Homere ayant appris des Ægyptiens comme ThaIes, que l'eau estoit le principe de toutes choses, le met aussi, par ce que Osiris est l'Ocean, et Isis est Thetis, qui nourrit et allaicte tout le monde : car les Grecs appellent la projection de semence Apousian, et la commixtion du masle et de la femelle Synousian, et Hyos en Grec signifie fils, qui est derivé de ce mot Hydor, qui vaut autant comme eau, et Hysai signifie plouvoir, et surnomment Bacchus Hyes, comme qui diroit, maistre et seigneur de l'humide nature, qui n'est autre chose que Osiris. Et ce que nous prononcions Osiris , Hellanicus le met Hysiris, disant l'avoir ainsi ouy prononcer aux presbtres, et rappellent par tout ainsi, non sans apparence de raison, à cause de sa nature et de son invention.
XXXI. Mais que ce soit Osiris un mesme dieu que Bacchus, qui est ce qui par raison le doit mieux sçavoir que toy, ô Clea, attendu qu'en la ville de Thebes tu es la maistresse des Thyades et que dès ton enfance tu as esté consacrée et dévouée par ton pere et par ta mere au service et à la religion d'Osiris ? Mais si pour le regard des autres il est besoing d'alleguer des tesmoignages, nous laisserons les choses cachées et secrettes, mais ce que les presbtres font en public quand ils enterrent Apis, ayant apporté le corps sur un radeau, ne differe en rien des cerimonies de Bacchus : car ils sont vestus de peaux de cerfs, et portent en leurs mains des javelines, et cryent à pleines testes, et se demenent fort, ne plus ne moins que ceux qui sont espris de la saincte fureur de Bacchus : c'est pourquoy plusieurs peuples de la Grece portraient la statue de Bacchus avec une teste de taureau, et les femmes des Eliens en leurs prieres le reclament et requierent de venir à elles avec son pied de bœuf. Et les Argiens communement le surnomment Bougenes, qui est à dire fils de vache : qui plus est ils l'invoquent et l'appellent hors de l'eau au son des trompettes, jettans dedans un abysme d'eau un agneau pour le portier, et cachent leurs trompettes dedans leurs javelines, ainsi comme Socrates l'escrit en son livre des sainctes cerimonies. Et puis les faicts titaniques et la nuict toute entiere s'accordent avec ce que lon raconte du demembrement d'Osiris, et à sa resurrection et renouvellement de vie : aussi font les sepultures, car les égyptiens monstrent en plusieurs lieux des sepultures d'Osiris : et les Delphiens pensent avoir les ossemens de Bacchus par devers eux, qui sont inhumez près de l'Oracle, et luy font les religieux un sacrifice secret dedans le temple d'Apollo, quand les Thyades, qui sont les presbtresses, commancent à remuer et entonner leur cantique de Licnites, qui est un surnom de Bacchus, derivé de Licnon, qui signifie le berceau d'un petit enfant. Or que les Grecs estiment que Bacchus soit le seigneur et maistre, non seulement de la liqueur du vin, mais aussi de toute autre nature humide, Pindare en est suffisant tesmoing quand il dit,
Bacchus le donneur de liesse
Les arbres accroissent en largesse,
Car sa lueur sainte produit
Toutes les especes de fruict.
Voilà pourquoy il est estroittement inhibé et defendu à ceux qui servent et reverent Osiris de gaster un arbre fruictier, et d'estoupper une fontaine : si n'appellent pas seulement la riviere du Nil, le decoulement d'Osiris, ains toute autre sorte d'eau : au moyen dequoy devant ses sacrifices on porte tousjours en procession une cruche à eau, en l'honneur de ce dieu. Et puis ils paignent un roy ou le climat meridional du monde, par une feuille de figuier, et interpretent ceste feuille l'abbreuvement et le mouvement de tous, et semble qu'elle se rapporte au membre naturel. Et quand ils celebrent la feste qu'ils appellent des Pamyliens, qui est toute bachanale, ils monstrent et portent en procession une statue qui a le membre naturel, qui est trois fois aussi grand que l'ordinaire : car dieu est le principe des choses, et tout principe par generation se multiplie soymesme : or avons nous accoustumé de dire trois fois pour plusieurs fois, nombre finy pour infiny, comme quand nous disons Trismacares, c'est à dire trois fois heureux, pour dire très heureux, et trois liens pour dire infinis.
XXXII. Si d'adventure le nombre ternaire n'a esté expressement et proprement choisi par les anciens : car la nature humide estant le principe et la generation de toutes choses, a engendré dès le commancement les trois premiers corps, à sçavoir l'eau, l'air et la terre : car le propos que lon adjouste à la fable, que Typhon jetta le membre viril d'Osiris en la riviere, et que Isis ne le peut trouver, mais qu'elle en feit faire une representation semblable, et que l'ayant accoustré elle ordonna qu'on l'honorast, et qu'on le portast en pompe tend à nous enseigner que la vertu genitale et productive de dieu, eut l'humidité pour sa premiere matiere, et par le moyeu d'icelle humidité se mesla parmy les choses qui estoyent propres à participer de la generation. Il y a un autre propos que tienent les Ægyptiens, que un Apopis frere du soleil faisoit la guerre à Jupiter, qu'Osiris porta secours à Jupiter, et luy ayda à deffaire son ennemy : au moyen dequoy il l'adopta pour son fils, et le nomma Dionysius, c'est à dire Bacchus. Si est facile à monstrer que la fabulosité de ce propos là touche couvertement la verité de nature : car les Ægyptiens appellent Jupiter le vent, auquel rien n'est plus contraire que la secheresse enflammée, ce que n'est pas le soleil, mais elle a grande consanguinité et conformité à luy. Or l'humidité venant à estaindre l'extremité de la secheresse, fortifie et augmente les vapeurs qui nourrissent le vent et le tienent en vigueur : davantage les Grecs consacrent le lierre à Bacchus, lequel s'appelle en langage Ægyptien Chenosiris : qui signifie ainsi comme lon dit, la plante d'Osiris : au moins Ariston, celuy qui a descript les colonies des Atheniens, dit l'avoir ainsi trouvé en un epistre d'Alexarchus. Il y a d'autres Ægyptiens qui tienent que Bacchus estoit fils d'Isis , et qu'il ne s'appelloit pas Osiris, mais Arsaphes en la lettre Alpha , lequel nom signifie, ce disent ils, prouësse et vaillance, ce que mesme donne à entendre Hermaeus en son premier livre des choses Ægyptienes, là où il dit qu'Osiris interpreté signifie pluvieux. Je laisse à alleguer Mnasas, qui adjousta à Epaphus, Bacchus, Osiris et Sarapis : je laisse aussi Anticlides qui dit, qu'Isis estoit fille de Prometheus, et qu'elle fut mariée avec Bacchus.
XXXIII. Car les particulieres proprietez que nous avons dit qui sont en leurs festes et sacrifices, font foy plus evidente et plus claire que nulle allegation de tesmoings : et entre les estoiles ils tienent que la Caniculaire est consacrée à Isis, laquelle estoile attire l'eau : et puis ils honorent le lion, et ornent les portes de leurs temples avec des testes de lion, ayants les gueules ouvertes, pour ce que le fleuve du Nil deborde quand le soleil passe par le signe du Lion. Or ainsi comme ils estiment et appellent le Nil decoulement d'Osiris, aussi tienent ils que le corps d'Isis est la terre, non pas toute, mais celle que le Nil en se meslant rend fertile et feconde, et de celle assemblée ils disent qu'il s'engendre Orus, qui n'est autre chose que la temperature et disposition de l'air, qui nourrit et maintient toutes choses : et disent que cest Orus fut nourry dedans les marets, qui sont près de la ville de Butus, par la deesse Latone, pour ce que la nature eveuse et arrosée d'eaux, produit et nourrit les vapeurs qui estaignent et empeschent la grande secheresse. Ils appellent aussi les extremitez de la terre, et les confins des rivages qui touchent à la mer, Nephtys, c'est pourquoy ils surnomment Nephtys la derniere, et disent qu'elle fut mariée à Typhon : et quand le Nil debordé et hors de ses rives approche de ses extremitez là, ils appellent cela l'adultere d'Osiris avec Nephtys, laquelle se cognoit à quelques plantes qui y sourdent, entre lesquelles est le Melilot duquel, ce disent ils, quand la graine vint à tomber, Typhon commancea à s'appercevoir du tort qu'on luy faisoit en son mariage. Ainsi disent ils que Isis enfanta Orus legitime, et Nephtys Anubis bastard, et en la succession des roys, ils mettent Nephtys mariée à Typhon, qui fut la premiere sterile : et si cela ne s'entend point d'une femme, ains d'une deesse, ils entendent soubs ces paroles couvertes une terre de tout point sterile et infructueuse pour sa dureté, et la surprise de Typhon, et sa domination usurpée, n'est autre chose que la force de la secheresse qui fut la plus forte, et qui dissipa toute humidité, qui est le Nil, matiere de produire en estre, et de croistre et augmenter tout ce qui naist de la terre : et la royne d'Æthiopie qui vint à son secours, ce sont les vents Meridionaux venans de devers l'Æthiopie : car quand ces vents là du midy vienent à gaigner les Etesiens qui soufflent de la part de Septentrion, et chassent les nues en l'Æthiopie, et par ce moyen empeschent que les grands ravages des pluyes ne devalent des nues , alors la secheresse obtient le dessus qui brusle tout, et surmonte de tout point le Nil son contraire, qui pour sa foiblesse se retire et reserre, tellement qu'elle le vous poulse bas, et perit en la mer.
XXXIV. Car ce que la fable dit qu'Osiris fut enfermé dedans un coffre, ou un cercueil, ne veut autre chose signifier que le retirement et appetissement de l'eau : c'est pourquoy ils disent qu'Osiris disparut au mois d'Athyr, lors que cessans de souffler du tout les vents Etesiens, le Nil se retire, et la terre se descouvre, et la nuict croissant, l'obscurité croist, et la force de la lumiere decroist et se diminue : et les presbtres alors font plusieurs cerimonies de tristesse, entre autres ils montrent un bœuf aux cornes dorées, qu'ils couvrent d'une couverture de lin tainct en noir, pour representer le deuil de la deesse : car ils estiment que le bœuf soit l'image d'Osiris, et le vestement de lin la terre, si le monstrent quatre jours durant, depuis le dix septieme du mois tout de reng, pource qu'il y a quatre choses qu'ils regrettent, et dont ils font demonstration de deuil : la premiere c'est le Nil qui se retire et qui s'en va tarissant : la seconde, les-vents du Septentrion qui se baissent, et les vents du midy qui gaignent le dessus : la tierce, le jour qui devient plus court que la nuict : et après tout, le denuëment et la descouverture de la terre, avec le de vestement aussi des arbres, qui au mesme temps perdent leurs feuilles qui leur tombent : puis la nuict du dixneufieme jour il descend vers la mer, et les presbtres revestus de leurs habits sacrez portent le coffre sacré, où il y a un petit vase d'or, dedans lequel ils versent de l'eau douce : et adonc tous les assistans se prennent à crier, comme si Osiris estoit trouvé, et puis ils detrempent de la terre avec de l'eau, et y meslans des plus precieuses senteurs et bonnes odeurs, en font une petite image en forme de croissant, et la vestent et accoustrent, donnans clairement à cognoistre qu'ils estiment la substance de l'eau et de la terre estre ces dieux là.
XXXV. Ainsi ayant Isis recouvré Osiris et eslevé Orus, fortifié par vapeurs, brouillas et nuées, Typhon fut bien surmonté , mais non pas tué, pour ce que la deesse, qui est dame de la terre, ne voulut pas permettre que la puissance qui est contraire à l'humidité fust du tout aneantie, ains seulement la lascha et la diminua, voulant que ce combat demeurast, pour ce que le monde ne seroit point entier et parfait quand la nature du feu en seroit estaincte et ostée. Et si cela ne se dit entre eux, aussi ne seroit point ce propos vraysemblable, si quelqu'un le mettoit en avant, que Typhon jadis fust venu au dessus d'une portion d'Osiris, pour ce que anciennement Ægypte estoit la mer, de maniere qu'encore jusques aujourd'huy dedans les mines où lon fouille, et parmy les montagnes, lon trouve force coquilles de mer, et toutes les fontaines, et tous les puis, qui sont en grand nombre, ont l'eau salmastre et amere, comme estant encore un reste et reserve de la mer qui seroit là coulée. Mais avec le temps Orus est venu au dessus de Typhon : c'est à dire qu'estant venue la temperature des pluyes, qui ont temperé l'excessive chaleur, le Nil a repoulsé la mer, et monstré la campagne à descouvert, qu'il a tousjours depuis remplie de plus en plus de nouveaux amas de terre, ce que tesmoigne l'experience que nous en voyons tous les jours à l'œil : car nous apparcevons encore jusques aujourd'huy, que le fleuve apportant tous les jours de la nouvelle vase et amenant de la terre, la mer se retire tousjours petit à petit en arriere, et que la mer s'en va, par ce que ce qui estoit bas en elle se remplit et se haulse par les continuels aterremens du Nil, et l'isle de Pharos qu'Homere disoit estre de son temps esloignée de la navigation d'une journée de la terre ferme d'Ægypte, est maintenant partie d'icelle, non qu'elle s'en soit approchée ou remontée vers la terre, mais pour ce que la mer qui estoit entre deux a cedé au fleuve , qui continuellement a maçonné de nouveau limon, dont il a augmenté la terre ferme.
XXXVI. Mais cela ressemble aux theologiques interpretations que donnent les stoïques : car ils tienent que l'esprit generatif et nutritif est Bacchus, et celuy qui bat et qui divise est Hercules, celuy qui reçoit, Ammon, celuy qui penetre la terre et les fruicts est Ceres et Proserpine, celuy qui passe à travers la mer est Neptune, les autres meslans parmy les causes et raisons naturelles quelques unes triées des mathematiques, mesmement de l'Astrologie, estiment que Typhon soit le monde du soleil, et Osiris celuy de la lune, pour ce que la lune a une lumiere generative, multipliant l'humidité doulce et convenable à la generation des animaux, et à la generation des plantes et des arbres : mais que le soleil ayant une clarté de feu pur, eschauffe et desseche ce que la terre produit, et ce qui verdoye et florit, tellement que par son embrasement il rend la plus grande partie de la terre totalement deserte et inhabitable, et en plusieurs lieux supplante la lune : et pourtant les Ægyptiens appellent tousjours Typhon Seth, qui vault autant à dire, comme dominant et forceant, et content que Hercules conjoinct avec le soleil, environne le monde, et Mercure avec la lune : au moyen dequoy les œuvres et effects de la lune ressemblent aux actes qui se font par eloquence, et par sagesse : et ceux du soleil à ceux qui se font à coups, par force et puissance. Et disent les stoïques que le soleil s'allume de la mer, et s'en nourrit, mais que les fontaines et les lacs envoyent à la lune une doulce et delicate vapeur.
XXXVII. Les Ægyptiens feignent que la mort d'Osiris advint le dixseptieme jour du mois , auquel on juge mieux qu'en nul autre, qu'elle est pleine : c'est pourquoy les Pythagoriens appellent ce jour là obstruction, et ont du tout en grande abomination ce nombre là : car estant le seize nombre quarré, et le dixhuict plus long que large, ausquels deux seuls entre les nombres plats, il advient que les unitez qui les environnent alentour sont egales aux petites aires, contenues au dedans, le seul dixseptieme tombant entre deux les separe et desjoinct l'un d'avec l'autre, et divise la proportion sesquioctave, estant couppé en intervalles inegaux : et y en a aucuns qui tienent qu'Osiris vescut, les autres qu'il regna vingt et huict ans : car autant y a il de jours esclairez de la lune, et en autant de jours environne elle son cercle : et pour ce ès cerimonies qu'ils appellent la sepulture d'Osiris, couppans du bois ils en font un coffre courbé, en façon de croissant, pour autant que quand elle s'approche du soleil, elle devient pointue et cornue en forme de croissant, tant que finablement elle disparoit : et quant au demembrement d'Osiris qu'ils disent avoir esté couppé en quatorze pieces , ils donnent à entendre soubs le voile de ces paroles couvertes, les jours qu'il y a du decours que la lune va decroissant jusques à la nouvelle lune, et le premier jour qu'elle commance à apparoir nouvelle, en s'eschappant des rais du soleil et le passant, ils l'appellent bien imparfaict : car Osiris est bien faisant, et son nom signifie beaucoup de choses, mais principalement une force active et bienfaisante, comme ils disent : et son autre nom, qui est Omphis, Hermaeus dit qu'il signifie autant comme bienfaitteur, aussi estiment ils que les montées des debordemens du Nil ont quelque respondance au cours de la lune : car la plus haute qui se fait en la contrée Elephantine, monte jusques à vingt et huict coudées, autant qu'il y a de jours illuminez en chasque revolution de la lune, et la plus basse qui se fait près de Mendes et de Xois est de six coudées, qui respond au premier quartier : et la moyenne qui se fait aux environs de Memphis, quand elle est juste est de quatorze coudées, respondant à la pleine lune, et que Apis est l'image vive d'Osiris, et qu'il nasquit alors que la lumiere generative descend de la lune, et vient à toucher la vache quand elle appete le masle, et pour ce resemble il aux formes de la lune, ayant des marques blanches et claires, fort obscurcies par les umbres du noir : c'est pourquoy ilz solennisent une feste à la nouvelle lune du mois qu'ils appellent Phamenoth, laquelle ils nomment l'entrée d'Osiris en la lune, qui est le commancement de la prime-vere , ainsi mettent ils la puissance d'Osiris en la lune : ils disent que Isis, qui n'est autre chose que la generation, couche avec luy, pourtant appellent ils la lune la mere du monde, et disent qu'elle est de nature double, masle et femelle : femelle , en ce qu'elle est emplie et engrossie de la lumiere du soleil : et masle, en ce que de rechef elle jette et respand en l'air des principes de generation , pource que l'intemperature seche de Typhon ne gaigne pas tousjours, ains est bien souvent vaincue par la generation, et estant liée, se monstre de nouveau et combat de rechef à l'encontre d'Orus, qui n'est autre chose que ce monde terrestre, lequel n'est pas de tout point delivre de corruption, ny aussi de generation.
XXXVIII. Il y en a d'autres qui veulent que toute ceste fiction ne represente couvertement autre chose que les eclipses, car la lune eclipse quand elle est au plein directement opposée au soleil, et qu'elle vient à tomber dedans l'umbre de la terre, comme quand Osiris fut mis dedans la bierre, et au contraire aussi elle le cache et fait disparoir au trentieme jour : mais elle n'oste pas du tout le soleil, comme aussi ne fait pas Isis Typhon, mais Nephtys engendrant Anubis, Isis luy est supposée, car Nephtys est la partie de dessous la terre qui ne nous apparoist point, et Isis celle de dessus qui nous apparoit, et le cercle qui s'appelle Orizon, qui est commun et disgrege les deux hemispheres se nomme Anubis, et se compare de figure à un chien, pource que le chien se sert de la veuë aussi bien la nuict que le jour, et semble qu'envers les Ægyptiens Anubis a une pareille puissance que Proserpine envers les Grecs, estant et terrestre et celeste.
XXXIX. Il y en a d'autres à qui il semble qu'Anubis est Saturne, et pourautant qu'il porte en son ventre et engendre toutes choses, qui s'appelle Kyein en langage Grec, pour ceste cause a esté surnommé Kyon, qui est à dire chien. Il y a doncques quelque secret qui fait que quelques uns encore reverent et adorent le chien, car il fut un temps qu'il avoit plus d'honneur en Ægypte que nul autre animal : mais depuis que Cambyses eut tué Apis, et jetté par piece çà et là, nul autre animal n'en approcha n'y n'eu voulut taster sinon le chien, il perdit ceste prerogative d'estre le premier, et plus honoré que nul autre des animaulx. Il y en a d'autres qui appellent l'ombre de la terre qui fait eclipser la lune quand elle y entre, Typhon.
XL. Parquoy il me semble qu'il ne seroit pas hors de propos de dire, que particulierement il n'y a pas une de ces interpretations qui soit entierement parfaicte, mais que toutes ensemble disent bien et droictement, car ce n'est ny la seicheresse seulement, ny le vent, ny la mer, ny les tenebres, mais tout ce qui est nuysible, et qui a une partie propre à perdre et à gaster, tout cela s'appelle Typhon : Et ne fault pas mettre les principes de l'univers en des corps qui n'ont point d'ames, ainsi que font Democritus et Epicurus : ny ouvrier et fabricateur de la premiere matiere, une certaine raison et une providence, comme font les Stoïques, ayant son estre avant toutes choses, et commandant à tout : car il est impossible qu'il y ait une seule cause bonne ou mauvaise qui soit principe de toutes choses ensemble, pour ce que dieu n'est point cause d'aucun mal, et la concordance de ce monde est composée de contraires, comme une lyre du hault et bas, ce disoit Heraclitus : et ainsi que dit Euripide,
Jamais le bien n'est du mal separé,
L'un avec l'autre est tousjours temperé,
A fin que tout au monde en aille mieulx.
XLI. Parquoy ceste opinion fort ancienne , descendue des Theologiens et Legislateurs du temps passé jusques aux poëtes et aux philosophes, sans que lon sçache toutefois qui en est le premier autheur, encore qu'elle soit si avant imprimée en la foy et persuasion des hommes, qu'il n'y a moyen de l'en effacer, ny arracher, tant elle est frequentée, non pas en familiers devis seulement, ny en bruits communs, mais en sacrifices et divines cerimonies du service des dieux, tant des nations barbares que des Grecs en plusieurs lieux, que ny ce monde n'est point flottant à l'adventure sans estre regy par providence et raison, ny aussi n'y a il une seule raison qui le tiene et qui le regisse avec ne sçay quels timons, ne sçay quels mords d'obeissance, ains y en a plusieurs meslez de bien et de mal, et pour plus clairement dire, il n'y a rien icy bas que nature porte et produise, qui soit de soy pur et simple : ne n'y a point un seul despensier de deux tonneaux qui nous distribue les affaires, comme un tavernier fait ses vins en les meslant et brouillant les uns avec les autres, ains ceste vie est conduitte de deux principes, et de deux puissances adversaires l'une à l'autre, l'une qui nous dirige et conduict à costé droict, et par la droitte voye, et l'autre qui au contraire nous en destourne et nous rebute : ainsi est ceste vie meslée, et ce monde, sinon le total, à tout le moins ce bas et terrestre au dessoubs de la lune, inegal et variable subject à toutes les mutations qu'il est possible : car s'il n'y a rien qui puisse estre sans cause precedente, et ce qui est bon de soy ne donneroit jamais cause de mal, il est force que la nature ait un principe et une cause, dont procede le mal aussi bien que le bien.
XLII. C'est l'advis et l'opinion de la plus part, et des plus sages anciens : car les uns estiment qu'il y ait deux dieux de mestiers contraires, l'un autheur de tous biens, et l'autre de tous maulx : les autres appellent l'un dieu qui produit les biens, et l'autre dæmon, comme fait Zoroastres le Magicien, que lon dit avoir esté cinq cents ans devant le temps de la guerre de Troye. Cestuy donc appelloit le bon dieu Oromazes, et l'autre Arimanius, et davantage il disoit que l'un ressembloit à la lumiere, plus qu'à autre chose quelconque sensible , et l'autre aux tenebres et à l'ignorance, et qu'il y en avoit un entre les deux qui s'appelloit Mithres : c'est pourquoy les Perses appellent encore celuy qui intercede et qui moyene , Mithres : et enseigna de sacrifier à l'un, pour luy demander toutes choses bonnes, et l'en remercier : et à l'autre pour divertir et destourner les sinistres et mauvaises : car ils broyent ne sçay quelle herbe , qu'ils appellent Omomi, dedans un mortier, et reclament Pluto et les tenebres, et puis la meslant avec le sang d'un loup qu'ils ont immolé, ils la portent et la jettent en un lieu obscur où le soleil ne donne jamais : car ils estiment que des herbes et plantes les unes appartiennent au bon dieu, et les autres au mauvais dæmon, et semblablement des bestes, comme les chiens, les oyseaux et les herissons terrestres, soient à dieu, et les aquatiques au mauvais dæmon, et à ceste cause reputent bien heureux ceux qui en peuvent faire mourir plus grand nombre : toutefois ces sages là disent beaucoup de choses fabuleuses des dieux, comme sont celles cy, que Oromazes est né de la plus pure lumiere, et Arimanius des tenebres, qu'ils se font la guerre l'un à l'autre, et que l'un a fait six dieux, le premier celuy de Benevolence, le second de Verité, le troisieme de bonne loy, le quatrieme de Sapience, le cinquieme de richesse, le sixieme de joye pour les choses bonnes et bien faittes : et l'autre en produit autant d'autres en nombre, tous adversaires et contraires à ceux cy.
XLIII. Et puis Oromazes s'estant augmenté par trois fois, s'esloigna du soleil autant comme il y a depuis le soleil jusques à la terre, et orna le ciel d'astres et d'estoilles, entre lesquelles il en establit une, comme maistresse et guide des autres, la Caniculaire. Puis ayant fait autres vingt et quatre dieux, il les meit dedans un œuf, mais les autres qui furent faicts par Arimanius en pareil nombre, gratterent et ratisserent tant cest œuf qu'ils le percerent, et depuis ce temps là les maulx ont esté pesle mesle brouillez parmy les biens. Mais il viendra un temps fatal et predestiné , que cest Arimanius ayant amené au monde la famine ensemble et la peste, sera destruict et de tout poinct exterminé par eux : et lors la terre sera toute platte, unie et egale, et n'y aura plus que une vie et une sorte de gouvernement des hommes, qui n'auront plus que une langue entre eux, et vivront heureusement.
XLIV. Theopompus aussi escrit que selon les Magiciens, l'un de ces dieux doit estre trois mille ans vaincueur, et trois autres mille ans vaincu, et trois autres mille ans qu'ils doivent demourer à guerroyer et à combattre l'un contre l'autre, et à destruire ce que l'autre aura fait, jusques à ce que finablement Pluton sera delaissé, et perira du tout, et lors les hommes seront bien-heureux, qui n'auront plus besoing de nourriture, et ne feront plus d'ombre, et que le dieu qui a ouvré, fait et procuré cela, chomme ce pendant et se repose un temps, non trop long pour un dieu, mais comme mediocre à un homme qui dormiroit. Voilà ce que porte la fable controuvée par les mages.
XLV. Et les Chaldées disent qu'entre les dieux des planettes qu'ils appellent, il y en a deux qui font bien et deux qui font mal, et trois qui sont communs et moyens : et quant aux propos des Grecs touchant cela, il n'y a personne qui les ignore : qu'il y a deux portions du monde, l'une bonne, qui est de Jupiter Olympien, c'est à dire celeste : l'autre mauvaise, qui est de Pluton infernal : et feignent davantage, que là deesse Harmonie, c'est à dire accord, est née de Mars et de Venus, dont l'un est cruel, hargneux et querelleux, l'autre est doulce et generative. Prenez garde que les philosophes mesmes convienent à cela, car Heraclitus tout ouvertement appelle la guerre, pere, roy, maistre et seigneur de tout le monde, et dit que Homere quand il prioit,
Puisse perir au ciel et en la terre,
Et entre dieux et entre hommes la guerre,
ne se donnoit pas de garde qu'il maudissoit la generation et production de toutes choses qui sont venus en estre par combat et contrarieté de passions, et que le soleil ne oultre-passeroit pas les bornes qui luy sont prefixes, autrement que les furies ministres et aides de la Justice le rencontreroient. Et Empedocles chante que le principe du bien s'appelle amour et amitié, et souvent Harmonie : et la cause du mal ,
Combat sanglant et noise pestilente.
XLVI. Quant aux Pythagoriens, ils designent et spécifient cela par plusieurs noms, en appellant le bon principe , Un , finy, reposant , droict , non pair, quarré, dextre, lumineux : et le mauvais, Deux, infiny, mouvant, courbe, pair, plus long que large, inegal, gauche, tenebreux. Aristote appelle l'un forme, l'autre privation : Et Platon, comme umbrageant et couvrant son dire, appelle en plusieurs passages l'un de ces principes contraires, le Mesme, et l'autre l'Autre : mais ès livres de ses loix qu'il escrivit estant desjà vieil, il ne les appelle plus de noms ambigus ou couverts, ny par notes significatives, ains en propres termes il dit, que ce monde ne se manie point par une ame seule, ains par plusieurs, à l'adventure, à tout le moins, non par moins que deux, desquelles l'une est bien-faisante, l'autre contraire à celle là, et produisant des effects contraires : et en laisse encore entre deux une troisieme cause qui n'est point sans ame ny sans raison, ny immobile de soy mesme, comme aucuns estiment, ains adjacente et adherente à toutes ces deux autres, appellant toutefois tousjours la meilleure, la desirant et la prochassant, comme ce que nous dirons cy après le rendra manifeste, qui accommodera la Theologie des Ægyptiens avec la Philosophie des Grecs, par ce que la generation, composition et constitution de ce monde icy est meslée de puissances contraires, non pas toutefois egales, car la meilleure le gaigne, et est plus forte, mais il est impossible que la mauvaise perisse du tout, tant elle est avant imprimée dedans le corps et dedans l'ame de l'univers, faisant tousjours la guerre à la meilleure.
XLVII. En l'ame doncques l'entendement et la raison, qui est la guide et la conduite, et le maistre de toutes les bonnes choses, c'est Osiris : et en la terre, ès vents, en l'eau, et au ciel, et aux astres ce qui est ordonné, arresté et bien disposé en temperature, saisons et revolutions, cela s'appelle decoulement ou defluxion d'Osiris, et l'image apparente d'iceluy : au contraire la partie de l'ame passionnée, violente, deraisonnable, folle, est Typhon : et du corps ce qui est debile, indispos et maladif, qui est turbulent par temps obscurs, mauvais air, obscurcissement de soleil, privation de lune, devoyements hors du cours naturel, disparition : toutes ces choses là sont Typhons , comme l'interpretation mesme du mot Ægyptien le signifie, car ils appellent Typhon, Seth, qui vault autant à dire comme supplantant, dominant, forceant. Il signifie aussi bien souvent retour, et quelquefois aussi sursault et supplantation : et disent aucuns que l'un des familiers amis de Typhon s'appelloit Bebaion, et Manethus arriere dit, que Typhon s'appelle aussi Bebon, qui signifie empeschement et retention, comme estant la puissance de Typhon qui arreste et empesche les affaires qui sont bien acheminez, et qui vont ainsi qu'il appartient. Voylà pourquoy des bestes privées ils luy dedient et attribuent la plus grossiere et la plus lourde, qui est l'asne, et quant à l'asne nous en avons parlé au paravant : et des sauvages celles qui sont les plus cruelles, comme le crocodile et le cheval de riviere.
XLVIII. En la ville de Mercure ils monstrent l'image de Typhon, qui est un cheval de riviere, sur lequel il y a un esparvier qui combat un serpent, par le cheval representans Typhon, et par l'esparvier la puissance et l'authorité que Typhon ayant acquise par force, ne se soucie pas d'estre souvent troublé, et de troubler aussi les autres par malice : et pourtant faisans un sacrifice le septieme jour du mois de Tybi, lequel sacrifice ils appellent la venue d'Isis du païs de la Phœnice, ils font sur les gasteaux du sacrifice un cheval de riviere lié et attaché.
XLIX. Et en la ville d'Apollo la coustume estoit qu'il fallait que chascun y mangeast du crocodile, et à certain jour ils en font une grande chasse, où ils en tuent tant qu'ils peuvent, et puis les jettent devant le temple : ils disent que Typhon estant devenu crocodile est eschappé à Orus, attribuans toutes les mauvaises bestes, les dangereuses plantes, les violentes passions, comme estans œuvres ou parties, ou mouvements de Typhon : au contraire ils paignent et representent Osiris par un sceptre sur lequel il y a un œil paint, entendans par l'œil la provoyance, et par le sceptre l'authorité et la puissance, comme Homere appelle Jupiter, celuy qui est maistre et seigneur de tout le monde, le souverain et le clair-voiant, nous donnant à entendre par souverain sa supreme puissance, et par clair-voiant sa sagesse et sa prudence. Ils le representent aussi souvent par un esparvier, d'autant qu'il a la veuë claire et aiguë à merveilles, et le vol merveilleusement viste et leger, et se remplit moins de viande, et est moins sur sa bouche que nul autre : et dit on qu'en volant par dessus des corps morts non ensepvelis, il leur jette de la terre sur les yeux : et quand il fond sur la riviere pour boire, il dresse et hérisse son pennache, puis quand il a beu il le rabbat de rechef, par où il appert qu'il est sauve, et qu'il a eschappé le crocodile, car si le crocodile le happe, son pennache luy demoure droit et herisse comme il estoit. Mais par tout où l'image d'Osiris est en forme d'homme, ils le paignent avec le membre viril droict, pour figurer sa vertu d'engendrer et de nourrir : et l'habillement qui revest ses images est tout reluysant comme feu, reputans le feu estre le corps de la puissance du bien, comme matière visible d'une substance spirituelle et intellective.
L. Voylà pourquoy il ne fault pas s'arrester au propos de ceulx qui attribuent la sphære du soleil à Typhon, attendu que jamais à luy ne s'attribue rien qui soit luysant, ny salutaire, ny disposition, generation ou mouvement qui soit faitte par mesure ny avec raison : mais si en l'air ou en la terre il se fait quelque émotion de vents ou d'eaux hors de saison, quand la cause primitive d'une desordonnée et indeterminée puissance vient à estaindre les vapeurs. Et puis ès sacrez hymnes d'Osiris ils reclament et invoquent celuy qui repose entre les bras du soleil, et le trentieme jour du moys Epiphi ils solennisent la feste des yeux d'Orus, lors que le soleil et la lune sont en une mesme droicte ligne, comme estimans non seulement la lune, mais aussi le soleil estre l'œil et la lumiere d'Orus : et le vingt et huictieme du mois de Phaophi, ils solennisent une autre feste qu'ils appellent le baston du soleil qui est après l'equinocce de l'automne, donnant couvertement à entendre, que le soleil a besoing d'un soustien, d'un appuy, et d'un renfort, d'autant que sa chaleur commance à diminuer et sa lumiere aussi s'enclinant et s'esloignant obliquement de nous : davantage ils portent à l'entour du temple sept fois une vache environ le solstice d'hyver, et ceste procession s'appelle le recherchement d'Osiris ou la revolution du soleil, comme desirant lors la deesse les eaux de l'hyver, et font autant de tours, pour autant que le cours du soleil depuis le solstice de l'hyver jusques à celuy de l'esté se fait au septieme moys.
LI. On dit aussi que Orus le fils d'Isis fut le premier qui sacrifia au soleil le quatrieme jour du moys, ainsi qu'il est escrit au livre de la nativité d'Orus, combien que à chasque jour ils offrent par trois fois du parfum au soleil, la premiere fois environ le soleil levant de resine, la seconde fois sur le midy de myrrhe, et environ le coucher du soleil d'une composition qu'ils nomment kyphi : l'interpretation et signifiance desquels parfums je declareray cy après, mais ils pensent reverer et honorer le soleil par tout cela. Et qu'est il besoing de ramasser beaucoup de telles choses, attendu qu'il y en a qui tout ouvertement maintienent qu'Osiris est le Soleil, et que les Grecs l'appellent Sirius, mais que l'article que les Ægyptiens ont mis devant a fait, que lon ne s'en est pas aperceu : et que Isis n'est autre chose que la lune, et que de ses images celles à qui lon donne des cornes ne representent autre chose que le croissant, et ceulx qui la vestent de noir, signifient les jours qu'elle se cache, ou qu'elle s'obscurcit, èsquels elle court après le soleil, c'est pourquoy en leurs amourettes ils reclament la lune : et Eudoxus mesme dit que Isis preside, regit et gouverne les amours : et en tout cela encore y a il quelque verisimilitude, mais de dire que Typhon soit le soleil, il n'y fault pas seulement prester l'aureille.
LII. Et à tant reprenons de rechef nostre premier propos. Car Isis est la partie feminine de la nature apte à recevoir toute generation, pour laquelle occasion elle est appellée de Platon, nourrice et tout recevant, et par plusieurs est surnommée Myrionymos, c'est à dire ayant noms infinis, d'autant qu'elle reçoit toutes especes et toutes formes selon qu'il plaist à la premiere raison de la tourner, mais elle a en elle un amour naturellement imprimé de ce premier et principal estre, qui n'est autre chose que le bien souverain, et le poursuit et desire, et au contraire elle fuit et repoulse la partie du mal, bien qu'elle soit la matiere et la place idoine et capable de recevoir l'une et l'autre, mais de soy-mesme elle incline tous jours plus tost au bien, et se baille plus tost à engendrer et à semer en elle des semblances et decoulements, car elle prent plaisir et se resjouit quand elle est engrossie du bien, et qu'elle en peult enfanter : car cela est une representation et description de substance engendrée en la matiere, et n'est cela que une figuration et imitation de ce qui est.
LIII. Voilà pourquoy ce n'est point hors de propos qu'ils faignent que l'ame d'Osiris soit eternelle et immortelle, et que Typhon en deschire bien souvent et perd le corps, et que Isis errant çà et là, le va cherchant et rassemblant les pieces : car ce qui est bon et spirituel, consequemment n'est point aucunement subject à mutation ou alteration, mais ce qui est sensible et materiel, il moule plusieurs images, et reçoit plusieurs raisons et plusieurs similitudes, ne plus ne moins que les seaux et figures qui s'impriment en cire ne demolirent pas tousjours, ains sont subjectes à changement, alteration, et à trouble, lequel a esté chassé de la superieure region celeste, et envoyé en bas, où il combat à l'encontre d'Orus, que Isis engendre sensible, estant l'image du monde spirituel et intellectuel. C'est pourquoy on dit que Typhon l'accusa de bastardise, comme n'estant pas pur et sincere, comme est son pere, le discours de l'entendement, qui est simple non meslé d'aucune passion, ains est cestuy cy abastardy et adulteré, à cause qu'il est corporel : à la fin demeurent les victoires à Mercure, qui est le discours de la raison, qui nous tesmoigne, et nous monstre que la nature a produit ce monde materiel, à la forme du spirituel et intellectuel.
LIV. Car la naissance d'Apollo, qui fut engendré d'Isis et d'Osiris lors que les dieux estaient encore dedans le ventre de Rhea, signifie couvertement que devant que ce monde fust manifestement mis en evidence, et que la matiere de la raison fust parachevée, qui par nature estoit convaincue d'estre imparfaitte, la premiere generation estoit desjà faitte, et c'est ce qu'ils appellent l'ancien Orus, car ce n'estoit pas encore le monde, mais une image et un desseing d'iceluy entendement, mais cestuy est l'Orus determiné, definy et parfaict, qui ne tua pas du tout entierement Typhon, ains luy osta la force et la puissance de pouvoir plus rien faire. D'où vient qu'en la ville de Coptus on dit, que l'image de Orus tenoit en l'une de ses mains le membre viril de Typhon : et faint on aussi que Mercure luy osta ses nerfs, dont il feit des chordes à sa lyre : nous enseignans par cela que la raison a mis d'accord tout ce qui au paravant estoit en discord, et ne tollit pas du tout entierement la puissance de perdre et de corrompre, ains la remplit et parfait : dont procede qu'elle est foible et debile, se meslant et attachant aux parties subjectes à mutation et alteration : de tremblements et de concussions en la terre, et de grandes ardeurs et vents extraordinaires et excessifs, et aussi de foudres, tonnerres et esclairs qu'elle produit en l'air et empoisonne de pestilence les eaux et les vents de l'air, s'escendant et levant la teste jusques au ciel de la lune, obscurcissant et noircissant bien souvent ce qui de sa nature est clair et luysant : comme les Ægyptiens cuident, et disent que Typhon tantost a donné un coup sur l'œil à Orus, et tantost luy a arraché et l'a avallé, et puis l'a rendu au soleil, car par le coup ils entendent couvertement le decours de la lune, qui se fait par chasque moys, et par la privation totale de l'œil, l'eclipse et default de la lune, à laquelle le soleil remedie, en la reilluminant aussi tost comme elle est sortie de l'ombre de la terre.
LV. Mais la principale et divine nature est composée de trois choses, de l'entendement, et de la matière, et du composé de ces deux choses, que nous appellons le monde. Or Platon appelle cest intellectuel l'idée, le patron et le pere : la matiere il la nomme la mer, la nourrice et le fondement, et la place de la generation : ce qui est produit de ces deux, il a accoustumé de l'appeller l'engendré et l'enfanté. Et pourroit on à bon droict conjecturer, que les Ægyptiens auroient voulu comparer la nature de l'univers au triangle, qui est le plus beau de tous, duquel mesme il semble que Platon ès livres de la republique use à ce propos en composant une figure nuptiale, et est ce triangle de ceste sorte, que le costé qui fait l'angle droict est de trois, la base de quatre, et la troisieme ligne, qu'on appelle soubtendue, est de cinq, qui a autant de puissance comme les deux autres qui font l'angle droict : ainsi fault comparer la ligne qui tombe sur la base à plomb au masle, la base à la femelle, et la soubtendue à ce qui naist des deux, et Osiris au principe, Isis à ce qui le reçoit, et Orus au composé des deux : car le nombre ternaire est le premier non pair, et parfaict, le quatre est nombre quarré, composé du premier nombre pair, qui est deux : et cinq ressemble partie à son pere et partie à sa mere, estant composé du deux et du trois : et si semble que ce mot de Pan, qui est l'univers et le monde, soit derivé de Penté, qui signifie cinq, et si Pempasasthai signifioit ancienement nombrer : qui plus est le cinq en soy multiplié fait un quarré, qui est vingt cinq, autant comme les Ægyptiens ont de lettres en leur alphabet, et autant comme Apis vescut d'années.
LVI. Ils ont doncques accoustumé d'appeller Orus Kaemin, qui vault autant à dire comme veu, pource que ce monde est sensible et visible : et Isis aucunefois s'appelle Mouth, et quelquefois Athyri ou Methyer, et entendent par le premier mere, et par le second la belle maison d'Orus, comme Platon l'appelle, le lieu de generation, et recevant ; le troisieme est composé de plein et de cause, car la matiere est pleine du monde, estant mariée au premier principe bon, pur, et bien orné : et pourroit sembler que le poëte Hesiode, disant que toutes choses au commancement estoient le chaos, la terre, le tartare, et l'amour, se fondoit sur mesmes principes qui sont signifiez par ces noms là, et qu'il entend parla terre Isis, par l'amour Osiris, et par le tartare Typhon, car par le chaos il semble qu'il veuille entendre quelque place et quelque endroit du monde : et semble que les affaires mesmes appellent aucunement la fable de Platon, que Socrates recite au livre du convive, là où il expose la generation de l'amour, disant que Penia, c'est à dire pauvreté, desirant avoir des enfans, s'alla coucher au long de Porus, c'est à dire richesse, qui dormoit, et que ayant esté engrossie de luy, elle enfanta amour, qui de sa nature est meslé et divers en toutes sortes, comme celuy qui est né d'un pere bon, sage, et ayant tout ce qui luy fait besoing, et d'une mere pauvre, indigente, et qui pour son indigence appete autruy, et est tousjours après à le chercher et requerir : car Porus n'est autre chose que le premier aimable, desirable, parfaict, et n'ayant besoing de rien : et appelle Penia la matiere, qui de soy mesme est tousjours indigente du bien, par lequel elle est remplie, et qu'elle desire et participe tousjours : et celuy qui est engendré d'eulx, Orus (c'est le monde) n'est point immortel, ny impassible, ny incorruptible, ains tousjours engendrant tasche à faire par vicissitude de mutations, et par revolution de passion de demourer tousjours jeune, comme si jamais ne devoit perir.
LVII. Or se fault il servir des fables, non comme de propos qui realement subsistent, ains en prendre ce qui par similitude convient à chascun. Quand doncques nous-disons la matiere, il ne fault pas en le referant aux opinions de je ne sçay quels philosophes, estimer que ce soit un corps sans ame, sans qualité, qui demeure quant à soy oysif sans action quelconque, car nous appellons l'huile la matiere d'un parfum, et l'or la matiere d'une statue-d'or, combien qu'ils ne soient pas de tout poinct hors de toute similitude : aussi disons nous que l'ame mesme et l'entendement de l'homme est la matiere de la vertu et de la science, et les baillons à former, dresser, et accoustrer par la raison, et y en a eu quelques uns qui ont dit que l'entendement estoit le propre lieu des especes et le moule des choses intelligibles.
LVIII. Comme aussi y a il quelques naturels qui tienent que la semence de la femme n'a point de force de principe constituant en la generation de l'homme, et ne sert que de matiere et de nourriture seulement : suivant lesquels il faut aussi entendre que ceste deesse ayant fruition du premier dieu, et le hantant continuellement pour l'amour des biens et vertus qui sont en luy, ne luy resiste point, ains l'aime comme son mary juste et legitime : comme nous disons que une honeste femme qui jouit ordinairement de son mary, ne laisse pas pour cela de l'aimer et desirer, aussi ne laisse elle pas à estre enamourée de luy, bien qu'elle soit tousjours avec luy, et qu'elle soit remplie de ses principales et plus sinceres parties : mais là où Typhon sur la fin y survient, elle s'en fasche et s'en contriste, et pour ce, dit on, qu'elle en demene deuil, et qu'elle recherche quelques reliques et quelques pieces d'Osiris, lesquelles quand elle en peut trouver, elle les reçoit et recueille soigneusement, et les cache diligemment, comme de rechef elle en monstre et en produit d'autres d'elle mesme : car les raisons, les idées et les influences de dieu qui sont au ciel et aux estoilles, y demourent quant à cela : mais celles qui sont semées parmy les corps sensibles et passibles en la terre et en la mer, et sont attachées aux plantes et aux animaux, y estans amorties et ensepvelies, se resveillent et ressuscitent aucunefois par generation : voilà pourquoy la fable dit, que Typhon coucha avec Nephthys, et que Osiris aussi à la derobée eut sa compagnie, car la puissance de perdre et amortir occupe principalement les dernieres parties de la matiere que lon appelle Nephthys et mort, et la vertu generative et conservatrice y donne bien peu de semence foible et debile, estant perdue et amortie par Typhon, sinon en tant que Isis la recueillant la conserve, et la nourrit et maintient, mais universellement cestuy-cy vault mieux, comme Platon et Aristote sont d'opinion, et la puissance naturelle d'engendrer et de conserver se meut devers luy, comme devers l'estre, et celle de perdre et de gaster arriere de luy vers le non estre : c'est pourquoy ils appellent l'un Isis, qui est un mouvement animé et sage, estant le mot derivé de Jesthai, qui signifie mouvoir par certaine science et raison, car ce n'est point un mot barbaresque : mais ainsi que le nom general de tous dieux et de toutes deesses qui est Theos, est dit, ou de Theaton ou de Tbeon, dont l'un signifie visible, et l'autre courant : aussi et nous et les Ægyptiens avons appellé ceste deesse Isis, et de la science ensemble et du mouvement : ainsi dit Platon que les anciens qui l'ont appellée Isia, ont voulu dire Osia, c'est à dire saincte, comme Noesis et Phronesis qui sont mouvement de l'entendement et du jugement, et ont aussi imposé ce mot Syniénai à signifier ceux qui ont trouvé et qui voient à descouvert le bien et la vertu, comme aussi ils ont ignominieusement denommé de noms contraires les choses qui empeschent, gardent et arrestent le cours des choses naturelles, et ne les laissent aller, en les nommant Kakia vice, Aporia indigence, Dilia lascheté, Ania douleur, comme gardant Jenai ou Jesthai, c'est à dire, d'aller en avant.
LIX. Quant à Osiris c'est un nom compose de Osios et Jeros, c'est à dire sainct et sacré : car c'est la raison ou idée commune des choses qui sont au ciel, et en bas, dont les anciens avoient accoustumé de nommer les unes sainctes, et les autres sacrées, et la raison qui monstre les choses celestes, et le cours des choses qui se meuvent là sus, s'appelle Anubis, et quelquefois Hermanubis, l'un comme convenable à celles de là sus, et l'autre à celles de çà bas, pourtant sacrifient ils à l'un un coq blanc, et à l'autre un jaune, pour ce qu'ils estiment les choses de là sus pures, simples et luisantes, et celles de ça bas meslées et de diverses couleurs, et ne se faut pas esmerveiller si lon a deguisé les termes à la façon des mots Grecs : car il y en a infinis autres qui ont esté transportez de la Grece avec les hommes qui en sont autrefois sortis, et y demeurent encore jusques aujourd'hui, comme estrangers, hors de leurs pais, entre lesquels il y en a aucuns qui sont cause de faire calomnier les poètes, qui les rappellent en usage, comme s'ils parloient barbaresquement, par ceux qui appellent telles dictions poetiques et obscures Glottas, qui est à dire langues : mais ès livres que lon appelle de Mercure, on dit qu'il y a escript touchant les noms sacrez, que la puissance ordonnée sur la revolution du soleil, les Ægyptiens l'appellent Orus, et les Grecs Apollon, et celle qui est ordonnée sur le vent, aucuns l'appellent Osiris, les autres Sarapis, les autres en Ægyptien Sothi, qui signifie estre grosse ou engrossement : d'où vient que par un peu de la depravation de langage l'estoille caniculaire a esté nommée Kyon, qui vaut autant à dire comme chien, caniculaire, laquelle on estime propre à Isis : bien sçay je qu'il ne faut point estriver touchant les noms, toutefois je cederois plus tost aux Ægyptiens de ce mot Sarapis que de Osiris : celuy là est estranger, et cestuy-cy Grec, mais l'un et l'autre signifie une mesme puissance de la divinité.
LX. A quoy se rapporte le langage des Ægyptiens, car bien souvent ils appellent Isis du nom de Minerve, qui signifie en leur langue autant comme, je suis venu de moy mesme : qui monstre et donne à entendre un volontaire mouvement : et Typhon, comme nous avons dit, se nomme Seth, Bebon, et Smy, tous lesquels noms signifient un arrest violent et empeschant une contrarieté, et un devoyement et destournement. Davantage ils appellent la pierre de l'aimant l'os de Orus, et le fer l'os de Typhon, ainsi que l'escrit Manethus : car ainsi comme le fer semble quelquefois suivre, et se laisser tirer à l'aimant et bien souvent aussi se retourne et repoulse à l'encontre : aussi le bon et salutaire mouvement qui à la raison du monde convertit et amene à soy, et adoulcit par remonstrances de bonnes paroles celle dureté de Typhon, mais aussi quelquefois elle rentre en soy mesme, et se cache et profonde en impossibilité. Davantage Manethus dit, que les Ægyptiens feignent de Jupiter, que ses deux cuisses se prirent et unirent tellement ensemble, qu'il ne pouvoit plus marcher, en sorte que de honte il se tenoit en solitude, mais que Isis les luy couppa et les divisa d'ensemble, tellement qu'elle le feit marcher droit à son aise.
LXI. Laquelle fable donne couvertement à entendre que l'entendement et la raison de dieu marchent invisiblement, et secretement procedent à generation par mouvement : ce que monstre et donne taisiblement à entendre le seistre, (qui est la cresserelle d'aerain dont on use ès sacrifices d'Isis), qu'il faut que les choses se secouent, et ne cessent jamais de se remuer, et quasi s'esveillent et se croulent comme si elles s'endormoient ou languissoient : car ils disent qu'ils destournent et repoulsent Typhon, avec ses seistres, entendans que la corruption liant et arrestant la nature, le mouvement de rechef la deslie, releve et remet sus par la generation. Et ceste cresserelle estant ronde par dessus sa curvature contient quatre choses qui se secouent : car la portion du monde qui naist ou qui meurt, c'est à dire, subjecte à corruption et alteration, est contenue par la sphaere de la lune, au dedans de laquelle toutes choses s'emeuvent et se changent par les quattre elemens, du feu, de la terre, de l'eau, et de l'air : et sur la rondeur du seistre au plus haut ils y engravent la figure d'une chatte, ayant la teste d'un homme, et au dessoubs des choses que lon secouë, quelquefois ils y engravent le visage d'Isis, et quelquefois celuy de Nephtys, signifians par ces deux faces la naissance et la mort, car ce sont les mutations et motions des elemens : et par la chatte ils entendent la lune, à cause de la varieté de sa peau, qu'elle besongne la nuict, et qu'elle porte beaucoup, car on dit qu'elle porte premierement un chaton à la premiere portée, puis à la seconde deux, à la troisieme trois, et puis quatre et puis cinq, jusques à sept fois, de fait qu'elle en porte en tout vingthuict, autant comme il y a de jours de la Lune : ce qui à l'advenfure est fabuleux, mais bien est veritable que les prunelles de ses yeux se remplissent et s'eslargissent en la pleine lune, et au contraire s'estroississent et se diminuent au decours d'icelle : et quant au visage d'homme qu'ils luy baillent, ils entendent par là la subtilité ingenieuse et de grand discours des mutations de la lune.
LXII. Et pour estraindre tout ce propos en peu de paroles, la raison veut que nous n'estimions point, ny que le Soleil, ny l'eau, ny que la terre, ny le ciel, soient Isis ou Osiris, ny semblablement aussi que la seicheresse, l'ardeur excessive de chaleur, ny le feu, ny la mer, soient Typhon, mais simplement tout ce qui est en telles choses demesuré, inconstant, desordonné, tant en excès qu'en defaut. il le faut attribuer à Typhon, et au contraire tout ce qu'il y a de bien disposé, bien ordonné, de bon et de profitable, il nous faut croire que c'est œuvre d'Isis, et l'image, l'exemple et la raison d'Osiris : et en l'honorant et adorant de ceste sorte, nous ne pecherons point, et qui plus est nous osterons toute la defiance et doubte d'Eudoxus, qui demande pourquoy c'est que Ceres n'a aucune part de la superintendence des amours, et qu'on la donne toute à Isis, et pourquoy Bacchus ne peut ny augmenter et croistre le Nil, ny commander aux morts : car pour dire une raison generale et commune, nous estimons que ces dieux là ont esté ordonnez pour la portion du bien, et que tout ce qu'il y a en la nature de beau ou de bon est par la grace et par le moyen de ces deitez là, l'un qui en donne les premiers principes, et l'autre qui les reçoit et qui demeure perseverante.
LXIII. Et par mesme moyen satisferons à la commune et aux mechaniques, qui se delectent en des changemens des saisons de l'année, ou bien de la procreation, semailles et labourages des fruicts qui approprient et accommodent les propos de ces dieux là, à ce en quoy ils prennent plaisir, disans que lon ensepvelit Osiris quand on couvre la semence dedans la terre, et que de rechef il ressuscite et retourne en vie quand il commance à germer : et que c'est pource que lon dit, que quand Isis se sentit enceinte elle s'attacha au col un preservatif le sixieme jour du mois qu'ils appellent Phaophi, et qu'elle enfanta Harpocrates environ le solstice de l'hyver, n'estant pas encore à terme avec les premieres fleurs et premiers germes : voylà pourquoy on luy offre les premices des lentilles, et solennise lon les jours feriaux de ses couches après l'equinocce de la prime vere. Car quand les hommes populaires entendent cela, ils y prennent plaisir et le croient, prenans la verisimilitude pour le croire des choses ordinaires, et qui nous sont tous les jours à la main.
LXIV. Et n'y a point d'inconvenient premierement qu'ils nous facent les dieux communs, et non pas propres et particuliers aux Ægyptiens, et qu'ils ne comprennent pas seulement le KNil et la terre que le Nil arroze, soubs ces noms là, ny en nommant leurs lacs, leurs Alisiers, et la nativité des dieux, ils ne privent pas les autres hommes qui n'ont point de Nil, ny de Butus, ny de Memphis, et neantmoins recognoissent et ont en veneration la déesse Isis, et les dieux qui l'accompaignent, desquels ils ont depuis nagueres appris à nommer aucuns des noms mesmes des Ægyptiens : mais de tout temps ils ont eu la cognoissance de leur vertu et puissance, et à raison de ce les ont adorez.
LXV. Et secondement, qui est bien plus grande chose, à fin qu'ils craignent et se donnent bien garde de dissouldre et defiler, sans y penser, les divinitez en des rivieres, des vents, des labourages, et autres alterations de la terre, mutations de saisons et qualitez de l'air, comme font ceux qui tiennent que Bacchus soit le vin, Vulcain soit la flamme, et Proserpine, comme dit Cleanthes en un passage, soit l'esprit qui penetre dedans les fruicts de la terre, et comme un poëte dit touchant les moissonneurs,
Lors qu'à Ceres les jeunes jouvenceaux
Vont decouppant les membres à faisceaux.
Car ceux là ressemblent proprement à ceux qui cuident que les voiles, les chables et cordages ou l'ancre soient le pilote : et que les filets, la trame et l'estaim, et la navette, soient le tisserand : et que le gobelet, la ptisanne, ou l'hydromel, soient le medecin : mais en ce faisant ils s'impriment de mauvaises et blasphemes opinions à l'encontre des dieux, en donnant des noms des dieux à des natures et des choses insensibles, inanimées et corruptibles, dont ils se servent necessairement. et ne s'en sçauroient passer.
LXVI. Car il ne faut pas entendre que ces choses là elles mesmes soient dieux, pour ce que rien ne peut estre dieu qui n'a point d'ame, ne qui soit subject, ny soubs la main à l'homme : mais par ces choses là nous avons cogneu que ce sont les dieux qui les nous donnent perdurables, et qui nous les prestent pour nous en servir, non qu'ils soient autres en un païs, et autres en un autre, ne qu'ils soient Grecs ou estrangers Barbares, ny Septentrionaux et Meridionaux, ains comme le soleil et la lune, le ciel et la terre, et la mer, sont communs à tous, mais ils sont appellez de divers noms en divers lieux : ainsi d'une mesme intelligence qui ordonne tout le monde, et d'une mesme providence qui a soing de le gouverner, et des puissances ministeriales sur tout ordonnées, autres noms et autres honneurs selon la diversité des loix ont esté données, et usent les presbtres de marques et mysteres aucuns plus obscurs, autres plus clairs pour conduire nostre entendement à la cognoissance de la divinité : non sans peril toutefois, par ce que les uns ayans failly le droit chemin sont tombez en superstition, et les autres fuyans la superstition comme si c'estoit un marets, ne se donnent de garde qu'ils tombent dedans le precipice d'impieté.
LXVII. Et pourtant faut il en cela prendre la raison de la philosophie, qui nous guide en ces sainctes contemplations, pour dignement et religieusement penser de chasque chose qui s'y dit et qui s'y fait, à fin qu'il ne nous adviene comme à Theodorus, qui disoit que la doctrine qu'il tendoit de la main droitte, aucuns de ses auditeurs la prenoient et recevoient de la main gauche : aussi que prenans en autre sens et en autre part qu'il ne convient, ce que les loix ont ordonné touchant les festes et les sacrifices, nous ne faillions lourdement : car que toutes choses se doivent en cela rapporter à la raison, on le peut veoir et cognoistre par eux mesmes, car le dix-neufiéme jour du premier mois faisans feste à Mercure, ils mangent du miel et des figues, et disent en les mangeant, C'est une chose doulce que la verité.
LXVIII. Et quant au preservatif qu'ils faignent que Isis prit en sa groisse, on l'interprete, voix, veritable : et quant à Harpocrates il ne faut point penser que ce soit un dieu jeune et non encore d'aage parfait, ny aussi aucun homme, ains que c'est le superintendant et correcteur du langage que doivent les hommes tenir des dieux, estant encore jeune, imparfaict, et non bien articulé : c'est pourqnoy il tient un anneau au devant de sa bouche, qui est le signe et la marque de taciturnité et de silence. Et au mois de Mesori, luy apportans des legumages, ils disent, La langue est fortune, la langue est dæmon. Et de toutes les plantes qui sont en Ægypte, on tient que le pescher luy est consacré plus que nul autre, pour ce que son fruict resemble à un cœur, et sa feuille à une langue : car de toutes les choses qui sont naturellement en l'homme, il n'y en a pas une qui soit plus divine que le langage, et le parler, mesmement des dieux, ne qui le face plus approcher de sa beatitude : c'est pourquoy je conseille à tout homme qui vient par deçà à l'oracle, de sainctement, penser, et honestement parler : là où plusieurs ès processions et festes publiques font toutes choses dignes de mocquerie, et combien que lon y face cryer par voix des huissiers et herauts, que lon se taise et se tiene de mal parler, ils ne laissent pas de cacqueter des dieux, et de penser les plus deshonestes choses du monde.
LXIX. Comment doncques est ce que lon se comportera ès sacrifices tristes et sentans leur deuil, où il est prohibé de rire, s'il n'est licite ny de laisser et omettre rien des cerimonies accoustumées, ny de mesler les opinions des dieux, ny les brouiller et confondre de suspicions faulses? Les Grecs en font de presque semblables, et presque en un mesme temps que les Ægyptiens : car en la feste des Thesmophories à Athenes, les femmes jeunent assises sur la terre, et les Bœotiens remuent les maisons d'Achaia, qu'ils'appellent Ceres, nommans ceste feste là odieuse, comme si Ceres estoit en tristesse pour la descente de sa fille aux enfers, et est ce mois là, celuy auquel apparoissent les Pleiades, et que lon commance à semer, que les Ægyptiens appellent Athyr, et les Atheniens Pyanepsion, et les Bœotiens le nomment Damatrien, comme qui diroit Cereal.
LXX. Et Theopompus escrit, que ceux qui habitent vers l'Occident estiment et appellent l'hyver Saturne, l'esté Venus, la prime vere Proserpine, que de Saturne et de Venus toutes choses ont esté engendrées : et les Phrygiens cuydans que dieu dorme l'hyver, et que l'esté il veille, ils celebrent en une saison la feste du dormir, et à l'autre du resveil de dieu : mais les Paphlagoniens disent qu'il est retenu prisonnier, et qu'il est lié en hyver, et que à la prime vere il est deslié, et commance à se mouvoir, et nous donne la saison occasion de souspeçonner, que la triste chere qu'ils font c'est pour ce que les fruicts sont cachez, lesquels fruicts les anciens jadis n'estimoient pas estre dieux, ains des dons utiles et necessaires pour vivre civilement, et non sauvagement et bestialement : mais en la saison qu'ils voyoient les fruicts des arbres disparoir et defaillir totalement, et ceux qu'ils avoient eux mesmes semez, ils les remettoient encore en terre, en fendant la terre bien petitement et bien maigrement avec leurs propres mains, sans autrement estre asseurez de ce qui en devoit succeder et venir à perfection : ils faisoient beaucoup de choses semblables à ceux qui inhument les corps en terre, et qui portent le deuil.
LXXI. Et puis ainsi que nous disons que celuy qui achette les livres de Platon achette Platon, et disons que celuy là jouë Menander qui jouë les comaedies de Menander : aussi eux ne faignoient point d'appeller des noms des dieux les dons ou les inventions d'iceux, en les honorant et reverant pour le besoing qu'ils en avoient : mais les survivans prenans cela lourdement, et le retournans ignorantement, attribuoient aux dieux mesmes les accidens de leurs fruicts, et non seulement appelloient la presence des fruicts : la naissance des dieux, et l'absence le trespas d'iceux, mais aussi le croyoient et le tenoient ainsi, tellement qu'ils se sont remplis eux mesmes de plusieurs mauvaises et confuses opinions des dieux, encore qu'ils eussent la faulseté et absurdité de leurs opinions toute evidente devant leurs yeux, non seulement Xenophanes le Colophonien, et autres qui ont depuis admonesté les Ægyptiens s'ils les estimoient dieux, qu'ils ne les lamentassent point : et s'ils les lamentoient, qu'ils ne les estimassent point dieux : mais aussi que c'estoit une vraye mocquerie, en les lamentant les prier de leur ramener de rechef de nouveaux fruicts, et les faire venir à maturité, à fin que de rechef ils les consumassent, et de rechef les plorassent et lamentassent. Mais cela ne va pas ainsi, car ils plorent et lamentent leurs fruicts qu'ils ont consumez, et prient les au autheurs et donateurs d'iceux, de leur en donner et faire croistre de rechef d'autres nouveaux au lieu de ceux qui sont faillis.
LXXII. Voylà pourquoy c'est que les Philosophes disent très bien, que ceux qui n 'ont pas appris à bien prendre les paroles, usent aussi mal des choses comme, pour exemple, les Grecs qui n'ont pas appris ny accoustumé d'appeller les statues de bronze ou de pierre, et les images painctes, statues et images faittes à l'honneur des dieux, mais dieux mesmes, et puis prennent la hardiesse de dire, que Lachares despouilla Pallas, et Dionysius le tyran tondit Apollo qui avoit une perruque d'or, et Jupiter capitolin durant les guerres civiles fut bruslé et consumé par le feu : et ne se donnent pas garde en ce faisant qu'ils attirent et reçoivent de faulses opinions qui suyvent ces noms là : mesmement les Ægyptiens entre toutes autres nations, touchant les bestes qu'ils honorent. Car quant aux Grecs ils disent bien en cela, et croyent que la colombe est oyseau sacré à Venus, le dragon à Minerve, le corbeau à Apollo, et le chien à Diane, comme dit Euripide,
Diane qui chasse la nuict,
Le chien est son plaisant deduit.
LXXIII. Mais les Ægyptiens, au moins la plus part, entretenans et honorans ces animaux là, comme s'ils estoient dieux eux mesmes, ils n'ont pas seulement remply de risée et de mocquerie leur service divin, car cela est le moins de mal qui soit en leur ignorance et sottise, mais il s'en engendre ès cœurs des hommes une forte opinion, qui attire les simples et infirmes en une pure superstition, et jette les hommes aigus d'entendement ou audacieux en pensemens bestiaux et pleins d'impieté : c'est pourquoy il ne sera pas mal à propos de dire en passant de cela ce qui en est plus vraysemblable.
LXXIV. Car de penser que Typhon ait mué les dieux espouventez ès corps de ces bestes là, comme se cachans dedans les corps des cigognes, des chiens, ou des esparviers, cela surpasse toute monstruosité de fiction et de fables : et semblablement de dire que les ames de ceux qui trespassent, demeurans encore en estre, renaissent seulement ès corps de ces animaux là, il est aussi hors de toute verisimilitude : et quant à ceux qui en veulent rendre quelques causes et raisons civiles, les uns disent que Osiris en son grand exercite, ayant departy sa puissance en plusieurs bandes et compaignies, il leur donna à chascune pour enseignes des figures d'animaux, desquels chascune bande depuis honora et eut en veneration le sien, comme chose saincte. Les autres disent que les roys successeurs d'Osiris pour espouventer leurs ennemis, porterent en battaille le devant de telles bestes faictes d'or et d'argent sur leurs armes. Les autres alleguent qu'il y eut quelque roy advisé et caut, qui cognoissant que les Ægyptiens de leur nature estoient legers et prompts à se revolter, et à emouvoir seditions, et que pour leur grande multitude ils seroient mal-aisez à contenir et à deffaire s'ils estoient bien conseillez, et qu'ils s'entr'entendissent les uns avec les autres, il sema parmy eux une eternelle superstition, laquelle leur seroit occasion d'inimitié et dissension qui ne finiroit jamais entre eux : car leur ayant commandé de reverer des bestes qui avoient naturelle inimitié et guerre continuelle les unes contre les autres, voire qui s'entre-mangeoient les unes les autres, chasque peuple voulant secourir les sienes, et se courrouceant quand on leur faisoit desplaisir, ils ne se donnerent garde qu'ils se tuerent eux mesmes pour les inimitiez qui estoient entre les animaux qu'ils adoroient, et qu'ils s'entre-haïrent mortellement les uns les autres : car jusques aujourd'huy encore, il n'y a que les Lycopolites qui mangent du mouton, pource que le loup, qu'ils venerent comme un dieu, est son ennemy : et jusques à nostre temps les Oxyrinchites, pour autant que les Cynopolites, c'est à dire, les habitans de la ville du chien, mangent le poisson qui se nomme Oxyrinchos, comme qui diroit bec-agu, quand ils peuvent attrapper un chien ils le sacrifient, comme une hostie, et le mangent : et pour ceste occasion ayans emeu la guerre les uns contre les autres, ils s'entrefeirent beaucoup de maux, et depuis en ayans esté chastiez par les Romains, ils s'appointerent.
LXXV. Et pour autant que le vulgaire dit, que l'ame de Typhon mesme fut decouppée en ces animaux là, il sembleroit que ceste fiction voudroit dire, que toute mauvaise, bestiale, et sauvage nature, est et procede du mauvais dæmon, et que pour le pacifier et addoucir qu'il ne leur face mal, ils honorent et reverent ainsi ces bestes là. Et si d'adventure il advient une grande ardeur, et mauvaise seicheresse qui cause des maladies pestilentes, ou d'autres calamitez estranges et extraordinaires,les presbtres amenent quelque une des bestes qu'ils servent et honorent de nuict en tenebres, sans en faire bruit ny en rien dire : et la menassent du commancement et luy font peur, puis si le mal continue ils la sacrifient et la tuent, estimant que cela soit comme une punition et chastiement du mauvais dæmon, ou quelque grande purgation qui se fait pour notables inconveniens : car mesme en la ville de Idithya, ainsi que Manethon recite, ils brusloient des hommes vifs, et les appelloient les Typhoniens, et en sassant par un tamis les cendres, les dissipoient et semoient çà et là, mais cela se faisoit publiquement et manifestement à certain temps, et ès jours qu'ils appelloient Cynades : mais les immolations des bestes qu'ils avoient pour sacrées, se faisoient secrettement, et non à certain temps ny à jours prefix, ains selon les occurrences des inconveniens qui advenoient : et pourtant le commun peuple n'en sçait ny n'en voit rien, sinon quand ils les ont inhumées, et qu'en presence de tout le peuple ils en monstrent quelques unes des autres, et les jettent quant et quant, pensans que cela attriste en contr'eschange Typhon, et reprime la joye qu'il a de mal faire.
LXXVI. Car il semble que Apis avec quelque peu d'autres animaulx soit consacré à Osiris, combien qu'ils luy en attribuent la plus part : et si ce propos est veritable, je pense qu'il signifie ce que nous cherchons, et ceulx qui sont de tous confessez, et qui ont honneurs communs, comme la cigogne, l'esparvier, et le cynocephale, et Apis mesme, car ainsi appellent ils le bouc en la ville de Mendes. Il reste doncques l'utilité et la marque significative, car les uns participent de l'une des raisons, et les autres des autres : car le bœuf, le mouton et l'ichneumon, il est certain qu'ils les honorent pour l'utilité et pour le profit qu'ils en reçoivent, comme les habitans de Lemnon honorent les alouëttes, pour ce qu'elles trouvent les œufs des sauterelles, et les quassent : et les Thessaliens semblablement les cigognes, pour autant que leurs terres ayants produit grand nombre de serpens, les cigognes qui survindrent les feirent tous mourir, à raison dequoy ils feirent un edict que quiconque tueroit une cigogne il seroit banny du païs. Et l'aspic, la belette, et l'escharbot, d'autant qu'ils voyoient en eux ne sçay quelles petites images reluire de la divinité, comme nous appercevons le corps du soleil en une goutte d'eau, car il y en a beaucoup qui cuident encore, et le disent, que la belette s'accompagne avec son masle et qu'elle fait ses petits par la bouche, et disent que c'est une figure et representation de la parole qui se forme et procede de la bouche. Et quant aux escharbots ils tienent, qu'en toute leur espece il n'y a point de femelle, et que tous les masles jettent leur semence dedans une certaine matiere qu'ils forment en faconde boule, laquelle ils poulsent à reculons, comme il semble que le soleil tourne le ciel au contraire de luy, qui a son mouvement de l'Occident en Orient : et l'aspic pource qu'il ne vieillit point, et qu'il se remue sans instruments de mouvement avec une grande facilité, vistesse et soupplesse, et pour ce l'ont ils comparé à l'astre du soleil. Le crocodile mesme n'a point esté par eux honoré sans quelque occasion vraysemblable, ains disent qu'il est en certaine chose l'image de dieu, car il est seul entre tous les animaux qui n'a point de langue, à cause que la parole divine n'a point besoing de voix ny de langue,
Ains cheminant par le sentier sans bruit
De la justice, à droict le tout conduit.
Et dit on que de toutes bestes qui vivent en l'eau, il n'y a que luy seul qui ait sur les yeux une taye bien deliée et transparente, qu'il fait descendre de son front, et en couvre ses yeux, tellement qu'il voit sans estre veu, en quoy il est conforme au premier des dieux : et l'endroit où la femelle se descharge de son petit, c'est le bout dernier de la croissance et regorgement du Nil, car ne pouvans enfanter dedans l'eau, et craignans en accoucher loing, elles presentent si exquisement et si parfaittement ce qui en doit advenir, qu'elles se servent du Nil qui s'approche d'elles, quand elles pondent leurs œufs, et qu'elles les couvent, et neantmoins maintienent et contregardent leurs œufs secs sans estre baignez de la riviere : elles en pondent soixante, et les pondent en autant de jours, et vivent autant d'années ceulx qui vivent le plus longuement, qui est le premier et principal nombre, duquel se servent plus ceux qui traittent des choses du ciel.
LXXVII. Au demourant quant aux animaux qui sont honorez pour toutes les deux causes, nous avons jà au paravant parlé du chien, mais la cigogne noire oultre ce qu'elle tue les petits serpenteaux, dont la morsure est mortelle, elle est celle qui la premiere a enseigné l'usage de la purgation et evacuation medicinale du clystere, parce que lon appercoit qu'elle se lave, purge et nettoye elle mesme de ceste sorte : et les plus experimentez et plus religieux des presbtres, quand ils se veulent sanctifier, prennent de l'eau où la cigogne a beu, pour s'en asperger, car elle ne boit jamais eau corrompue ny empoisonnée, ny n'en reçoit point : et de ses deux jambes eslargies, et de son bec, elle fait un triangle de costez egaulx : et davantage la diversité et meslange des plumes blanches avec les noires represente la lune, quand elle a passé le plein.
LXXVIII. Et ne se fault pas esmerveiller si les Ægyptiens se sont contentez de si legeres et petites similitudes avec les dieux, car les Grecs mesmes tant en paintures que mouleures et sculptures, ont usé souvent de telles conferences et similitudes : comme en la Candie il y avoit une statue de Jupiter qui n'avoit point d'aureilles, pource que à celuy qui est seigneur et maistre de tout il ne convient point estre instruit par ouir aucun : et à celle de Pallas Phidias y adjousta le dragon, et à l'image de Venus en la ville d'Elide, une tortue, pour donner à entendre, « Que les filles ont besoing d'estre soigneusement gardées, et les femmes mariées se doivent tenir en la maison, et garder silence » : et le trident de Neptune signifie le troisieme lieu que tient la mer après le ciel et l'air, et pour ceste mesme occasion ils appelloient la mer Amphitrite, et les petits dieux marins des Tritons : et les Pythagoriens ont bien honoré les nombres et les figures geometriques de noms des dieux, car le triangle à costez egaulx, ils l'appelloient Pallas née du cerveau de Jupiter, et Tritogenia, pour autant qu'il se divise egalement avec trois lignes droictes tirées à plomb, de chascun des angles : et Un, ils l'appelloient Apollon,
Tant pour la grace à persuader vive,
Que la jeunesse en unité naifve :
et le Deux, contention et audace : et le Trois, justice : car offenser et estre offensé, faire ou souffrir tort, se fait l'un par excès et l'autre par default, le juste demeure au milieu en egalité : et le nombre qu'ils appelloient Tetractys, qui estoit trente et six, c'estoit leur plus grand serment, comme il est en la bouche d'un chascun : et s'appelle le monde composé des quatre premiers nombres pairs, et des quatre premiers non pairs, assemblez ensemble.
LXXIX. Si donc les plus excellents et plus renommez philosophes, ayant apperçeu ès choses qui n'ont ny corps ny ame quelque marque et figure de la divinité, ont estimé qu'il ne falloit en cela rien negliger ny despriser, et passer sans honneur, encore estime je qu'il le faille moins faire ès natures qui ont sentiment, et qui sont capables d'affections et de qualitez particulieres de doulceur de meurs. Il se fault doncques contenter, non pas d'honorer telles bestes, mais par elles la divinité qui reluit en elles, comme en un plus clair et plus reluysant miroir, qui est selon nature, àfin que nous les reputions comme instrument et artifice du dieu qui regit et gouverne tout ce monde. Et ne faut pas penser qu'aucune chose, n'ayant point d'ame ou point de sentiment, puisse estre plus digne ny plus excellente que celle qui a ame et qui a sentiment, non pas si lon mettoit tout tant qu'il y a d'or ny d'esmerauldes ensemble : car ce n'est point en couleurs ny en figures ou polissures que la divinité s'imprime, ains tout ce qui ne participe point de vie, ny ne fut onques de nature pour en participer, est de moindre et pire condition que les morts mesmes : mais la nature qui veit et qui voit, et qui en soymesme a le principe de mouvement et cognoissance de ce qui lui est propre, et de ce qui luy est estranger a tiré quelque influence et quelque part et portion de la providence, par laquelle cest univers est gouverné, comme dit Heraclitus. Et pourtant la divinité n'est pas moins representée en telles natures qu'en ouvrages faicts de bronze ou de pierre, lesquels sont aussi bien sujects à corruption et alteration, mais par nature ils sont privez de tout sentiment et de toute intelligence. Voilà l'opinion que je treuve de toutes la meilleure, quant aux animaux que lon honore.
LXXX. Au reste les habillements d'Isis sont de differentes taintures et couleurs, car toute sa puissance gist et s'emploie en la matiere, laquelle reçoit toutes formes, et se fait toutes sortes de choses lumiere, tenebres, jours, nuict, feu, eau, vie, mort, commancement, fin : mais ceux d'Osiris n'ont aucun umbrage, ny aucune varieté, ains sont d'une seule couleur simple, à sçavoir de la couleur de la lumiere, car la premiere cause et principe est toute simple sans meslange quelconque, estant spirituelle et intelligible : voylà pourquoy ils ne monstrent que une seule fois ces habillements là, et au demourant les resserrent et les gardent estroictement, sans les laisser voir ny toucher, là où au contraire ils usent souvent de ceux d'Isis, pource que les choses sensibles sont en usage, et les a lon tousjours entre les mains, et d'autant qu'elles sont subjectes à plusieurs alterations, on les desploye et regarde lon à plusieurs fois. Mais l'intelligence de ce qui est spirituel et intellectuel, pur et simple et sainct, reluisant comme un esclair, ne se donne à toucher et regarder à l'ame que une seule fois.
LXXXI. Voylà pourquoy Platon et Aristote appellent ceste partie de la philosophie epoptique, comme qui diroit visive ou visible, pource que ceux qui ont passé avec le discours de la raison toutes les matieres subjectes à opinions meslées et variables, saultent finablement à la contemplation de ce premier principe là simple, et qui n'a rien de materiel, et depuis qu'ils ont peu attaindre la pure verité d'iceluy : ils estiment que la philosophie achevée a attainct le dernier but de sa perfection. Et ce que les presbtres maintenant ont horreur de monstrer, et qu'ils tiennent couvert et caché avec si grand soing et diligence, ne le monstrant seulement que à cachettes en passant, que ce dieu commande et regne sur les trespassez, qui n'est autre dieu que celuy qui s'appelle Ades, en langage Grec, et Pluton, le commun peuple n'entendant pas comment cela est vray, s'en trouble, trouvans cela estrange que le sainct et sacré Osiris habite dedans la terre, ou soubs la terre, là où sont cachez les corps de ceux que lon estime estre venus à leur fin. Mais luy au contraire est bien loing de la terre, sans macule, sans tache ny pollution quelconque, pur et net de toute substance qui peult admettre aucune mort, ny aucune corruption.
LXXXII. Mais les ames des hommes, pendant qu'elles sont icy bas enveloppées de corps et de passions, ne peuvent avoir aucune participation de dieu, sinon d'autant qu'ils en peuvent attaindre de l'intelligence par l'estude de la philosophie, comme un obscur songe : mais quand elles seront délivrées de ces liens, et passées en ce lieu là sainct où il n'y a passion aucune, ny forme quelconque passible, alors ce mesme dieu est leur conducteur et leur roy, s'attachans le plus qu'il leur est possible à luy, et contemplans insatiablement, et desirans celle beauté qu'il n'est possible de dire ny d'exprimer aux hommes, de laquelle, selon les anciens contes, Isis fut jadis amoureuse, et l'ayant tant poursuyvie qu'elle en jouit, elle fut depuis remplie de toutes les choses belles et bonnes, qui peuvent estre engendrées en autruy. Voylà donc comment il en va quant à cela, selon l'interpretation qui est plus convenable aux hommes.
LXXXIII. Et s'il fault aussi parler des parfums que lon y brusle par chascun jour, selon que j'ay promis au paravant, il fault premierement supposer en son entendement, que les hommes ont accoustumé d'avoir principalement en singuliere recommandation les exercices qui appartiennent à leur santé, mesmement ès cerimonies de leur service divin, en leurs sanctifications, et en leur vivre ordinaire, où il n'y a pas moins d'esgard à la santé qu'à la saincteté, car ils n'estiment pas qu'il soit loysible ne bien seant de servir à l'essence qui est toute pure, sans aucune tare ny pollution ou corruption quelconque, avec des corps non plus que des ames gastez au dedans ou subjects à des maladies, et pour autant que l'air duquel nous usons le plus souvent, et dedans lequel nous sommes tousjours, n'est pas tousjours en semblable disposition ny mesme temperature, ains la nuict s'espessit, et comprime le corps, et fait retirer l'ame en ne sçay quelle tristesse et soucieuse façon, comme estant obscurcie de brouillais et appesantie, incontinent qu'ils sont levez ils encensent et allument de la resine pour nettoyer et purifier l'air par ceste rarefaction et subtilisation, eu resveillant par mesme moyen les esprits qui en noz corps sont comme languissans, et encore assopis par la force de ceste odeur, laquelle a je ne sçay quoy de vehement, et qui bat les sens. Et puis sur le midy, sentans que le soleil attire de la terre par son ardeur grande quantité de vapeur forte, ils allument alors de la myrrhe pour en parfumer l'air, car la chaleur de ce parfum là dissoult et dissipe ce qui est gros et espais et limonneux en l'air : mesme en temps de pestilence les medecins pensent y remedier en faisant de grands feus, ayants opinion que la flamme subtilise et rarefie l'air, ce qu'elle fait encore mieulx quand on y brusle des bois bien odorants, comme sont les cyprès, les genevres, et les sapins.
LXXXIV. Voylà pourquoy lon dit que le medecin Acron, du temps de la grande pestilence à Athenes, acquit grande reputation de ce qu'il ordonna que lon feist bon feu auprès des malades de peste, car il en sauva par cela plusieurs : et Aristote escrit, que les doulces senteurs et bonnes odeurs des parfums, des fleurs, et des prairies, ne servent pas moins à la santé, qu'au plaisir et à la volupté, par ce qu'elles destrempent et dissolvent avec leur chaleur et suavité la substance du cerveau, qui de sa nature est froide, et comme figée : et puis les Ægyptiens appellent le myrrhe bal, qui signifie autant comme dechassement de resverie, ce qui donne encore quelque confirmation à nostre dire.
LXXXV. Et quant au parfum qui s'appelle Cyphi, c'est une composition de seize ingredients, où il entre du miel, et du vin, des raisins de cabas, et du souchet, de la resine et de la myrrhe, de tribule et de seseli, de jonc odorant, de bitume, de la mousse et du lapathum, et oultre cela de deux sortes de grains de genevre, du grand et du petit, du cardamon et du calame, et les composent ensemble, non point à l'adventure, ainsi qu'il leur vient en fantasie, ains lit on des lettres sacrées aux parfumeurs ce pendant qu'ils les meslent ensemble. Et quant au nombre, encore qu'il soit carré et fait d'un autre carré, et que seul entre les nombres egalement egaux il face l'aire au dedans contenue egale aux unitez de sa circonference, si ne fault il pas penser qu'il face ny coopere rien en cela, mais plusieurs des simples qui entrent en ceste composition ayants vertus aromatiques, rendent une doulce haleine et une bonne vapeur, par laquelle l'air s'altere, et le corps s'emouvant souefvement et doulcement se prepare à reposer, et en prent une temperature attractive de sommeil, en laschant et desliant les liens des ennuis et soucis du jour, sans qu'il soit besoing d'yvresse pour les oster, lissant et polissant la partie imaginative du cerveau qui reçoit les songes, ne plus ne moins que un miroir, et le rendant plus pur et plus net, autant ou plus que les sons de la lyre et des instruments de musique, desquels usoient les Pythagoriens devant que se mettre à dormir, enchantans ainsi et entretenans la partie de l'ame irraisonnable, et subjecte aux passions : car les odeurs bien souvent suscitent et resveillent le sentiment qui default, et au contraire aussi bien souvent ils le rendent plus mousse, plus reposé et plus quoy, quand les senteurs aromatiques sont espandues et semées par le corps pour leur subtilité, ainsi comme aucuns medecins disent, que le dormir se forme en nous, c'est à sçavoir, quand la vapeur de la viande que nous avons prise, venant à ramper tout doulcement au long des parties nobles, par maniere de dire, les chattouille.
LXXXVI. Ils usent aussi de ceste composition de Cyphi en breuvage, car ils tienent qu'en le beuvant il purge et lasche le ventre : mais sans cela la resine est ouvrage du soleil, et cueille lon la myrrhe à la lune, des arbres qui la pleurent : mais des simples qui composent le Cyphi, il y en a qui aiment mieulx la nuict, comme ceulx qui sont nourris des vents froids, des ombrages, des rosées et humiditez, car la clarté et lumiere du jour est une et simple : et dit Pindare, que lon voit le soleil à travers l'air solitaire, là où l'air de la nuict est une composition et meslange de plusieurs lumieres et plusieurs puissances, comme plusieurs semences confluentes de plusieurs astres en un mesme corps : et pourtant à bon droict bruslent ils ces parfums là qui sont simples le jour, comme ceux qui sont engendrez par la vertu du soleil, et ceux cy comme estans meslez et de toutes sortes de diverses qualitez, ils les allument sur le commencement de la nuict.
I. Introduction. II. Étymologie des mots Isis et Typhon. III. En quoi consiste la vertu des prêtres Isiaques. IV. Leur accoutrement. V. Leur abstinence de vin. VI. De poisson. VII. Frugalité des anciens Égyptiens. VIII. Mystérieux dans le nom de leurs divinités. IX. Les plus sages de la Grèce étudient la doctrine des Égyptiens. X. Explication de divers hiéroglyphes. XII. Moyen d'éviter la superstition. XIII. Histoire mythologique d'Isis et d'Osiris : origine de ces divinités. XIV. Voyage d'Osiris, sa mort. XV. Isis cherche son mari. XVI. Nourrit l'enfant qu'il avoit eu de Nephté. XVII. Est admise à la cour du roi de Byblus, en sort et trouve le corps de son mari. XVIII. Usages des Égyptiens dans leurs festins. XIX. Le corps d'Osiris est partagé en quarante parties par Typhon : Isis les recueille et leur donne autant de sépultures. XX. Osiris apparaît à son fils Orus qui fait Typhon prisonnier. XXI. Vrai lieu de la sépulture d'Osiris. XXII. Première explication de cette histoire mythologique qui est toute appliquée à de grands hommes déifiés. XXIII. Seconde explication où tout est appliqué aux démons. XXIV. Opinion des anciens philosophes sur les démons. XXVI. Digression sur Sérapis. XXVIII. Continuation de la seconde explication. XXIX. Troisième explication tirée des causes physiques. XXXI. Digression sur la ressemblance d'Osiris et de Bacchus. XXXIII. Continuation de la troisième explication. XXXVI. Digression sur les explications allégoriques des stoïciens. XXXVII. Quatrième explication tirée des observations astronomiques. Époque de la mort d'Osiris. XXXVIII. Cinquième explication fondée sur l'observation des éclipses. XL. Jugement de Plutarque sur ces explications. XLI. Exposition de la doctrine des deux principes. XLVII. Sixième explication tirée de la doctrine des deux principes. XLVIII. Hiéroglyphes de Typhon. XLIX. D'Osiris. L. Fêtes égyptiennes. LII. Continuation de la sixième explication. LVII. Manière d'expliquer les fables. LVIII. Continuation de la sixième explication. LXII. Récapitulation de la sixième explication. LXIII. Elle réunit les avantages de toutes les autres. LXIV. Se concilie avec l'universalité du culte des divinités égyptiennes. LXV. Arrête les progrès de l'idolâtrie. LXVI. Opinion des plus sages païens sur la divinité. LXVII. Manière d'interpréter les cérémonies religieuses. LXVIII. On ne doit parler des dieux qu'avec respect. LXIX. Ressemblance des fêtes grecques et égyptiennes. LXX. Superstition de différents peuples. LXXI. Manière dont elle s'établit. LXXIII. Conduit à l'athéisme. LXXIV. Animaux sacrés chez les Égyptiens : raisons du culte qui leur a été rendu. LXXVIII. Superstition des Égyptiens comparée à celle des Grecs. LXXIX. Opinion de Plutarque sur le culte rendu aux animaux. LXXX. Raison des vêtements d'Isis et d'Osiris d'après la sixième explication. LXXXII. Ce qui nous empêche de comprendre ici-bas cette sixième explication. LXXXIII. Parfums en usage chez les Égyptiens.
D'ISIS ET D'OSIRIS.
I. Les hommes sages, ô Clea, doivent en leurs prieres demander tous biens aux dieux, mais ce que plus nous desirons obtenir d'eux, c'est la cognoissance d'eux mesmes, autant comme il est loisible aux hommes d'en avoir, pource qu'il n'y a don ne plus grand aux hommes à recevoir, ne plus magnifique et plus digne aux dieux à donner, que la cognoissance de verité : car dieu donne aux hommes toutes autres choses dont ils ont besoing, mais celle là il la retient pour luy mesme et s'en sert, et n'est point bienheureux pour posseder grande quantité d'or ny d'argent, ny puissant pour tenir le tonnerre et la foudre en sa main, mais bien pour sa prudence et sapience : et est une des choses qu'Homere a le mieux et le plus sagement dictes, en parlant de Jupiter et de Neptune,
Ils sont tous deux de mesme extraction,
Et tous deux nez en mesme region,
Mais Jupiter en est le fils aisné,
Et de sçavoir plus grand que l'autre orné.
Il afferme que la preference et precedence de Jupiter estoit plus venerable et plus digne en ce qu'il estoit plus sçavant et plus sage. Et quant à moy j'estime que la beatitude et la felicité de la vie eternelle, dont Jupiter jouit, consiste en ce qu'il n'ignore rien, et que rien de tout ce qui se fait ne le fuit : et pense que l'immortalité, qui en osteroit la cognoissance et intelligence de tout ce qui est et qui se fait, ne seroit pas une vie, mais un temps seulement.
II. Pourtant pouvons nous dire, que le desir d'entendre la vérité est un desir de la divinité, mesmement la verité de la nature des dieux, dont l'estude et le prochas de telle science est comme une profession et entrée de religion, et œuvre plus saincte que n'est point le veu et l'obligation de chasteté, ny de la garde et closture d'aucun temple : et si est davantage très agreable à la deesse que tu sers, attendu qu'elle est très sage et très sçavante, ainsi comme la derivation mesme de son nom nous le donne à cognoistre, que le sçavoir et la science luy appartient plus qu'à nul autre, car c'est un mot Grec que Isis : et Typhon aussi l'ennemy et adversaire de la deesse, enflé et enorgueilly par son ignorance et erreur, dissipant et effaceant la saincte parole, laquelle la deesse rassemble, remet sus et baille à ceux qui aspirent à se deifier par une continuelle observance de vie sobre et saincte, en s'abstenant de plusieurs viandes, et se privant du tout des plaisirs de la chair, pour reprimer la luxure et l'intemperance, et en s'accoustumant de longue main à supporter et endurer dedans les temples des durs et penibles services faicts aux dieux : de toutes lesquelles abstinences , peines et souffrances, la fin est la cognoissance du premier, principal et plus digne object de l'entendement, que la deesse nous invite et convie à chercher, estant et demeurant avec elle. Ce que mesme nous promet le nom de son temple, qui s'appelle Ision, c'est à sçavoir l'intelligence et cognoissance de ce qui est : comme nous promettant, que si nous entrons dedans le temple et religion de la deesse sainctement et ainsi qu'il appartient par raison, nous aurons intelligence de ce qui y est. Davantage plusieurs ont escrit qu'elle est fille de Mercure, les autres de Prometheus, dont on repute l'un inventeur et autheur de sapience, et de provoyance, et l'autre de la grammaire et de la musique.
III. Voilà pourquoy en la ville de Hermoupolis ils appellent la premiere des Muses, Isis et Justice tout ensemble, comme estant sçavante, ainsi qu'il a esté dit ailleurs, et monstrant à ceux qui à bonnes enseignes sont surnommez religieux, et portans habits de saincteté et de religion, et ce sont ceux qui portent et enferment en leur ame, comme dedans une boette, la saincte parole des dieux pure et nette, sans aucune curiosité ne superstition, et qui de l'opinion qu'ils ont des dieux, en declarant aucunes choses obscurcies et ombragées, et les autres toutes claires et ouvertes, comme encore leur habit sainct le monstre. Et pourtant ce que lon habille ainsi de ces habits saincts les religieux Isiaques, après qu'ils sont trespassez, est une marque et un signe qui nous tesmoigne, que ceste saincte parole est avec eux, et qu'ils s'en sont allez de ce monde en l'autre sans emporter autre chose que ceste parole : car porter longue barbe, ou se vestir d'une grosse cappe, ne font point le philosophe, dame Clea : aussi ne font pas les vestements de lin, ny la tonsure ou rasure, les Isiaques, ains est vray Isiaque celuy, qui après avoir veu et receu par la loy et coustume les choses qui se monstrent, et qui se font ès cerimonies de ceste religion, vient à rechercher et diligemment enquerir par le moyen de ceste saincte parole et discours de raison, la verité d'icelles.
IV. Car il y en a bien peu entre eux qui entendent et sçachent pour quelle cause ceste petite cerimonie, qui est la plus commune, s'observe, pourquoy les presbtres et religieux d'Isis rasent leurs cheveux, et portent vestemens de lin : et y en a les uns qui du tout ne se soucient pas d'en rien sçavoir, les autres disent qu'ils s'abstienent de porter habillement de laine, ne plus ne moins que de manger de la chair des moutons par reverence qu'ils leur portent, et qu'ils font raser leurs testes en signe de deuil, et qu'ils portent habillements de lin à cause de la couleur qu'a la fleur du lin quand il florit, ressemblant proprement au celeste azur qui environne tout le monde. Mais à la verité il n'y en a qu'une cause certaine, car il n'est pas loisible que l'homme net et monde touche chose aucune qui soit immonde : or toute superfluité de nourriture et tout excrement est ort et immonde, et de telles superfluitez s'engendrent et se nourrissent la laine, le poil, les cheveux et les ongles : si seroit chose digne de mocquerie, que ès sanctifications et celebrations des divins offices ils ostassent tout leur poil, en rasant et polissant uniement tout leur corps de toutes superfluitez, et qu'ils vestissent et portassent les superfluitez des bestes : et fault estimer que quand le poete Hesiode escrivoit,
Ny au festin d'un public sacrifice
Offert aux dieux tu ne seras si nice,
Que de rongner les ongles d'un cousteau,
Couppant le sec d'avec la verte peau :
Il ne nous vouloit pas enseigner que pour faire festes et bonnes cheres il falloit estre propre et net, mais bien se nettoier et se purger de telles superfluitez, en traittant les choses sainctes, et faisant le service des dieux. Or le lin naist de la terre, qui est immortelle, et produit tout fruict bon à manger, et nous fournit dequoy faire robbe simple, sobre et nette, qui ne charge point de sa couverture celuy qui la porte, et convenable à toute saison de l'année, joinct qu'elle n'engendre point de poux nullement, ainsi que lon dit, dequoy il faudroit discourir ailleurs. Mais les presbtres baissent tant la nature de toutes superfluitez, que pour cela non seulement ils refusent à manger toutes sortes de legumages, et entre les chairs celles des brebis et moutons, et celles des porcs, d'autant qu'elles engendrent beaucoup d'excremens, ains aussi ès jours et œuvres de sanctification, ils commandent d'oster mesme le sel des viandes, tant pour plusieurs autres causes et raisons, que pour ce qu'il aiguise l'appetit, et nous provoque à boire et à manger davantage : car de dire ce que disoit Aristagoras : que le sel est par eux reputé immonde, pour autant que quand il se congele plusieurs petits animaux qui se treuvent pris dedans y meurent, c'est une sottise. On dit mesme qu'ils ont un puis à part, de l'eau duquel ils abbreuvent leur beuf Apis, et qu'ils l'engardent en toute sorte de boire de l'eau du Nil, non qu'ils reputent l'eau du Nil immonde à cause des Crocodiles qui sont dedans, comme quelques uns estiment : car au contraire il n'y a, il rien que les Ægyptiens honorent tant qu'ils font le fleuve du Nil, mais il semble qu'elle engraisse trop, et engendre trop de chair : or ne veulent ils pas que leur Apis soit par trop gras, ny eux aussi, ains veulent que leurs ames soient estayées de corps legers, habiles et dispos, et non pas que la partie divine qui est en eux soit opprimée et accablée par le poid et la force de celle qui est mortelle.
V. En la ville de Heliopolis, qui est à dire la ville du Soleil, ceux qui servent à dieu ne portent jamais du vin dedans le temple, comme n'estant pas convenable qu'ils boivent de jour à la veuë de leur seigneur et leur roy, et ailleurs les presbtres en boivent, mais bien peu, et ont plusieurs purgations et sanctifications où ils s'abstienent totalement de vin, èsquels jours ils ne font autre chose que vacquer à estudier, à apprendre et enseigner les choses sainctes : les roys mesmes n'en buvoient que jusques à certaine mesure, ainsi qu'il estoit prescript en leurs escriptures sainctes, et commancerent à en boire au roy Psammitichius, au paravant duquel ils n'en buvoient du tout point, et n'en offroient point aux dieux, estimans qu'il ne leur estoit pas aggreable, pour ce qu'ils pensoient que ce fust le sang de ceux qui jadis feirent la guerre aux dieux, duquel meslé avec la terre, après qu'ils furent renversez, elle produisit la vigne : c'est pourquoy, disoient ils, ceux qui s'enyvrent perdent l'entendement et l'usage de la raison, comme estans remplis du sang de leurs predecesseurs. Eudoxus escrit au second de sa geographie, que les presbtres d'Ægypte le disent et le tienent ainsi.
VI. Quant aux poissons de mer tous ne s'abstiennent pas de tous, mais les uns d'aucuns, comme les Oxyrinchites de ceux qui se prennent avec l'hameçon : car d'autant ils adorent le poisson qui se nomme Oxyinchos, qui est à dire bec-aigu, ils ont doubte que l'hameçon ne soit immonde, si d'aventure le poisson Oxyrinchos l'auroit avallé : et les Syenites le phagre, car il semble qu'il se trouve alors que le Nil commance à croistre, et qu'il leur en signifie la croissance quand il apparoit, dont ils sont fort joyeux, le tenans pour un certain messager, mais les presbtres s'abtienent de tous : et là où le neufieme jour du premier mois tous les autres habitans de Ægypte devant la porte de leur maison mangent de quelque poisson rosty, les presbtres n'en tastent aucunement, mais bien en bruslent ils devant leurs maisons, ayans deux sortes de paroles, l'une saincte et subtile, laquelle je reprendray encore en cest endroit comme estant conforme et convenable à ce que lon discourt sainctement touchant Osiris et Typhon, l'autre vulgaire, grossiere et exposée à tout le monde, qui est representée par le poisson, lequel n'est viande ny necessaire, ny rare et exquise ainsi que tesmoigne Homere, quand il ne fait les Phæaciens qui estoient gens delicats, et aimans à delicieusement vivre, ny ceux d'Ithace hommes insulaires, mangeans en leurs festins du poisson, non pas les gens mesmes d'Ulysses par tout le temps de leur navigation qui fut si longue et par la mer, jusques à ce qu'ils furent reduits à l'extreme necessité : brief ils estiment que la mer ait esté produitte par le feu sortant hors des bornes de la nature, n'estant ny partie naturelle, ny element du monde, ains chose estrangere, superfluité corrompue, et maladie contre nature : car il n'y avoit rien de fabuleux, ny hors de raison, ny de superstitieux , comme aucuns cuydent faulsement, qui servist de note et de signe en leurs sainctes cerimonies, ains estaient toutes marques qui avoient quelques causes et raisons morales et utiles à la vie, ou bien qui representoient quelque notable histoire, ou bien quelque deduction naturelle, comme ce que lon dit touchant un Crommyus : car de dire ce que le commun en raconte, que le nourrisson d'Isis nommé Dictys, tomba dedans la riviere du Nil et s'y noya, s'estant pris à des oignons, il n'y a apparence quelconque : mais les presbtres haïssent et abominent l'oignon, ayant observé que jamais il ne croit et ne grossit bien, et jamais ne florit sinon au decours de la lune, et qu'il n'est convenable ny à ceux qui veulent jeuner et mener saincte vie, ny à ceux qui veulent celebrer festes, aux uns pource qu'il apporte la soif, aux autres pource qu'il fait plorer ceux qui en mangent : pour ceste mesme cause reputent ils la truye beste immonde, d'autant qu'elle se fait couvrir ordinairement au masle quand la lune commance à defaillir, et que de ceux qui en boivent du laict, la peau jette hors ne sçay quelle sorte de lepre et d'asperitez, (qui ressemblent au mal de sainct Main ) : et quant au propos que disent ceux qui une fois en leur vie sacrifient une truye, et puis la mangent, que Typhon poursuyvant une truye, estant la lune au plein, il rencontra un bûcher de bois, dedans lequel estoit le corps d'Osiris, et qu'elle le renversa et esboula, il y a peu de gens qui l'approuvent , estimans que ceste fable a esté mise en avant par gens qui avoient mal ouy et n'avoient pas bien entendu que cela vouloit dire, comme plusieurs autres contes semblables.
VII. Mais on tient que les anciens ont eu par le passé en si grande haine et si grande abomination les delices, la superfluité et volupté, qu'ils disent que dedans le temple de la ville de Thebes y avoit une coulonne quarrée, sur laquelle estoient engravées des maledictions et execrations à l'encontre du roy Minis, qui fut le premier qui destourna et retira les Ægyptiens d'une vie simple et sobre, sans argent et sans richesses : et dit on aussi que Techhatis le pere de Borchoris en une guerre qu'il eut à l'encontre des Arabes, comme son bagage fust demouré derriere, et n'eust peu arriver à temps, souppa d'une pauvre viande la premiere qu'il peut trouver, et puis se coucha sur une paillasse, là où il dormit toute la nuict d'un très profond sommeil, à raison dequoy tousjours depuis il aima la sobrieté de vie, et maudit ce roy Minis : ce que luy ayants loué les presbtres de son temps, il feit engraver lesdictes maledictions et execrations sur la coulonne.
Or les roys s'elisoient ou de l'ordre des presbtres, ou de l'ordre des gens de guerre, pour ce que l'un ordre estoit honoré et reveré pour la vaillance, et l'autre pour la sapience : et celuy qui estoit esleu de l'ordre des gens de guerre, incontinent après son election estoit aussi receu en l'ordre de presbtrise, et luy estoient communiquez et descouverts les secrets de leur philosophie, qui couvroit plusieurs mysteres soubs le voile de fables, et soubs des propos qui obscurement monstroient et donnoient à veoir à travers la verité, comme eux mesmes donnent taisiblement à entendre, quand ils mettent devant les portes de leurs temples des Sphynges , voulans dire que toute leur theologie contient, soubs paroles enigmatiques et couvertes , les secrets de sapience.
VIII. Et en la ville de Sais l'image de Pallas, qu'ils estiment estre Isis, avoit une telle inscription, « Je suis tout ce qui a esté, qui est, et qui sera jamais, et n'y a encore eu homme mortel qui m'ait descouverte de mon voile ». Davantage plusieurs estiment que le propre nom de Jupiter en langue Ægyptienne soit Amoun, et que nous en grec en ayons derivé ce mot Ammon, dont nous appellons Jupiter Ammon : mais Manethon qui estoit Ægyptien de la ville de Sebenne estime que ce mot signifie caché ou cachement : et Hecatheus natif de la ville d'Abdere dit, que les Ægyptiens usent de ce mot quand ils se veulent entre-appeller l'un l'autre, pour ce que c'est une diction vocative : et pour autant qu'ils estiment que le prince des dieux soit une mesme chose que l'univers qui est obscur, caché et incogneu, ils le prient et convient à se vouloir manifester et donner à cognoistre à eux , en l'appellant Amoun.
IX. Voilà donc comment les Ægyptiens estoient reservez et retenus à ne point profaner leur sapience, en publiant trop ce qui appartient à la cognoissance des dieux, ce que tesmoignent mesme les plus sages et plus sçavans hommes de la Grece, Solon, ThaIes, Platon, Eudoxus, Pythagoras, et comme quelques-uns ont voulu dire, Lycurgus mesme, qui allerent de propos deliberé en Ægypte pour en communiquer avec les presbtres du païs : car on tient que Eudoxus ouit Chonoupheus qui estoit de Memphis, et Solon Sonchis qui estoit de Sais, et Pythagoras Oenupheus qui estoit de Heliopolis : ce dernier Pythagoras fut fort estimé d'eux, et luy aussi ce semble les estima beaucoup, tellement qu'il voulut imiter leur façon mystique de parler en paroles couvertes, et cacher sa doctrine et ses sentences soubs paroles figurées et enigmatiques : car les lettres que lon appelle hieroglyphiques en Ægypte, sont presque toutes semblables aux preceptes de Pythagoras : « Comme, ne manger point sur une selle, ne se seoir point sur un boisseau, ne planter point de palmier, n'attizer point le feu avec une espée en la maison».
X. Et me semble que ce que les Pythagoriens appellerent l'unité Apollon, et le deux Diane, le sept Minerve, et Neptune le premier nombre cubique, ressemble fort à ce qu'ils consacrent, qu'ils font et qu'ils escrivent en leurs sacrifices, car ils paignent leur roy et leur seigneur Osiris par un œil, et un sceptre, et y en a qui interpretent le nom d'Osiris, ayant plusieurs yeux, pour ce que os en Ægyptien signifie plusieurs , et iris œil : et le ciel, comme ne vieillissant point à cause de son eternité, par un cœur, ayant dessoubs une chaufferette de feu, qui est la marque de courroux. Et en la ville de Thebes y avoit des images de juges, qui n'avoient point de mains, et celle du president d'iceux avoit les yeux bandez, pour donner à entendre que la justice ne doit estre ny concussionnaire ny favorable, c'est-à-dire, ne prendre point d'argent, et ne faire rien plus ne moins par faveur. Les gens de guerre pour la marque de leurs anneaux y portoient engravé la figure d'un escharbot, pource qu'entre les escharbots il n'y a point de femelle, ains sont tous masles, et jettent leur geniture dedans une boule de fiens, laquelle ils preparent et construisent, non tant pour matiere et provision de leur vivre, comme pour un lieu à engendrer.
XI. Quand doncques tu entendras parler de certaines vagabondes peregrinations et erreurs , et desmembremens, et autres telles fictions, il te faudra souvenir de ce que nous avons dit, et estimer qu'ils ne veulent pas entendre que jamais rien ait esté de cela ainsi, ne qu'il ait oncques esté fait : car ils ne disent pas que Mercure proprement soit un chien, ains la nature de celle beste, qui est de garder, d'estre vigilant, sage à discerner et chercher, estimer et juger l'amy ou l'ennemy, celuy qui est cogneu ou incogneu, suivant ce que dit Platon, ils accomparent le chien au plus docte des dieux. Et si ne pensent pas que l'escorce d'un alisier sorte un petit enfant ne faisant que naistre, mais ils paignent ainsi le soleil levant, donnant entendre soubs figure couverte, que le soleil sortant des eaux de la mer, se vient à rallumer. Car ainsi appellerent-ils Ochus, l'Espée, qui fut le plus cruel roy des Perses et le plus terrible, comme celuy qui fait mourir plusieurs grands personnages, et qui finablement tua leur bœuf Apis, et le mangea avec ses amis, et jusques aujourd'huy ils l'appellent encore ainsi en la liste et catalogue de leurs roys, non qu'ils voulussent signifier sa substance, ains la dureté de son naturel et sa mauvaistié, qu'ils accomparent à l'instrument dont on fait mourir les hommes.
XII. En escoutant doncques et recevant ainsi ceux qui t'exposeront sainctement et doctement la fable, en faisant et observant tousjours diligemment ce qui vous est ordonné en vostre estat pour le service des dieux, et croyant fermement que tu ne leur pourrois faire service ne sacrifice qui leur fust plus aggreabIe que de t'estudier à avoir saine et vraye opinion d'eux, tu éviteras par ce moyen la superstition, laquelle n'est point moindre, mal ne peché, que l'impieté de ne croire point qu'il y ait de dieux.
XIII. Or la fable doncques d'Isis et d'Osiris, pour la deduire en moins,de paroles qu'il sera possible, et en retrencher beaucoup de choses superflues, et qui ne servent à rien, se raconte ainsi. On dit que Rea s'estant meslée secrettement à la derobée avec Saturne, le soleil s'en apperceut qui la maudit, priant en ses maledictions qu'elle ne peust jamais enfanter ny mois, ny an, mais que Mercure estant amoureux de celle deesse coucha avec elle, et que depuis jouantau dez avec la Lune, il luy gaigna la septantiéme partie de chascune de ses illuminations, tant que les mettant ensemble il en fait cinq jours, qu'adjousta aux trois cents soixante de l'année, que les Ægyptiens appellent maintenant les jours épactes, les celebrans. et solennizans, comme estans les jours de la nativité des dieux, pour ce que au premier jour nasquit Osiris, à l'enfantement du quel il fut ouye une voix ,que le Seigneur de tout le monde venoit en estre : et disentaucuns, que une une femme nommée Pamyle, ainsi comme elle allait querir,de l'eau au temple de Jupiter, en la ville de Thebes , ouyt celle voix ,qui luy commandoit de proclamer à haute voix, que le grand roy bienfaicteur Osiris estoit né : et pour ce que Saturne luy meit l'enfant Osiris entre les mains pour le nourrir, que c'est pour l'honneur d'elle que l'on celebre encore la feste des Pamyliens, semblable à celle des Phallephores en la Grece. Le deuxiesme jour elle enfanta Aroueris qui est Appollo, que les uns appellent aussi l'aisné Orus. Au troisiesme jour elle enfanta Typhon, qui ne sortit point à terme, ny par le lieu naturel, ains rompit le costé de sa mere, et saulta dehors par la playe. Le quatriesme jour nasquit Isis, au lieu de Panygres. Le cinquiesme nasquit Nephté, que les uns nomment aussi Teleute, ou Venus, et les, autres Victoire : et que Osiris et Aroueris avait esté conçeus du Soleil, et Isis de Mercure, et Typhon et Nephté de Satume: c'est pourquoy les roys reputent le troisieme jour malencontreux, et à ceste cause ne despeschent affaires quelconques ce jour-là, et ne boivent ny ne mangent jusques à la nuict : que Typhon porta honneur à Nephté, que Isis et Osiris estant amoureux l'un de l'autre devant qu'ils fussent, sortis du ventre de la mere coucherent ensemble à cachettes, et disent aucun que Aroueris nasquit de ces amourettes-là, qui est appellé l'aisné Orus par les Ægyptiens, et Apollo par les Grecs.
XIV. Osiris regnant en Egypte, retira incontinent les Ægyptiens de la vie indigente, souffreteuse et sauvage, en leur enseignant à semer et planter, en leur establissant des loix, et leur monstrant à honorer et reverer les dieux : et depuis allant par tout le monde il l'apprivoisa aussi sans y employer aucunement la force des armes, mais attirant et gaignant la plupart des peuples par douces persuasions et remonstrances couchées en chansons, et en toute sorte de musique dont les Grecs eurent opinion que c'estoit un mesme que Bacchus : que Typhon durant le temps de son absence ne remua rien, d'autant que Isis y donna bon ordre, et y prouvent avec bonne forces : mais que quand il fut de retour, Typhon luy dressa embusche, ayant attiIré à sa ligne soixante et douze autres hommes conjurez avec luy, sans une royne d''Ethiopie participante et complice aussi de la conjuration (ceste royne s'appelloit Azo ayant secrettement pris la mesure du corps d'Osiris, il feit faire un coffre de la mesme longueur, beau à merveilles, ouvré et labouré fort exquisement, lequel il feit apporter en la salle, où il donnoit à soupper à la compagaie, chascun prit plaisir à veoir un si bel ouvrage, et l'estima lon grandement : et Typhon faisant semblant de jouer, dit qu'il le donneroit volontiers à celuy qui auroit le corps egal de mesure à ce coffre : tous ceux de la compagnie l'essayerent les uns après les autres, et ne se trouva bien proportionné, ny egal à pas un des autres : finablement Osiris luy mesme y monta, et se coucha dedans : et alors les conjurez y accourans, jetterent le couvercle dessus, et partie le fermerent de cloux, et partie de plomb fondu qu'ils jetterent par dessus, puis le portans en la riviere, le jetterent par la bouche du Nil, qui se nomme Tanitique, dedans la mer : c'est pourquoy jusques aujourd'huy ceste bouche est execrable, aux Ægyptiens, et pourquoy ils l'appellent abominable.
XV. On dit que tout cela fut faict le dixseptiesme du mois, que I'on appelle Athyr, qui est celuy durant lequel le soleil passe par le signee du scorpion, et le vingthuitiesme du regne d'Osiris : toutefois d'autres disent qu'il vescut, non pas qu'il regna, autant : que les premiers qui entendirent la nouvelle de cest inconvenient furent les panes et satyres habitans autour de la ville de Chennis, et comnamcerent à murmurer entre eux : c' est pourquoy encore jusques aujourd'huy on appelle les soudaines peurs, troubles et emotions de peuples, frayeurs paniques. Et qu'Isis en estant avertie feit tondre une tresse de ses cheveux, et se vestit de deuil au lieu qui est maintenant appellé Coptus, combien que les autres veulent dire, que ce mot signifie privation, pour ce que Coptein est autant à dire comme priver : en cest habit elle alla errant par-tout, pour en cuider entedre des nouvelles en grande destresse, mais personne ne venoit ni ne parloit à elle, jusques à ce que elle rencontra de jeunes enfans qui jouoient ensemble, ausquels elle demanda s'ils avaient point veu le coffre : ces enfans l'avoient veu, qui lui, dirent la bouche du Nil par laquelle les complices de Typhon l'avoient poulsé dedans la mer : depuis ce temps-là les AEgyptiens estiment, que les enfans ont le don de prophetie, de pouvoir reveler les choses secrettes, et prennent à presage toutes les paroles qu'ils disent en jouant et babillant ensemble, mesmement dedans les temples, de quoy que ce soit.
XVI. Et qu'ayant apperceu qu'Osiris estant devenu amoureux de sa soeur, avoit couché avec elle, pensant que ce fust Isis, et en ayant trouvé le signe du chappellet de melilot, qu'il avait laissé chez sa sœur Nephté, elle chercha l'enfant, pour ce que Nephté incontinent qu'elle l'eut enfanté l'aIla cacher, pour la crainte de Typhon, et l'ayant trouvé difficilement et à grande peine, par le moyen des chiens qui la conduisirent au lieu où il estoit, elle le nourrit, de maniere que depuis qu'il fut devenu grand, il fut son gardien et son page, appellé Anubis, que Ion dit qui garde les dieux, comme les chiens font les hommes. Depuis elle entendit nouvelles du coffre, comme les flots de la mer l'avoient jetté en la coste de Byblus, là où il s'estoit tout doucement rengé au pied d'un Tamarix : ce Tamarix, en peu de temps devint un fort beau et fort gros tronc d'arbre bien branchu, qui embrassa et enveloppa tout alentour le coffre, de sorte qu'on ne le voyoit point. Le roy de Byblus s' esbahissant de veoir ceste plante aussi soudainement creuë en telle grandeur, feit coupper le branchage qui couvroit le coffre que Ion ne voyoit point, et du tronc en feit un pillier à soustenir le toict de sa maison, dequoy Isis, ainsi que lon dit, ayant esté advertie par un vent divin de renommée, s'en alla en la ville de Byblus, là où elle s'asseit auprès d'une fontaine, toute triste et esplorée, sans parler à autre personne quelconque, sinon qu'elle salua et caressa les femmes de la royne, en leur accoustrant les tresses de leurs cheveux, et leur rendant une merveilleusement douce et souëfve odeur yssant de son corps.
XVI. Et qu'ayant apperceu qu'Osiris estant devenu amoureux de sa sœur, avoit couché avec elle , pensant que ce fust Isis, et en ayant trouvé le signe du chappellet de melilot, qu'il avoit laissé chez sa sœur Nephté, elle chercha l'enfant, pour ce que Nephté incontinent qu'elle l'eut enfanté l'alla cacher, pour la crainte de Typhon, et l'ayant trouvé difficilement et à grande peine, par le moyen des chiens qui la conduisirent au lieu où il estoit, elle le nourrit, de maniere que depuis qu'il fut devenu grand, il fut son gardien et son page, appellé Anubis, que Ion dit qui garde les dieux, comme les chiens font les hommes. Depuis elle entendit nouvelles du coffre , comme les flots de la mer l'avoient jetté en la coste de Byblusl, là où il s'estoit tout doucement rengé au pied d'un Tamarix : ce Tamarix en peu de temps devint un fort beau et fort gros tronc d'arbre bien branchu, qui embrassa et enveloppa tout alentour le coffre, de sorte qu'on ne le voyoit point. Le roy de Byblus s'esbahissant de veoir ceste plante aussi soudainement creuë en telle grandeur, feit coupper le branchage qui couvroit le coffre que lon ne voyoit point, et du tronc en feit un pillier à soustenir le toict de sa maison, dequoy Isis, ainsi que lon dit, ayant esté advertie par un vent divin de renommée, s'en alla en la ville de Byblus, là où elle s'asseit auprès d'une fontaine, toute triste et esplorée, sans parler à autre personne quelconque, sinon qu'elle salua et caressa les femmes de la royne, en leur accoustrant les tresses de leurs cheveux, et leur rendant une merveilleusement douce et souëfve odeur yssant de son corps.
XVII. La royne ayant veu ses femmes si bien parées , eut envie de veoir l'estrangere qui les avoit ainsi accoustrées, tant pour ce qu'elle scavoit ainsi bien accoustrer les cheveux, comme pour ce qu'elle rendoit une si douce senteur : ainsi l'envoya elle querir, et ayant pris familiarité avec elle, la feit nourrice et gouvernante de son fils : le roy s'appelloit Malcander, et la royne Astarte, ou bien Saosis, ou Nemanoun, comme les autres veulent, c'est à dire en langage grec, Athenaide, et dit on que Isis nourrit cest enfant en luy mettant son doigt en la bouche au lieu du bout de la mammelle, et que la nuict elle luy brusloit tout ce qui estoit mortel en son corps, et qu'elle se tournant en une hirondelle alloit voletant et lamentant alentour de ce pillier de bois, jusques à ce que la royne s'en estant pris garde, et s'estant escriée quand elle veit le corps de son fils bruslant ainsi alentour, luy osta l'immortalité, et que la deesse ayant ainsi esté descouverte, demanda le pillier de bois, lequel elle couppa facilement, et osta de soubs la couverture le tronc du tamarix qu'elle oignit d'une huyle parfumée, puis l'enveloppa d'un linge et le bailla en garde aux roys, dont vient que jusques aujourd'huy les Bybliens reverent encore ceste piece de bois là, qui est couchée dedans le temple d'Isis, et qu'à la fin elle rencontra le coffre sur lequel elle plora, et lamenta tant que l'un des enfans du roy le plus jeune en mourut de pitié, et elle ayant en sa compagnie le plus aagé avec le coffre s'embarqua en un vaisseau, monta sur la mer et s'en alla. Et pourtant que sur l'aube du jour la riviere de Phedrus destourna le vent un peu trop asprement, elle qui en fut courroucée, la secha toute : et au premier lieu qu'elle se peut trouver seule, elle ouvrit le coffre, là où trouvant le corps d'Osiris, elle meit sa face sur la siene en l'ambrassant et plorant. Le jeune enfant survint et s'approcha secrettement, et veit ce qu'elle faisoit, dont elle s'estant apperceuë se retourna, et le regarda d'un mauvais œil en travers, tellement que l'enfant ne pouvant supporter la terreur qu'elle luy feit, en mourut.
XVIII. Les autres le disent autrement, c'est qu'il tomba dedans la mer, et qu'il est honoré à cause de la deesse, et que c'est celuy que les Ægyptiens chantent en leurs festins qu'ils appellent Maneros : aucuns disent que cest enfant avoit nom Palestinus, et que la ville de Pelusium fut fondée en memoire de luy par la deesse, et que ce Maneros qu'ils celebrent en leurs chansons, fut celuy qui le premier trouva la musique : toutefois il y en a d'autres qui disent, que ce n'est point le nom d'aucun homme, mais une façon de parler propre et convenable à ceux qui boivent et banquettent ensemble, laquelle signifie autant, comme qui diroit, à bonne heure soit cecy venu, car les Ægyptiens ont accoustumé de cryer cela ordinairement : comme aussi le corps sec d'un homme mort qu'ils portent dedans un cercueil, n'est point une representation de l'accident d'Osiris, comme aucuns estiment, ains un admonestement aux conviez de se donner joye et jouir alaigrement des biens presents, d'autant que bien peu de temps après ils seront tous semblables à celuy là, c'est la raison pourquoy ils l'introduisent ès festins.
XIX. Et comme la deesse Isis fust allée voir son fils Orus qui se nourrissoit en la ville de Butus, et qu'elle eust osté le coffre, ou la biere dedans laquelle estoit le corps d'Osiris, Typhon estant la nuict à la chasse au clair de la Lune le rencontra, et ayant recogneu le corps le deschira et decouppa en quarante parties, qu'il jetta ça et là : ce que ayant Isis entendu, le chercha dedans un bateau fait de l'herbe du papier atravers les marets, d'où vient que les crocodiles n'offensent jamais ceux qui naviguent dedans les vaisseaux faicts d'icelle herbe, soit qu'ils en aient peur, ou qu'ils les reverent en memoire de ce faict de la deesse. Voylà d'où vient que lon trouve plusieurs sepultures d'Osiris, par le païs d'Ægypte, pource que à mesure qu'elle en trouvoit chasque partie, elle y faisoit dresser un sepulchre : les autres disent que non, mais qu'elle en feit faire plusieurs images, qu'elle laissa en chascune ville, comme si elle leur en laissoit le propre corps, à fin qu'en plusieurs lieux il fust honoré, et que si d'adventure Typhon venoit au dessus de son fils Orus, quand il viendrait à chercher le vray sepulchre d'Osiris, et qu'on luy en monstreroit plusieurs, il ne sçeust auquel s'arrester : et dit on plus que Isis trouva toutes les autres parties du corps d'Osiris, excepté le membre naturel, pource qu'il fut incontinent jetté dedans la riviere, et que les poissons le Lepidote, le Phagre, et l'Oxyrinche le mangerent : pour raison dequoy Isis les abomina par dessus tous les autres poissons, mais au lieu du naturel elle en feit contrefaire un qui s'appelle Phallus, et le consecra, tellement que les Ægyptiens en solennisent encore la feste.
XX. Et puis ils content, que Osiris revenant de l'autre monde s'apparut à son fils Orus, qu'il instruisit et exercita à la battaille, qu'il luy demanda, quelle chose il estimoit au monde la plus belle, et que Orus luy respondit que c'estoit venger le tort et l'injure que lon auroit fait à ses peres et meres. Secondement qu'il luy demanda, quel animal il estimoit plus utile à ceux qui alloient à la battaille. Orus respondit, que c'estoit le cheval : dont Osiris s'esmerveilla, et luy demanda pourquoy il avoit respondu que c'estoit le cheval, et non pas le lion : et que Orus repliqua que le lion estoit plus utile à celui qui auroit besoing de secours pour combattre, mais le cheval pour deffaire entierement et desconfire celuy qui se mettroit en fuitte : ce que Osiris ayant entendu de luy, en fut fort aise, jugeant qu'il estoit suffisamment preparé pour donner la battaille à son ennemy. Et dit on que plusieurs se retournoient ordinairement du costé d'Orus, jusques à la concubine mesme de Typhon nommée Thoueris, mais que un serpent la poursuyvit, qui fut taillé en pieces par les gens d'Orus : voylà pourquoy encore aujourd'huy ils apportent une petite corde, laquelle ils couppent en pieces. Si disent que la battaille dura plusieurs jours, mais que finablement Orus en gaigna la victoire, et que Isis ayant Typhon prisonnier lié et garroté ne le tua point, ains le deslia, et le laissa aller : ce que Orus ne peut endurer patiemment, ains jetta les mains sur sa mere, et luy osta de sur la teste la marque de royauté, au lieu de laquelle Mercure luy meit en la teste un morrion fait en guise d'une teste de bœuf.
Typhon voulut appeller en justice Orus, et luy mettre en avant qu'il estoit bastard, mais à l'aide de Mercure qui defendit sa cause, il fut jugé par les dieux legitime, et qu'il deffeit depuis à fait Typhon en deux autres battailles : et que Isis après sa mort coucha encore avec Osiris, duquel elle eut Helitomenus et Harpocrates qui estoit mutilé des pieds. Voylà presque les principaux poincts de toute la fable, exceptez ceux qui sont plus execrables, comme le demembrement d'Orus, et la decapitation de Isis. Or qu'il ne leur faille cracher au visage et rompre la bouche, comme dit Æschylus, s'ils ont telles opinions de la bienheureuse immortelle nature que nous entendons la divinité, s'ils pensent et disent que telles fables soient veritables, et que realement et de faict elles soient ainsi advenues : il ne le fault point dire à toy, car je sçay bien que tu hais et abomines ceulx qui ont de si barbares et si estranges opinions des dieux : mais aussi vois tu bien que ce ne sont pas contes qui ressemblent fort aux fables vagues, et vaines fictions que les poëtes ou autres fabuleux escrivains controuvent à plaisir, ne plus ne moins que les araignées qui d'elles mesmes, sans aucune matiere ni subject, filent et tyssent leurs toiles, ains est apparent qu'ils contiennent des accidents et memoires de quelques inconvenients : ainsi comme les mathematiciens disent, que l'arc en ciel est une apparence seulement de diverses paintures de couleurs, par la refraction de nostre veuë contre une nuée : aussi ceste fable est apparence de quelque raison qui replie et renvoye nostre entendement à la consideration de quelque autre verité, comme aussi nous le donnent à entendre les sacrifices, où il y a meslé parmy ne sçay quoy de deuil et de lamentable, et semblablement les ordonnances et dispositions des temples qui en quelques endroicts sont ouverts en belles æles et plaisantes allées longues à descouvert, et en quelques autres endroicts ont des caveaux tenebreux et cachez soubs terre, ressemblans proprement aux sepulchres et caves où l'on met les corps des trespassez : et mesmement l'opinion des Osiriens, qui bien que Ion die que le corps d'Osiris soit en plusieurs lieux, renomment toutefois Abydus et Memphis petite ville, où ils disent que le vray corps est, tellement que les plus puissans hommes et plus riches de l'Ægypte ordonnent coustumierement que leurs corps soient inhumez en la ville d'Abydos, à fin qu'ils gisent en mesme sepulture que Osiris : et en Memphis on nourrît le bœuf Apis, qui est l'image et figure de son ame, et veulent que le corps aussi y soit, et interpretent aucuns le nom de ceste ville, comme s'il signifioit le port des gens de bien, les autres le sepulchre d'Osiris : et y a devant les portes de la ville une petite isle, qui au demourant est inaccessible à tous autres, de maniere que les oyseaux mesmes n'y peuvent pas demourer, ny les poissons en approcher, fors qu'en un certain temps les presbtres y entrent, et y font des sacrifices et offrandes que lon presente aux trespassez, et y couronnent de fleurs la sepulture d'une medipthe qui est ombragée et couverte d'un arbre plus grand et plus hault que pas un olivier.
XXI. Eudoxus escrit que combien que lon monstre plusieurs sepulchres, qu'on dit estre d'Osiris en Ægypte, le corps neantmoins en est en Busiride, pource que c'est le païs et le lieu de la naissance d'Osiris , et qu'il n'est jà besoing le dire de Taphosiris pource que le nom mesme le dit assez, signifiant la sepulture d'Osiris. J'approuve la coupure du bois, la deschireure du lin, et les effusions et offrandes funebres que lon y fait, pour autant qu'il y a beaucoup de mysteres meslez parmy. Si disent les presbtres Ægyptiens, que non seulement de ces dieux là, mais encore de tous ceulx qui ont esté engendrez , et ne sont point incorruptibles, les corps en sont demourez par devers eux, là où ils sont honorez et reverez, et les ames estans devenues estoiles en reluysent au ciel, et que celle d'Isis est celle que les Grecs appellent l'estoile Caniculaire, et les Ægyptiens Sothin, celle de Orus Orion, celle de Typhon l'Ourse. Mais là où tous les autres villes et peuples de l'Ægypte, contribuent la quote qui leur est imposée, pour faire portraire et paindre les animaux que lon y honore, ceux qui habitent en la contrée Thebaïde seuls entre tous n'y donnent rien, estimans que rien qui soit mortel ne peult estre dieu, ains celuy seul qu'ils appellent Cnef, qui jamais ne nasquit, ne jamais ne mourra. Comme doncques ainsi soit, que plusieurs telles choses se disent et se monstrent en Ægypte, ceux qui cuydent que ce soit pour perpetuer la memoire des faicts et accidents merveilleux et grands de quelques princes, roys ou tyrans, qui pour leur excellente vertu, ou grande puissance ont adjousté à leur gloire l'authorité de divinité, auxquels puis après il soit arrivé des inconveniens, ils usent en cela d'une bien facile desfaitte et façon d'eschapper, et si ne font point mal de transferer des dieux aux hommes ce qu'il y a de sinistre ou infame en tous ces contes là, et si sont aidez par ces tesmoignages que lon lit ès histoires : car les Ægyptiens escrivent que Mercure estoit bien petit de corsage, que Typhon estoit de couleur rousseau , Orus blanc, et Osiris brun, comme ayants de nature esté hommes : davantage ils appellent Osiris capitaine et gouverneur, Canobus duquel nom ils ont aussi appellé une estoile, et la navire que les Grecs appellent Argo, ils tiennent que c'est la figure de la navire d'Osiris, que lon a réferé au nombre des astres pour l'honneur de luy, et si n'est pas située au mouvement du ciel gueres loing de celle d'Orion, et de celle de la Caniculaire, dont ils estiment l'une sacrée à Orus, et l'autre à Isis.
XXII. Mais j'ay peur que cela ne soit remuer les choses sainctes, auxquelles on ne doit toucher, pour ne point combattre, non seulement le long temps et l'antiquité, comme dit Simonides, ains la religion de plusieurs peuples qui de langue main ont une dévotion imprimée envers ces dieux là, en ne voulant pas endurer que ces grands noms là transportent chose quelconque du ciel en la terre, et que ce ne soit encore vouloir arracher et renverser un honneur, et une foy et creance, qui est emprainte aux cœurs des hommes presque dès leur premiere naissance, qui seroit ouvrir de grandes portes à la tourbe des mescreants Atheistes, lesquels separent et esloignent les hommes de toute divinité, et donner manifeste ouverture et grande licence aux impostures et tromperies de Evemerus le Messenien, lequel ayant luy mesme controuvé les originaux de fables qui n'ont aucune verisimititude, ny aucun subject, a respandu par le monde universel toute impieté, transmuant et changeant tous ceux que nous estimons dieux en noms d'admiraux, grands capitaines, et de roys qui auroient esté le temps passé, ainsi qu'il est, ce dit il, escrit en lettres d'or, en la ville de Panchon, que jamais homme Grec ne Barbare ne veit que luy, ayant navigué au païs des Panchoniens et Triphyliens, qui ne sont en nulle partie de la terre habitable : et neantmoins on celebre assez entre les Assyriens les haults faicts de Semiramis, et de Sesostris en Ægypte, jusques aujourdhuy les Phrygiens appellent les illustres et admirables entreprises, exploits d'armes Maniques. d'autant que l'un de leurs anciens roys du temps jadis s'appelloit Manis, qui de son temps fut un très sage et très vaillant prince, aucuns l'appellent autrement Masdes. Cyrus mena les Perses, Alexandre les Macedoniens tousjours conquerans presque jusques au bout du monde, mais pour tout cela, ils n'ont renom que d'avoir esté puissans et vaillants princes et roys. Et s'il y en a eu quelques uns qui elevee par oultrecuydance avec jeunesse et ignorance, comme dit Platon, ayants l'ame enflammée de vaine gloire et d'insolence, ayant reçeu les surnoms de dieux, et des fondations de temples en leurs noms, celle gloire ne leur a gueres longuement duré, et puis estans par la posterité condamnez de vanité et de superbe arrogance, oultre l'injustice et l'impieté,
En peu de jours leur folle renommée
S'en est allée en vent et en fumée.
Et maintenant, comme serfs fugitifs qu'il est loysible de reprendre par tout où lon les peult trouver, ils sont arrachez des temples et des autels, et ne leur est demouré que leurs tombeaux et sepulchres. Et pourtant Antigonus le vieil, commue un certain poete, nommé Hermodotus en ses vers l'eust appellé fils du soleil, et dieu : "celuy, dit il, qui vuide le bassin de ma selle "percée sçait bien, comme moy, le contfaire". Et feit aussi bien sagement Lysippus le statuaire, quand il reprit le paintre Apelles de ce que paignant Alexandre le grand, il luy meit la foudre en main, là où Lysippus luy avoit mis au poing la lance, de laquelle la gloire estoit pour durer eternellement, comme estant veritable et meritoirement propre et deuë à luy.
XXIII. Et pourtant ont mieux fait et dit ceux qui ont pensé et escrit que ce que lon recite de Typhon, d'Osiris, et d'Isis, n'estoient point accidents advenus ny aux dieux ny aux hommes, ains à quelques grands dæmons, comme ont fait Pythagoras, Platon, Xenocrates et Chrysippus, suyvant en cela les opinions des vieux et anciens theologiens, qui tienent qu'ils ont esté plus forts et plus robustes que les hommes, et qu'en puissance ils ont grandement surmonté nostre nature : mais ils n'ont pas eu la divinité pure et simple, ains ont esté un suppost composé de nature corporelle et spirituelle, capable de volupté et de douleur, et des autres passions et affections qui accompaignent ces mutations là, travaillans les uns plus, les autres moins : car entre les dæmons il y a, comme entre les hommes, diversité et difference de vice et de vertu. Et les faicts des geants et des titans qui sont tant chantez par les poetes Grecs et les abominable actes d'un Saturne, et les resistences d'un Python à l'encontre d'Apollon, les sons d'un Bacchus, et les erreurs d'une Ceres, ne diffrerent en rien des accidents d'Osiris et de Typhon et de tous ces autres tels contes fabuleux que chascun peult ouir tant qu'il veult, et tout ce qui est caché et couvert soubs le voile des sacrifices significatifs et soubs des cerimonies qu'il n'est pas loysible de dire, ny de monstrer à un commun populaire, tout cela est d'une mesme sorte, suyvant laquelle opinion nous voyons qu'Homère appelle les gens de bien diversement, tantost semblables aux dieux ou egaux aux dieux, tantost
Ayants des dieux la divine prudence :
mais du nom de dæmon il en use communement, autant en parlant des meschans comme des bons,
Dæmonien avant approche toy,
Comment as tu de ces Grecs tant d'effroy ?
Et ailleurs,
Quand il chargea la quattriéme fois
Il ressemble un dæmon.
Et ailleurs,
Dæmonienne en quelle forfaitture
Le vieil Priam, et sa progeniture,
T'ont ils si fort offensée, que tant,
Ton cœur felon prochasse soubhaittant
De Troye voir la ville bien bastie
Entierement rasée et subvertie ?
Comme nous donnant à entendre que les dæmons ont une nature meslée, et une volonté et affection inegales, et non point tousjours semblables.
XXIV. De là vient que Platon attribue aux dieux Olympiques et celestes, tout ce qui est dextre et non pair, et tout ce qui est senestre et pair aux dæmons : et Xenocrates tient que les jours malencontreux, et les festes où lon se bat, et où lon se donne des coups, et qu'on se frappe l'estomac, ou que lon jeune, où il se fait ou dit quelque chose honteuse et villaine, il n'estime point, qu'elles appartiennent aux bons dieux, ny aux bons dæmons : mais qu'il y a en l'air des natures grandes et puissantes, au demourant malignes et mal-accointables, qui ont plaisir que lon face de telles choses pour elles, et que quand elles les ont obtenues, elles ne s'addonnent plus à pis faire : comme aussi au contraire Hesiode appelle les bons et saincts dæmons gardiens des hommes,
Donneurs de biens, d'opulence et richesse,
Propre à eulx est la royale largesse.
Et Platon appelle ceste sorte de dæmons mercuriale et ministeriale, estant leur nature au milieu des dieux et des hommes, envoyans les prieres et requestes des hommes vers le ciel aux dieux, et de là nous transmettans en terre les oracles et revelations des choses occultes et futures, et les donations des richesses et des biens. Empedocles mesme dit, qu'ils sont punis et chastiez des faultes et offenses qu'ils ont commises,
L'air les vous jette en la grand' mer profonde,
L'eau les vomit dessus la terre ronde,
La terre après au ciel les fait voler,
Et le soleil les precipite en l'air :
De l'un en l'autre ainsi chassez, ils cheent,
Et tous ensemble egalement les hayent :
jusques à ce qu'estans ainsi chastiez et purgez, ils recouvrent de rechef le lieu, le reng et l'estat qui leur est propre, selon leur nature : à cela ressemble naifvement ce que lon recite de Typhon, qu'il feit par son envie et sa malignité plusieurs mauvaises choses, et qu'ayant mis tout en combustion, il remplit de maulx et de miseres la mer et la terre : et puis en fut puny, et que la femme et sœur d'Osiris en feit la vengeance, estaignant et amortissant sa rage et sa fureur : et neantmoins encore ne meit elle point à nonchaloir les travaux et labeurs qu'elle avoit supportez, et les fuittes çà et là, ny plusieurs actes de grande sapience et grande vaillance, se contentant que cela demourast ensepvely en silence et en oubly, ains les meslant parmy les plus sainctes ceremonies des sacrifices, comme exemples, images et souvenances des inconvenions pour lors advenus, elle consecra un enseignement et une instruction et consolation de pieté envers les dieux, autant pour les femmes que pour les hommes detenus en miseres et calamitez.
XXV. Au moyen dequoy elle et son mary Osiris auroient esté transmuez de bons dæmons pour leurs vertus en dieux, comme depuis l'auroient aussi semblablement esté Hercules et Bacchus, ausquels non sans raison pour cela auroient esté decernez honneurs entremeslez des dæmons et des dieux comme à ceux qui ont par tout grande puissance, tant dessoubs que dessus la terre, mais specialement en ces sacrifices là, pource que Sarapis n'est autre chose que Pluton, et Isis que Proserpine, comme dit Archemachus natif d'Eubœe, et Heraclitus le Pontique, qui pense que l'oracle qui est en la ville de Canobus soit celuy de Pluton.
XXVI. Le roy Ptolomeus, surnommé le sauveur, feit enlever de la ville de Sinope la statue enorme de Pluton, non qu'il sçeust qu'elle y fust, et qu'il eust jamais veu auparavant quelle face elle avoit, sinon qu'il luy fut advis en songeant, qu'il voyoit Sarapis qui luy commandoit, que le plus tost qu'il luy seroit possible, il feist transporter sa statue en Alexandrie. Le roy ne sçavoit où estoit ceste statue, ny là où il la devoit trouver, mais ainsi comme il racontoit luy mesme sa vision à ses amis, il se rencontra un nommé Sosibius, homme qui a voit esté en beaucoup de païs, lequel dit qu'il avoit veu une pareille statue que celle que le roy leur descrivoit en la ville de Sinope : si y envoya le roy un Soteles et Dionysius, qui avec longue espace de temps et grand travail, non sans aide special encore de la providence divine, la deroberent et l'emmenerent. Quand elle fut apportée, et qu'on la veit en Alexandrie, Timotheus le cosmographe et Manethon Sebennitique, conjecturans que c'estoit la statue de Pluton à voir Cerberus auprès de luy, et le dragon, persuaderent au roy que ce n'estoit l'image d'autre dieu que de Sarapis, car il ne vint pas de là avec ce nom là, mais estant apporté en Alexandrie, il y acquit le nom de Sarapis, qui est le nom dont les Ægyptiens appellent Pluton, combien que Heraclitus le physicien die, que Pluton et Dionysius, c'est à dire Bacchus , soient tout un. Quand doncques ils veulent enrager et follastrer, ils se laissent aller en ceste opinion. Car ceux qui cuydent que Ades, c'est à dire Pluton, soit le corps, comme la sepulture de l'ame, pource qu'il semble qu'elle soit folle ou yvre pendant qu'elle est dedans, il me semble qu'ils allegorisent bien froidement, et vault mieulx assembler en un Osiris avec Bacchus, et Bacchus avec Sarapis, en disant que depuis qu'il eut changé de nature, il changea aussi d'appellation : et pourtant est le nom de Sarapis commun à tous, ainsi comme souvent assez ceux qui ont esté reçeus ès sacrifices et en la religion de Osiris.
XXVII. Car il ne fault pas adjouster foy aux livres des Phrygiens qui disent que une Charops fut fille de Hercules, et que d'un autre fils de Hercules nommé Isaiacus nasquit Typhon, nyaussi faire compte de Philarchus escrivant que Bacchus fut le premier qui amena des Indes deux bœufs, l'un desquels avoit nom Apis, et l'autre Osiris, et que Sarapis est le propre nom de celuy qui regit et embellit l'univers, d'autant que Sairein signifie orner et embellir, car ces propos de Philarchus sont manifestement hors de toute apparence, et encore plus le dire de ceux qui escrivent que Sarapis n'est pas le nom d'un dieu, mais que c'est le sepulchre d'Apis que lon appelle ainsi, et qu'il y a dedans la ville de Memphis des portes de bronze(nommées d'oubliance et de deuil) que lon ouvre quand lon inhume Apis, et qu'elles menent un bruit bas et rude quand on les ouvre, et que c'est pourquoy nous mettons la main sur tout vase de bronze et de cuyvre qui nous fait du bruit pour le faire cesser. Il y a plus d'apparence en l'opinion de ceux qui tienent qu'il a esté derivé de ce mot Sevesthai ou Sousrthai, qui signifie poulser, comme estant celuy qui remue toute la machine du monde. Il y a aussi plusieurs des presbtres qui tienent que c'est un mot composé de Osiris et d'Apis, exposans et nous enseignans qu'il nous fault penser que Apis est une belle image de l'ame d'Osiris. Mais quant à moy si Sarapis est un nom Ægyptien, je pense qu'il signifie joye et alaigresse, le conjecturant par ce que les Ægyptiens appellent feste et liesse Sairei, car Platon mesme escrit que Ades, qui signifie Pluton, est fils d'Aido, c'est à dire de vergongne et de honte, doulx et clement dieu à ceux qui sont par devers luy. Et est vray que au langage des Ægyptiens, plusieurs autres noms propres signifient quelque chose, comme celuy par lequel ils signifient le lieu de dessoubs terre, où ils cuydent que les ames des trespassez s'en aillent après la mort, qu'ils disent Amenthes, c'est à dire, prenant et donnant : mais si ce mot là est un de ceux qui anciennement sont sortis de la Grece, et depuis y ont esté rapportez, nous en discourrons cy après.
XXVIII. Et maintenant achevons de considerer le reste de l'opinion que nous avions en main : car Osiris et Isis estants des bons dæmons, ont esté transferez en la nature des dieux : et quant à la puissance de Typhon qui s'en alloit deffaitte et fracassée, voire tirant aux derniers sanglots et battements de la mort, ils ont aucuns sacrifices et cerimonies où ils la reconfortent, et y en a aussi d'autres, esquels au contraire ils l'abbattent et la diffament en certaines festes qu'ils ont : car ils injurient et oultragent les hommes rousseaux, et qui plus est, ils precipitent les asnes roux, comme font les Coptites, pour autant que Typhon a esté roux, et de la couleur d'un asne rouge : et les Busirites, et Lycopolites se gardent entierement de sonner des trompettes, d'autant que leur son ressemble au cry de l'asne : et brief ils estiment que l'asne soit un animal immonde, pour la semblance de couleur qu'il a avec luy : et faisant des gasteaux ès sacrifices des moys de Payni, et de Phaofi, ils y figurent dessus un asne lié : et au sacrifice du soleil, à ceux-qui veulent cognoistre dieu, ils commandent qu'ils ne portent point de bagues d'or sur leurs corps, et qu'ils ne donnent point à manger à l'asne : et semble que les Pythagoriens mesmes eussent opinion, que Typhon estoit une puissance dæmonique : car ils disent qu'il nàsquit en un nombre pair de cinquante huict, et de rechef que celle du nombre triangle est la puissance de Pluton, de Bacchus, de Mars, et que celle du quarré est de Rhea, de Venus, de Geres, de Vesta et de Juno : et celle du Dodecagone, c'est à dire, à douze angles, est celle de Jupiter, et celle à cinquante et huict angles est celle de Typhon, ainsi comme Eudoxus a laissé par escrit : et les Ægyptiens estimans que Typhon a esté roux de couleur, immolent et sacrifient les bœufs de la mesme couleur, en faisant si exquise et si diligente observation, que s'il a un seul poil blanc ou noir, ils le reputent non sacrifiable, par ce qu'ils estiment que ce qui est bon à sacrifier, ne soit pas agreable aux dieux : ains au contraire, desplaisant à eux, d'autant qu'ils pensent que ce soient des corps qui ont receu les ames de quelques mauvais et meschants hommes, transformez en d'autres animaux, et pourtant font ils toutes les execrations et maledictions du monde dessus la teste laquelle ils couppent, et puis la jettent dedans la riviere , au moins ils le faisoient ainsi anciefmement, mais maintenant ils la donnent aux estrangers, et puis les presbtres, qui se nomment les Seelleurs, venoient à marquer ce bœuf que lon devoit immoler de la marque de leur seau, qui estoit, ainsi comme escrit Castor, l'image d'un homme à genoux, ayant les mains liées derriere, et l'espée à la gorge : semblable traittement font ils à l'asne pour sa lourde rudesse et son insolence, non moins que pour sa couleur. Et pourtant surnomment ils Ochus celuy des roys de Perse que plus ils haïssoient comme execrable et abominable, l'asne : Et Ochus en estant adverty leur dit, « Cest asne là mangera vostre bœuf ». Aussi feit il immoler leur bœuf Apis, ainsi comme Dinon a laissé par escript. Et quant à ceux qui disent que Typhon, après la battaille perdue, s'en fuit sept journées dessus un asne, et que s'estant ainsi sauvé, il engendra des enfans, Jerosolymus et Judæus, il est tout manifeste qu'ils veulent tirer à toute force les histoires des Juifs en ceste fable.
XXIX. Telles doncques sont les conjectures que lon en peut tirer, mais pour en discourir un peu avec raison, considerons premierement les points où il y a plus de simplicité. Ainsi comme les Grecs allegorisent, que Saturne est le temps, et que Juno est l'air, et que la generation de Vulcain est la transmutation de l'air en feu : aussi disent ils que Osiris emprès les Ægyptiens s'entend estre le Nil, qui se mesle avec Isis, c'est à dire la terre, et que Typhon est la mer; dedans laquelle le Nil venant à entrer, se perd et se dissipe cà et là, sinon en tant que la terre en recevant une partie en est rendue fertile par luy, et s'y fait une lamentation sacrée sur le Nil, par laquelle on le deplore comme naissant à la main gauche, et se perdant à la main droitte : car les Ægyptiens estiment que la partie du soleil levant soit la face du monde, et la partie de Septentrion soit le costé droict, et la partie du midy le costé gauche. Ce Nil doncques qui sourd à la main gauche, et se vient à perdre en la mer à la main droitte, à bon droit est dit avoir sa naissance à la gauche, et sa mort à la droitte. C'est pourquoy les presbtres ont la mer en abomination, et appellent le sel l'escume de Typhon et est l'un des poincts qu'on leur defend, de n'user jamais de sel à la table, et la raison pourquoy ils ne saluënt jamais les pilotes et gens de marine, pour autant qu'ils sont ordinairement sur la mer, et gaignent leur vie à l'art de naviger, et est aussi l'une des principales causes pourquoy ils abominent le poisson, de sorte que quand ils veulent escrire le hair et abominer, ils paignent un poisson : comme au vestibule, qui est devant le temple de Minerve, en la ville de Sai, il y avoit paint un petit enfant, un vieillard, et puis un esparvier, et tout joignant un poisson, et à la fin un cheval de riviere, qui signifioit soubs figure : « O arrivans et partans, jeunes et vieux, dieu hait toute violente injustice » : car par l'esparvier ils representent dieu, par le poisson haine et abomination, et par le cheval de riviere, toute impudence de mal faire, d'autant que lon tient qu'il tue son pere, et puis se mesle par force avec sa mere. Ainsi semblera il que le dire des Pythagoriens, qui disoient que la mer estoit la larme de Saturne, soubs paroles couvertes voulussent donner à entendre qu'elle estoit impure et immonde.
XXX. J'ay bien voulu en passant alleguer cela, encore qu'il soit hors du propos de nostre fable, pour ce qu'il contient une histoire toute commune : mais pour revenir à nostre propos, les plus sçavans des presbtres entendent par Osiris non seulement la riviere du Nil, et par Typhon la mer, ains par l'un ils entendent generalement toute vertu de produire eau, et toute puissance humide, estimans que ce soit la cause materielle de generation, et la substance du germe generatif : et par Typhon ils entendent toute vertu desicative, toute chaleur de feu, et toute secheresse, comme chose qui est de tout point contraire et ennemie de l'humidité : c'est pourquoy il tienent que Typhon estoit rousseau de poil, et de tainct jaunastre, et pour ceste raison ils ne rencontrent pas volontiers les hommes qui sont de telles couleurs ny ne parlent pas, sinon envis, à eux : au contraire ils faignent que Osiris estoit brun de couleur, pour autant que toute eau fait apparoir la terre, les vestemens, et les nuées mesmes noires, et l'humidité qui est dedans les jeunes hommes rend les cheveux noirs, et la couleur jaune, qui semble une pallidité procedant de seicheresse qui est au corps de ceux qui ont passé la fleur et vigueur de leur aage : et la saison de la primevere est verdoyante, generative et doulce : mais l'arriere saison de l'automne à faute d'humeur est ennemie des plantes, et maladive pour les hommes. Et le bœuf qui publiquement est nourry en la ville de Heliopolis, que lon appelle Mnevis, consacré à Osiris, et que les aucuns estiment estre pere d'Apis, est de poil noir, et est honoré en second lieu après celuy d'Apis. Davantage toute la terre d'Ægypte est fort noire entre les autres, comme ils appellent le noir des yeux chemia, et l'accomparent et representent par le cœur, lequel est chaud et humide, et aussi à la senestre partie du monde, comme le coeur est tourné vers la partie gauche de l'homme, et encline là : et disent que le soleil et la lune ne sont point voiturez dedans des charriots ou charrettes, ains dedans des bateaux, esquels ils naviguent tout à l'entour du monde, donnans par cela couvertement à entendre, qu'ils sont nez et nourris d'humidité. Et estiment que Homere ayant appris des Ægyptiens comme ThaIes, que l'eau estoit le principe de toutes choses, le met aussi, par ce que Osiris est l'Ocean, et Isis est Thetis, qui nourrit et allaicte tout le monde : car les Grecs appellent la projection de semence Apousian, et la commixtion du masle et de la femelle Synousian, et Hyos en Grec signifie fils, qui est derivé de ce mot Hydor, qui vaut autant comme eau, et Hysai signifie plouvoir, et surnomment Bacchus Hyes, comme qui diroit, maistre et seigneur de l'humide nature, qui n'est autre chose que Osiris. Et ce que nous prononcions Osiris , Hellanicus le met Hysiris, disant l'avoir ainsi ouy prononcer aux presbtres, et rappellent par tout ainsi, non sans apparence de raison, à cause de sa nature et de son invention.
XXXI. Mais que ce soit Osiris un mesme dieu que Bacchus, qui est ce qui par raison le doit mieux sçavoir que toy, ô Clea, attendu qu'en la ville de Thebes tu es la maistresse des Thyades et que dès ton enfance tu as esté consacrée et dévouée par ton pere et par ta mere au service et à la religion d'Osiris ? Mais si pour le regard des autres il est besoing d'alleguer des tesmoignages, nous laisserons les choses cachées et secrettes, mais ce que les presbtres font en public quand ils enterrent Apis, ayant apporté le corps sur un radeau, ne differe en rien des cerimonies de Bacchus : car ils sont vestus de peaux de cerfs, et portent en leurs mains des javelines, et cryent à pleines testes, et se demenent fort, ne plus ne moins que ceux qui sont espris de la saincte fureur de Bacchus : c'est pourquoy plusieurs peuples de la Grece portraient la statue de Bacchus avec une teste de taureau, et les femmes des Eliens en leurs prieres le reclament et requierent de venir à elles avec son pied de bœuf. Et les Argiens communement le surnomment Bougenes, qui est à dire fils de vache : qui plus est ils l'invoquent et l'appellent hors de l'eau au son des trompettes, jettans dedans un abysme d'eau un agneau pour le portier, et cachent leurs trompettes dedans leurs javelines, ainsi comme Socrates l'escrit en son livre des sainctes cerimonies. Et puis les faicts titaniques et la nuict toute entiere s'accordent avec ce que lon raconte du demembrement d'Osiris, et à sa resurrection et renouvellement de vie : aussi font les sepultures, car les égyptiens monstrent en plusieurs lieux des sepultures d'Osiris : et les Delphiens pensent avoir les ossemens de Bacchus par devers eux, qui sont inhumez près de l'Oracle, et luy font les religieux un sacrifice secret dedans le temple d'Apollo, quand les Thyades, qui sont les presbtresses, commancent à remuer et entonner leur cantique de Licnites, qui est un surnom de Bacchus, derivé de Licnon, qui signifie le berceau d'un petit enfant. Or que les Grecs estiment que Bacchus soit le seigneur et maistre, non seulement de la liqueur du vin, mais aussi de toute autre nature humide, Pindare en est suffisant tesmoing quand il dit,
Bacchus le donneur de liesse
Les arbres accroissent en largesse,
Car sa lueur sainte produit
Toutes les especes de fruict.
Voilà pourquoy il est estroittement inhibé et defendu à ceux qui servent et reverent Osiris de gaster un arbre fruictier, et d'estoupper une fontaine : si n'appellent pas seulement la riviere du Nil, le decoulement d'Osiris, ains toute autre sorte d'eau : au moyen dequoy devant ses sacrifices on porte tousjours en procession une cruche à eau, en l'honneur de ce dieu. Et puis ils paignent un roy ou le climat meridional du monde, par une feuille de figuier, et interpretent ceste feuille l'abbreuvement et le mouvement de tous, et semble qu'elle se rapporte au membre naturel. Et quand ils celebrent la feste qu'ils appellent des Pamyliens, qui est toute bachanale, ils monstrent et portent en procession une statue qui a le membre naturel, qui est trois fois aussi grand que l'ordinaire : car dieu est le principe des choses, et tout principe par generation se multiplie soymesme : or avons nous accoustumé de dire trois fois pour plusieurs fois, nombre finy pour infiny, comme quand nous disons Trismacares, c'est à dire trois fois heureux, pour dire très heureux, et trois liens pour dire infinis.
XXXII. Si d'adventure le nombre ternaire n'a esté expressement et proprement choisi par les anciens : car la nature humide estant le principe et la generation de toutes choses, a engendré dès le commancement les trois premiers corps, à sçavoir l'eau, l'air et la terre : car le propos que lon adjouste à la fable, que Typhon jetta le membre viril d'Osiris en la riviere, et que Isis ne le peut trouver, mais qu'elle en feit faire une representation semblable, et que l'ayant accoustré elle ordonna qu'on l'honorast, et qu'on le portast en pompe tend à nous enseigner que la vertu genitale et productive de dieu, eut l'humidité pour sa premiere matiere, et par le moyeu d'icelle humidité se mesla parmy les choses qui estoyent propres à participer de la generation. Il y a un autre propos que tienent les Ægyptiens, que un Apopis frere du soleil faisoit la guerre à Jupiter, qu'Osiris porta secours à Jupiter, et luy ayda à deffaire son ennemy : au moyen dequoy il l'adopta pour son fils, et le nomma Dionysius, c'est à dire Bacchus. Si est facile à monstrer que la fabulosité de ce propos là touche couvertement la verité de nature : car les Ægyptiens appellent Jupiter le vent, auquel rien n'est plus contraire que la secheresse enflammée, ce que n'est pas le soleil, mais elle a grande consanguinité et conformité à luy. Or l'humidité venant à estaindre l'extremité de la secheresse, fortifie et augmente les vapeurs qui nourrissent le vent et le tienent en vigueur : davantage les Grecs consacrent le lierre à Bacchus, lequel s'appelle en langage Ægyptien Chenosiris : qui signifie ainsi comme lon dit, la plante d'Osiris : au moins Ariston, celuy qui a descript les colonies des Atheniens, dit l'avoir ainsi trouvé en un epistre d'Alexarchus. Il y a d'autres Ægyptiens qui tienent que Bacchus estoit fils d'Isis , et qu'il ne s'appelloit pas Osiris, mais Arsaphes en la lettre Alpha , lequel nom signifie, ce disent ils, prouësse et vaillance, ce que mesme donne à entendre Hermaeus en son premier livre des choses Ægyptienes, là où il dit qu'Osiris interpreté signifie pluvieux. Je laisse à alleguer Mnasas, qui adjousta à Epaphus, Bacchus, Osiris et Sarapis : je laisse aussi Anticlides qui dit, qu'Isis estoit fille de Prometheus, et qu'elle fut mariée avec Bacchus.
XXXIII. Car les particulieres proprietez que nous avons dit qui sont en leurs festes et sacrifices, font foy plus evidente et plus claire que nulle allegation de tesmoings : et entre les estoiles ils tienent que la Caniculaire est consacrée à Isis, laquelle estoile attire l'eau : et puis ils honorent le lion, et ornent les portes de leurs temples avec des testes de lion, ayants les gueules ouvertes, pour ce que le fleuve du Nil deborde quand le soleil passe par le signe du Lion. Or ainsi comme ils estiment et appellent le Nil decoulement d'Osiris, aussi tienent ils que le corps d'Isis est la terre, non pas toute, mais celle que le Nil en se meslant rend fertile et feconde, et de celle assemblée ils disent qu'il s'engendre Orus, qui n'est autre chose que la temperature et disposition de l'air, qui nourrit et maintient toutes choses : et disent que cest Orus fut nourry dedans les marets, qui sont près de la ville de Butus, par la deesse Latone, pour ce que la nature eveuse et arrosée d'eaux, produit et nourrit les vapeurs qui estaignent et empeschent la grande secheresse. Ils appellent aussi les extremitez de la terre, et les confins des rivages qui touchent à la mer, Nephtys, c'est pourquoy ils surnomment Nephtys la derniere, et disent qu'elle fut mariée à Typhon : et quand le Nil debordé et hors de ses rives approche de ses extremitez là, ils appellent cela l'adultere d'Osiris avec Nephtys, laquelle se cognoit à quelques plantes qui y sourdent, entre lesquelles est le Melilot duquel, ce disent ils, quand la graine vint à tomber, Typhon commancea à s'appercevoir du tort qu'on luy faisoit en son mariage. Ainsi disent ils que Isis enfanta Orus legitime, et Nephtys Anubis bastard, et en la succession des roys, ils mettent Nephtys mariée à Typhon, qui fut la premiere sterile : et si cela ne s'entend point d'une femme, ains d'une deesse, ils entendent soubs ces paroles couvertes une terre de tout point sterile et infructueuse pour sa dureté, et la surprise de Typhon, et sa domination usurpée, n'est autre chose que la force de la secheresse qui fut la plus forte, et qui dissipa toute humidité, qui est le Nil, matiere de produire en estre, et de croistre et augmenter tout ce qui naist de la terre : et la royne d'Æthiopie qui vint à son secours, ce sont les vents Meridionaux venans de devers l'Æthiopie : car quand ces vents là du midy vienent à gaigner les Etesiens qui soufflent de la part de Septentrion, et chassent les nues en l'Æthiopie, et par ce moyen empeschent que les grands ravages des pluyes ne devalent des nues , alors la secheresse obtient le dessus qui brusle tout, et surmonte de tout point le Nil son contraire, qui pour sa foiblesse se retire et reserre, tellement qu'elle le vous poulse bas, et perit en la mer.
XXXIV. Car ce que la fable dit qu'Osiris fut enfermé dedans un coffre, ou un cercueil, ne veut autre chose signifier que le retirement et appetissement de l'eau : c'est pourquoy ils disent qu'Osiris disparut au mois d'Athyr, lors que cessans de souffler du tout les vents Etesiens, le Nil se retire, et la terre se descouvre, et la nuict croissant, l'obscurité croist, et la force de la lumiere decroist et se diminue : et les presbtres alors font plusieurs cerimonies de tristesse, entre autres ils montrent un bœuf aux cornes dorées, qu'ils couvrent d'une couverture de lin tainct en noir, pour representer le deuil de la deesse : car ils estiment que le bœuf soit l'image d'Osiris, et le vestement de lin la terre, si le monstrent quatre jours durant, depuis le dix septieme du mois tout de reng, pource qu'il y a quatre choses qu'ils regrettent, et dont ils font demonstration de deuil : la premiere c'est le Nil qui se retire et qui s'en va tarissant : la seconde, les-vents du Septentrion qui se baissent, et les vents du midy qui gaignent le dessus : la tierce, le jour qui devient plus court que la nuict : et après tout, le denuëment et la descouverture de la terre, avec le de vestement aussi des arbres, qui au mesme temps perdent leurs feuilles qui leur tombent : puis la nuict du dixneufieme jour il descend vers la mer, et les presbtres revestus de leurs habits sacrez portent le coffre sacré, où il y a un petit vase d'or, dedans lequel ils versent de l'eau douce : et adonc tous les assistans se prennent à crier, comme si Osiris estoit trouvé, et puis ils detrempent de la terre avec de l'eau, et y meslans des plus precieuses senteurs et bonnes odeurs, en font une petite image en forme de croissant, et la vestent et accoustrent, donnans clairement à cognoistre qu'ils estiment la substance de l'eau et de la terre estre ces dieux là.
XXXV. Ainsi ayant Isis recouvré Osiris et eslevé Orus, fortifié par vapeurs, brouillas et nuées, Typhon fut bien surmonté , mais non pas tué, pour ce que la deesse, qui est dame de la terre, ne voulut pas permettre que la puissance qui est contraire à l'humidité fust du tout aneantie, ains seulement la lascha et la diminua, voulant que ce combat demeurast, pour ce que le monde ne seroit point entier et parfait quand la nature du feu en seroit estaincte et ostée. Et si cela ne se dit entre eux, aussi ne seroit point ce propos vraysemblable, si quelqu'un le mettoit en avant, que Typhon jadis fust venu au dessus d'une portion d'Osiris, pour ce que anciennement Ægypte estoit la mer, de maniere qu'encore jusques aujourd'huy dedans les mines où lon fouille, et parmy les montagnes, lon trouve force coquilles de mer, et toutes les fontaines, et tous les puis, qui sont en grand nombre, ont l'eau salmastre et amere, comme estant encore un reste et reserve de la mer qui seroit là coulée. Mais avec le temps Orus est venu au dessus de Typhon : c'est à dire qu'estant venue la temperature des pluyes, qui ont temperé l'excessive chaleur, le Nil a repoulsé la mer, et monstré la campagne à descouvert, qu'il a tousjours depuis remplie de plus en plus de nouveaux amas de terre, ce que tesmoigne l'experience que nous en voyons tous les jours à l'œil : car nous apparcevons encore jusques aujourd'huy, que le fleuve apportant tous les jours de la nouvelle vase et amenant de la terre, la mer se retire tousjours petit à petit en arriere, et que la mer s'en va, par ce que ce qui estoit bas en elle se remplit et se haulse par les continuels aterremens du Nil, et l'isle de Pharos qu'Homere disoit estre de son temps esloignée de la navigation d'une journée de la terre ferme d'Ægypte, est maintenant partie d'icelle, non qu'elle s'en soit approchée ou remontée vers la terre, mais pour ce que la mer qui estoit entre deux a cedé au fleuve , qui continuellement a maçonné de nouveau limon, dont il a augmenté la terre ferme.
XXXVI. Mais cela ressemble aux theologiques interpretations que donnent les stoïques : car ils tienent que l'esprit generatif et nutritif est Bacchus, et celuy qui bat et qui divise est Hercules, celuy qui reçoit, Ammon, celuy qui penetre la terre et les fruicts est Ceres et Proserpine, celuy qui passe à travers la mer est Neptune, les autres meslans parmy les causes et raisons naturelles quelques unes triées des mathematiques, mesmement de l'Astrologie, estiment que Typhon soit le monde du soleil, et Osiris celuy de la lune, pour ce que la lune a une lumiere generative, multipliant l'humidité doulce et convenable à la generation des animaux, et à la generation des plantes et des arbres : mais que le soleil ayant une clarté de feu pur, eschauffe et desseche ce que la terre produit, et ce qui verdoye et florit, tellement que par son embrasement il rend la plus grande partie de la terre totalement deserte et inhabitable, et en plusieurs lieux supplante la lune : et pourtant les Ægyptiens appellent tousjours Typhon Seth, qui vault autant à dire, comme dominant et forceant, et content que Hercules conjoinct avec le soleil, environne le monde, et Mercure avec la lune : au moyen dequoy les œuvres et effects de la lune ressemblent aux actes qui se font par eloquence, et par sagesse : et ceux du soleil à ceux qui se font à coups, par force et puissance. Et disent les stoïques que le soleil s'allume de la mer, et s'en nourrit, mais que les fontaines et les lacs envoyent à la lune une doulce et delicate vapeur.
XXXVII. Les Ægyptiens feignent que la mort d'Osiris advint le dixseptieme jour du mois , auquel on juge mieux qu'en nul autre, qu'elle est pleine : c'est pourquoy les Pythagoriens appellent ce jour là obstruction, et ont du tout en grande abomination ce nombre là : car estant le seize nombre quarré, et le dixhuict plus long que large, ausquels deux seuls entre les nombres plats, il advient que les unitez qui les environnent alentour sont egales aux petites aires, contenues au dedans, le seul dixseptieme tombant entre deux les separe et desjoinct l'un d'avec l'autre, et divise la proportion sesquioctave, estant couppé en intervalles inegaux : et y en a aucuns qui tienent qu'Osiris vescut, les autres qu'il regna vingt et huict ans : car autant y a il de jours esclairez de la lune, et en autant de jours environne elle son cercle : et pour ce ès cerimonies qu'ils appellent la sepulture d'Osiris, couppans du bois ils en font un coffre courbé, en façon de croissant, pour autant que quand elle s'approche du soleil, elle devient pointue et cornue en forme de croissant, tant que finablement elle disparoit : et quant au demembrement d'Osiris qu'ils disent avoir esté couppé en quatorze pieces , ils donnent à entendre soubs le voile de ces paroles couvertes, les jours qu'il y a du decours que la lune va decroissant jusques à la nouvelle lune, et le premier jour qu'elle commance à apparoir nouvelle, en s'eschappant des rais du soleil et le passant, ils l'appellent bien imparfaict : car Osiris est bien faisant, et son nom signifie beaucoup de choses, mais principalement une force active et bienfaisante, comme ils disent : et son autre nom, qui est Omphis, Hermaeus dit qu'il signifie autant comme bienfaitteur, aussi estiment ils que les montées des debordemens du Nil ont quelque respondance au cours de la lune : car la plus haute qui se fait en la contrée Elephantine, monte jusques à vingt et huict coudées, autant qu'il y a de jours illuminez en chasque revolution de la lune, et la plus basse qui se fait près de Mendes et de Xois est de six coudées, qui respond au premier quartier : et la moyenne qui se fait aux environs de Memphis, quand elle est juste est de quatorze coudées, respondant à la pleine lune, et que Apis est l'image vive d'Osiris, et qu'il nasquit alors que la lumiere generative descend de la lune, et vient à toucher la vache quand elle appete le masle, et pour ce resemble il aux formes de la lune, ayant des marques blanches et claires, fort obscurcies par les umbres du noir : c'est pourquoy ilz solennisent une feste à la nouvelle lune du mois qu'ils appellent Phamenoth, laquelle ils nomment l'entrée d'Osiris en la lune, qui est le commancement de la prime-vere , ainsi mettent ils la puissance d'Osiris en la lune : ils disent que Isis, qui n'est autre chose que la generation, couche avec luy, pourtant appellent ils la lune la mere du monde, et disent qu'elle est de nature double, masle et femelle : femelle , en ce qu'elle est emplie et engrossie de la lumiere du soleil : et masle, en ce que de rechef elle jette et respand en l'air des principes de generation , pource que l'intemperature seche de Typhon ne gaigne pas tousjours, ains est bien souvent vaincue par la generation, et estant liée, se monstre de nouveau et combat de rechef à l'encontre d'Orus, qui n'est autre chose que ce monde terrestre, lequel n'est pas de tout point delivre de corruption, ny aussi de generation.
XXXVIII. Il y en a d'autres qui veulent que toute ceste fiction ne represente couvertement autre chose que les eclipses, car la lune eclipse quand elle est au plein directement opposée au soleil, et qu'elle vient à tomber dedans l'umbre de la terre, comme quand Osiris fut mis dedans la bierre, et au contraire aussi elle le cache et fait disparoir au trentieme jour : mais elle n'oste pas du tout le soleil, comme aussi ne fait pas Isis Typhon, mais Nephtys engendrant Anubis, Isis luy est supposée, car Nephtys est la partie de dessous la terre qui ne nous apparoist point, et Isis celle de dessus qui nous apparoit, et le cercle qui s'appelle Orizon, qui est commun et disgrege les deux hemispheres se nomme Anubis, et se compare de figure à un chien, pource que le chien se sert de la veuë aussi bien la nuict que le jour, et semble qu'envers les Ægyptiens Anubis a une pareille puissance que Proserpine envers les Grecs, estant et terrestre et celeste.
XXXIX. Il y en a d'autres à qui il semble qu'Anubis est Saturne, et pourautant qu'il porte en son ventre et engendre toutes choses, qui s'appelle Kyein en langage Grec, pour ceste cause a esté surnommé Kyon, qui est à dire chien. Il y a doncques quelque secret qui fait que quelques uns encore reverent et adorent le chien, car il fut un temps qu'il avoit plus d'honneur en Ægypte que nul autre animal : mais depuis que Cambyses eut tué Apis, et jetté par piece çà et là, nul autre animal n'en approcha n'y n'eu voulut taster sinon le chien, il perdit ceste prerogative d'estre le premier, et plus honoré que nul autre des animaulx. Il y en a d'autres qui appellent l'ombre de la terre qui fait eclipser la lune quand elle y entre, Typhon.
XL. Parquoy il me semble qu'il ne seroit pas hors de propos de dire, que particulierement il n'y a pas une de ces interpretations qui soit entierement parfaicte, mais que toutes ensemble disent bien et droictement, car ce n'est ny la seicheresse seulement, ny le vent, ny la mer, ny les tenebres, mais tout ce qui est nuysible, et qui a une partie propre à perdre et à gaster, tout cela s'appelle Typhon : Et ne fault pas mettre les principes de l'univers en des corps qui n'ont point d'ames, ainsi que font Democritus et Epicurus : ny ouvrier et fabricateur de la premiere matiere, une certaine raison et une providence, comme font les Stoïques, ayant son estre avant toutes choses, et commandant à tout : car il est impossible qu'il y ait une seule cause bonne ou mauvaise qui soit principe de toutes choses ensemble, pour ce que dieu n'est point cause d'aucun mal, et la concordance de ce monde est composée de contraires, comme une lyre du hault et bas, ce disoit Heraclitus : et ainsi que dit Euripide,
Jamais le bien n'est du mal separé,
L'un avec l'autre est tousjours temperé,
A fin que tout au monde en aille mieulx.
XLI. Parquoy ceste opinion fort ancienne , descendue des Theologiens et Legislateurs du temps passé jusques aux poëtes et aux philosophes, sans que lon sçache toutefois qui en est le premier autheur, encore qu'elle soit si avant imprimée en la foy et persuasion des hommes, qu'il n'y a moyen de l'en effacer, ny arracher, tant elle est frequentée, non pas en familiers devis seulement, ny en bruits communs, mais en sacrifices et divines cerimonies du service des dieux, tant des nations barbares que des Grecs en plusieurs lieux, que ny ce monde n'est point flottant à l'adventure sans estre regy par providence et raison, ny aussi n'y a il une seule raison qui le tiene et qui le regisse avec ne sçay quels timons, ne sçay quels mords d'obeissance, ains y en a plusieurs meslez de bien et de mal, et pour plus clairement dire, il n'y a rien icy bas que nature porte et produise, qui soit de soy pur et simple : ne n'y a point un seul despensier de deux tonneaux qui nous distribue les affaires, comme un tavernier fait ses vins en les meslant et brouillant les uns avec les autres, ains ceste vie est conduitte de deux principes, et de deux puissances adversaires l'une à l'autre, l'une qui nous dirige et conduict à costé droict, et par la droitte voye, et l'autre qui au contraire nous en destourne et nous rebute : ainsi est ceste vie meslée, et ce monde, sinon le total, à tout le moins ce bas et terrestre au dessoubs de la lune, inegal et variable subject à toutes les mutations qu'il est possible : car s'il n'y a rien qui puisse estre sans cause precedente, et ce qui est bon de soy ne donneroit jamais cause de mal, il est force que la nature ait un principe et une cause, dont procede le mal aussi bien que le bien.
XLII. C'est l'advis et l'opinion de la plus part, et des plus sages anciens : car les uns estiment qu'il y ait deux dieux de mestiers contraires, l'un autheur de tous biens, et l'autre de tous maulx : les autres appellent l'un dieu qui produit les biens, et l'autre dæmon, comme fait Zoroastres le Magicien, que lon dit avoir esté cinq cents ans devant le temps de la guerre de Troye. Cestuy donc appelloit le bon dieu Oromazes, et l'autre Arimanius, et davantage il disoit que l'un ressembloit à la lumiere, plus qu'à autre chose quelconque sensible , et l'autre aux tenebres et à l'ignorance, et qu'il y en avoit un entre les deux qui s'appelloit Mithres : c'est pourquoy les Perses appellent encore celuy qui intercede et qui moyene , Mithres : et enseigna de sacrifier à l'un, pour luy demander toutes choses bonnes, et l'en remercier : et à l'autre pour divertir et destourner les sinistres et mauvaises : car ils broyent ne sçay quelle herbe , qu'ils appellent Omomi, dedans un mortier, et reclament Pluto et les tenebres, et puis la meslant avec le sang d'un loup qu'ils ont immolé, ils la portent et la jettent en un lieu obscur où le soleil ne donne jamais : car ils estiment que des herbes et plantes les unes appartiennent au bon dieu, et les autres au mauvais dæmon, et semblablement des bestes, comme les chiens, les oyseaux et les herissons terrestres, soient à dieu, et les aquatiques au mauvais dæmon, et à ceste cause reputent bien heureux ceux qui en peuvent faire mourir plus grand nombre : toutefois ces sages là disent beaucoup de choses fabuleuses des dieux, comme sont celles cy, que Oromazes est né de la plus pure lumiere, et Arimanius des tenebres, qu'ils se font la guerre l'un à l'autre, et que l'un a fait six dieux, le premier celuy de Benevolence, le second de Verité, le troisieme de bonne loy, le quatrieme de Sapience, le cinquieme de richesse, le sixieme de joye pour les choses bonnes et bien faittes : et l'autre en produit autant d'autres en nombre, tous adversaires et contraires à ceux cy.
XLIII. Et puis Oromazes s'estant augmenté par trois fois, s'esloigna du soleil autant comme il y a depuis le soleil jusques à la terre, et orna le ciel d'astres et d'estoilles, entre lesquelles il en establit une, comme maistresse et guide des autres, la Caniculaire. Puis ayant fait autres vingt et quatre dieux, il les meit dedans un œuf, mais les autres qui furent faicts par Arimanius en pareil nombre, gratterent et ratisserent tant cest œuf qu'ils le percerent, et depuis ce temps là les maulx ont esté pesle mesle brouillez parmy les biens. Mais il viendra un temps fatal et predestiné , que cest Arimanius ayant amené au monde la famine ensemble et la peste, sera destruict et de tout poinct exterminé par eux : et lors la terre sera toute platte, unie et egale, et n'y aura plus que une vie et une sorte de gouvernement des hommes, qui n'auront plus que une langue entre eux, et vivront heureusement.
XLIV. Theopompus aussi escrit que selon les Magiciens, l'un de ces dieux doit estre trois mille ans vaincueur, et trois autres mille ans vaincu, et trois autres mille ans qu'ils doivent demourer à guerroyer et à combattre l'un contre l'autre, et à destruire ce que l'autre aura fait, jusques à ce que finablement Pluton sera delaissé, et perira du tout, et lors les hommes seront bien-heureux, qui n'auront plus besoing de nourriture, et ne feront plus d'ombre, et que le dieu qui a ouvré, fait et procuré cela, chomme ce pendant et se repose un temps, non trop long pour un dieu, mais comme mediocre à un homme qui dormiroit. Voilà ce que porte la fable controuvée par les mages.
XLV. Et les Chaldées disent qu'entre les dieux des planettes qu'ils appellent, il y en a deux qui font bien et deux qui font mal, et trois qui sont communs et moyens : et quant aux propos des Grecs touchant cela, il n'y a personne qui les ignore : qu'il y a deux portions du monde, l'une bonne, qui est de Jupiter Olympien, c'est à dire celeste : l'autre mauvaise, qui est de Pluton infernal : et feignent davantage, que là deesse Harmonie, c'est à dire accord, est née de Mars et de Venus, dont l'un est cruel, hargneux et querelleux, l'autre est doulce et generative. Prenez garde que les philosophes mesmes convienent à cela, car Heraclitus tout ouvertement appelle la guerre, pere, roy, maistre et seigneur de tout le monde, et dit que Homere quand il prioit,
Puisse perir au ciel et en la terre,
Et entre dieux et entre hommes la guerre,
ne se donnoit pas de garde qu'il maudissoit la generation et production de toutes choses qui sont venus en estre par combat et contrarieté de passions, et que le soleil ne oultre-passeroit pas les bornes qui luy sont prefixes, autrement que les furies ministres et aides de la Justice le rencontreroient. Et Empedocles chante que le principe du bien s'appelle amour et amitié, et souvent Harmonie : et la cause du mal ,
Combat sanglant et noise pestilente.
XLVI. Quant aux Pythagoriens, ils designent et spécifient cela par plusieurs noms, en appellant le bon principe , Un , finy, reposant , droict , non pair, quarré, dextre, lumineux : et le mauvais, Deux, infiny, mouvant, courbe, pair, plus long que large, inegal, gauche, tenebreux. Aristote appelle l'un forme, l'autre privation : Et Platon, comme umbrageant et couvrant son dire, appelle en plusieurs passages l'un de ces principes contraires, le Mesme, et l'autre l'Autre : mais ès livres de ses loix qu'il escrivit estant desjà vieil, il ne les appelle plus de noms ambigus ou couverts, ny par notes significatives, ains en propres termes il dit, que ce monde ne se manie point par une ame seule, ains par plusieurs, à l'adventure, à tout le moins, non par moins que deux, desquelles l'une est bien-faisante, l'autre contraire à celle là, et produisant des effects contraires : et en laisse encore entre deux une troisieme cause qui n'est point sans ame ny sans raison, ny immobile de soy mesme, comme aucuns estiment, ains adjacente et adherente à toutes ces deux autres, appellant toutefois tousjours la meilleure, la desirant et la prochassant, comme ce que nous dirons cy après le rendra manifeste, qui accommodera la Theologie des Ægyptiens avec la Philosophie des Grecs, par ce que la generation, composition et constitution de ce monde icy est meslée de puissances contraires, non pas toutefois egales, car la meilleure le gaigne, et est plus forte, mais il est impossible que la mauvaise perisse du tout, tant elle est avant imprimée dedans le corps et dedans l'ame de l'univers, faisant tousjours la guerre à la meilleure.
XLVII. En l'ame doncques l'entendement et la raison, qui est la guide et la conduite, et le maistre de toutes les bonnes choses, c'est Osiris : et en la terre, ès vents, en l'eau, et au ciel, et aux astres ce qui est ordonné, arresté et bien disposé en temperature, saisons et revolutions, cela s'appelle decoulement ou defluxion d'Osiris, et l'image apparente d'iceluy : au contraire la partie de l'ame passionnée, violente, deraisonnable, folle, est Typhon : et du corps ce qui est debile, indispos et maladif, qui est turbulent par temps obscurs, mauvais air, obscurcissement de soleil, privation de lune, devoyements hors du cours naturel, disparition : toutes ces choses là sont Typhons , comme l'interpretation mesme du mot Ægyptien le signifie, car ils appellent Typhon, Seth, qui vault autant à dire comme supplantant, dominant, forceant. Il signifie aussi bien souvent retour, et quelquefois aussi sursault et supplantation : et disent aucuns que l'un des familiers amis de Typhon s'appelloit Bebaion, et Manethus arriere dit, que Typhon s'appelle aussi Bebon, qui signifie empeschement et retention, comme estant la puissance de Typhon qui arreste et empesche les affaires qui sont bien acheminez, et qui vont ainsi qu'il appartient. Voylà pourquoy des bestes privées ils luy dedient et attribuent la plus grossiere et la plus lourde, qui est l'asne, et quant à l'asne nous en avons parlé au paravant : et des sauvages celles qui sont les plus cruelles, comme le crocodile et le cheval de riviere.
XLVIII. En la ville de Mercure ils monstrent l'image de Typhon, qui est un cheval de riviere, sur lequel il y a un esparvier qui combat un serpent, par le cheval representans Typhon, et par l'esparvier la puissance et l'authorité que Typhon ayant acquise par force, ne se soucie pas d'estre souvent troublé, et de troubler aussi les autres par malice : et pourtant faisans un sacrifice le septieme jour du mois de Tybi, lequel sacrifice ils appellent la venue d'Isis du païs de la Phœnice, ils font sur les gasteaux du sacrifice un cheval de riviere lié et attaché.
XLIX. Et en la ville d'Apollo la coustume estoit qu'il fallait que chascun y mangeast du crocodile, et à certain jour ils en font une grande chasse, où ils en tuent tant qu'ils peuvent, et puis les jettent devant le temple : ils disent que Typhon estant devenu crocodile est eschappé à Orus, attribuans toutes les mauvaises bestes, les dangereuses plantes, les violentes passions, comme estans œuvres ou parties, ou mouvements de Typhon : au contraire ils paignent et representent Osiris par un sceptre sur lequel il y a un œil paint, entendans par l'œil la provoyance, et par le sceptre l'authorité et la puissance, comme Homere appelle Jupiter, celuy qui est maistre et seigneur de tout le monde, le souverain et le clair-voiant, nous donnant à entendre par souverain sa supreme puissance, et par clair-voiant sa sagesse et sa prudence. Ils le representent aussi souvent par un esparvier, d'autant qu'il a la veuë claire et aiguë à merveilles, et le vol merveilleusement viste et leger, et se remplit moins de viande, et est moins sur sa bouche que nul autre : et dit on qu'en volant par dessus des corps morts non ensepvelis, il leur jette de la terre sur les yeux : et quand il fond sur la riviere pour boire, il dresse et hérisse son pennache, puis quand il a beu il le rabbat de rechef, par où il appert qu'il est sauve, et qu'il a eschappé le crocodile, car si le crocodile le happe, son pennache luy demoure droit et herisse comme il estoit. Mais par tout où l'image d'Osiris est en forme d'homme, ils le paignent avec le membre viril droict, pour figurer sa vertu d'engendrer et de nourrir : et l'habillement qui revest ses images est tout reluysant comme feu, reputans le feu estre le corps de la puissance du bien, comme matière visible d'une substance spirituelle et intellective.
L. Voylà pourquoy il ne fault pas s'arrester au propos de ceulx qui attribuent la sphære du soleil à Typhon, attendu que jamais à luy ne s'attribue rien qui soit luysant, ny salutaire, ny disposition, generation ou mouvement qui soit faitte par mesure ny avec raison : mais si en l'air ou en la terre il se fait quelque émotion de vents ou d'eaux hors de saison, quand la cause primitive d'une desordonnée et indeterminée puissance vient à estaindre les vapeurs. Et puis ès sacrez hymnes d'Osiris ils reclament et invoquent celuy qui repose entre les bras du soleil, et le trentieme jour du moys Epiphi ils solennisent la feste des yeux d'Orus, lors que le soleil et la lune sont en une mesme droicte ligne, comme estimans non seulement la lune, mais aussi le soleil estre l'œil et la lumiere d'Orus : et le vingt et huictieme du mois de Phaophi, ils solennisent une autre feste qu'ils appellent le baston du soleil qui est après l'equinocce de l'automne, donnant couvertement à entendre, que le soleil a besoing d'un soustien, d'un appuy, et d'un renfort, d'autant que sa chaleur commance à diminuer et sa lumiere aussi s'enclinant et s'esloignant obliquement de nous : davantage ils portent à l'entour du temple sept fois une vache environ le solstice d'hyver, et ceste procession s'appelle le recherchement d'Osiris ou la revolution du soleil, comme desirant lors la deesse les eaux de l'hyver, et font autant de tours, pour autant que le cours du soleil depuis le solstice de l'hyver jusques à celuy de l'esté se fait au septieme moys.
LI. On dit aussi que Orus le fils d'Isis fut le premier qui sacrifia au soleil le quatrieme jour du moys, ainsi qu'il est escrit au livre de la nativité d'Orus, combien que à chasque jour ils offrent par trois fois du parfum au soleil, la premiere fois environ le soleil levant de resine, la seconde fois sur le midy de myrrhe, et environ le coucher du soleil d'une composition qu'ils nomment kyphi : l'interpretation et signifiance desquels parfums je declareray cy après, mais ils pensent reverer et honorer le soleil par tout cela. Et qu'est il besoing de ramasser beaucoup de telles choses, attendu qu'il y en a qui tout ouvertement maintienent qu'Osiris est le Soleil, et que les Grecs l'appellent Sirius, mais que l'article que les Ægyptiens ont mis devant a fait, que lon ne s'en est pas aperceu : et que Isis n'est autre chose que la lune, et que de ses images celles à qui lon donne des cornes ne representent autre chose que le croissant, et ceulx qui la vestent de noir, signifient les jours qu'elle se cache, ou qu'elle s'obscurcit, èsquels elle court après le soleil, c'est pourquoy en leurs amourettes ils reclament la lune : et Eudoxus mesme dit que Isis preside, regit et gouverne les amours : et en tout cela encore y a il quelque verisimilitude, mais de dire que Typhon soit le soleil, il n'y fault pas seulement prester l'aureille.
LII. Et à tant reprenons de rechef nostre premier propos. Car Isis est la partie feminine de la nature apte à recevoir toute generation, pour laquelle occasion elle est appellée de Platon, nourrice et tout recevant, et par plusieurs est surnommée Myrionymos, c'est à dire ayant noms infinis, d'autant qu'elle reçoit toutes especes et toutes formes selon qu'il plaist à la premiere raison de la tourner, mais elle a en elle un amour naturellement imprimé de ce premier et principal estre, qui n'est autre chose que le bien souverain, et le poursuit et desire, et au contraire elle fuit et repoulse la partie du mal, bien qu'elle soit la matiere et la place idoine et capable de recevoir l'une et l'autre, mais de soy-mesme elle incline tous jours plus tost au bien, et se baille plus tost à engendrer et à semer en elle des semblances et decoulements, car elle prent plaisir et se resjouit quand elle est engrossie du bien, et qu'elle en peult enfanter : car cela est une representation et description de substance engendrée en la matiere, et n'est cela que une figuration et imitation de ce qui est.
LIII. Voilà pourquoy ce n'est point hors de propos qu'ils faignent que l'ame d'Osiris soit eternelle et immortelle, et que Typhon en deschire bien souvent et perd le corps, et que Isis errant çà et là, le va cherchant et rassemblant les pieces : car ce qui est bon et spirituel, consequemment n'est point aucunement subject à mutation ou alteration, mais ce qui est sensible et materiel, il moule plusieurs images, et reçoit plusieurs raisons et plusieurs similitudes, ne plus ne moins que les seaux et figures qui s'impriment en cire ne demolirent pas tousjours, ains sont subjectes à changement, alteration, et à trouble, lequel a esté chassé de la superieure region celeste, et envoyé en bas, où il combat à l'encontre d'Orus, que Isis engendre sensible, estant l'image du monde spirituel et intellectuel. C'est pourquoy on dit que Typhon l'accusa de bastardise, comme n'estant pas pur et sincere, comme est son pere, le discours de l'entendement, qui est simple non meslé d'aucune passion, ains est cestuy cy abastardy et adulteré, à cause qu'il est corporel : à la fin demeurent les victoires à Mercure, qui est le discours de la raison, qui nous tesmoigne, et nous monstre que la nature a produit ce monde materiel, à la forme du spirituel et intellectuel.
LIV. Car la naissance d'Apollo, qui fut engendré d'Isis et d'Osiris lors que les dieux estaient encore dedans le ventre de Rhea, signifie couvertement que devant que ce monde fust manifestement mis en evidence, et que la matiere de la raison fust parachevée, qui par nature estoit convaincue d'estre imparfaitte, la premiere generation estoit desjà faitte, et c'est ce qu'ils appellent l'ancien Orus, car ce n'estoit pas encore le monde, mais une image et un desseing d'iceluy entendement, mais cestuy est l'Orus determiné, definy et parfaict, qui ne tua pas du tout entierement Typhon, ains luy osta la force et la puissance de pouvoir plus rien faire. D'où vient qu'en la ville de Coptus on dit, que l'image de Orus tenoit en l'une de ses mains le membre viril de Typhon : et faint on aussi que Mercure luy osta ses nerfs, dont il feit des chordes à sa lyre : nous enseignans par cela que la raison a mis d'accord tout ce qui au paravant estoit en discord, et ne tollit pas du tout entierement la puissance de perdre et de corrompre, ains la remplit et parfait : dont procede qu'elle est foible et debile, se meslant et attachant aux parties subjectes à mutation et alteration : de tremblements et de concussions en la terre, et de grandes ardeurs et vents extraordinaires et excessifs, et aussi de foudres, tonnerres et esclairs qu'elle produit en l'air et empoisonne de pestilence les eaux et les vents de l'air, s'escendant et levant la teste jusques au ciel de la lune, obscurcissant et noircissant bien souvent ce qui de sa nature est clair et luysant : comme les Ægyptiens cuident, et disent que Typhon tantost a donné un coup sur l'œil à Orus, et tantost luy a arraché et l'a avallé, et puis l'a rendu au soleil, car par le coup ils entendent couvertement le decours de la lune, qui se fait par chasque moys, et par la privation totale de l'œil, l'eclipse et default de la lune, à laquelle le soleil remedie, en la reilluminant aussi tost comme elle est sortie de l'ombre de la terre.
LV. Mais la principale et divine nature est composée de trois choses, de l'entendement, et de la matière, et du composé de ces deux choses, que nous appellons le monde. Or Platon appelle cest intellectuel l'idée, le patron et le pere : la matiere il la nomme la mer, la nourrice et le fondement, et la place de la generation : ce qui est produit de ces deux, il a accoustumé de l'appeller l'engendré et l'enfanté. Et pourroit on à bon droict conjecturer, que les Ægyptiens auroient voulu comparer la nature de l'univers au triangle, qui est le plus beau de tous, duquel mesme il semble que Platon ès livres de la republique use à ce propos en composant une figure nuptiale, et est ce triangle de ceste sorte, que le costé qui fait l'angle droict est de trois, la base de quatre, et la troisieme ligne, qu'on appelle soubtendue, est de cinq, qui a autant de puissance comme les deux autres qui font l'angle droict : ainsi fault comparer la ligne qui tombe sur la base à plomb au masle, la base à la femelle, et la soubtendue à ce qui naist des deux, et Osiris au principe, Isis à ce qui le reçoit, et Orus au composé des deux : car le nombre ternaire est le premier non pair, et parfaict, le quatre est nombre quarré, composé du premier nombre pair, qui est deux : et cinq ressemble partie à son pere et partie à sa mere, estant composé du deux et du trois : et si semble que ce mot de Pan, qui est l'univers et le monde, soit derivé de Penté, qui signifie cinq, et si Pempasasthai signifioit ancienement nombrer : qui plus est le cinq en soy multiplié fait un quarré, qui est vingt cinq, autant comme les Ægyptiens ont de lettres en leur alphabet, et autant comme Apis vescut d'années.
LVI. Ils ont doncques accoustumé d'appeller Orus Kaemin, qui vault autant à dire comme veu, pource que ce monde est sensible et visible : et Isis aucunefois s'appelle Mouth, et quelquefois Athyri ou Methyer, et entendent par le premier mere, et par le second la belle maison d'Orus, comme Platon l'appelle, le lieu de generation, et recevant ; le troisieme est composé de plein et de cause, car la matiere est pleine du monde, estant mariée au premier principe bon, pur, et bien orné : et pourroit sembler que le poëte Hesiode, disant que toutes choses au commancement estoient le chaos, la terre, le tartare, et l'amour, se fondoit sur mesmes principes qui sont signifiez par ces noms là, et qu'il entend parla terre Isis, par l'amour Osiris, et par le tartare Typhon, car par le chaos il semble qu'il veuille entendre quelque place et quelque endroit du monde : et semble que les affaires mesmes appellent aucunement la fable de Platon, que Socrates recite au livre du convive, là où il expose la generation de l'amour, disant que Penia, c'est à dire pauvreté, desirant avoir des enfans, s'alla coucher au long de Porus, c'est à dire richesse, qui dormoit, et que ayant esté engrossie de luy, elle enfanta amour, qui de sa nature est meslé et divers en toutes sortes, comme celuy qui est né d'un pere bon, sage, et ayant tout ce qui luy fait besoing, et d'une mere pauvre, indigente, et qui pour son indigence appete autruy, et est tousjours après à le chercher et requerir : car Porus n'est autre chose que le premier aimable, desirable, parfaict, et n'ayant besoing de rien : et appelle Penia la matiere, qui de soy mesme est tousjours indigente du bien, par lequel elle est remplie, et qu'elle desire et participe tousjours : et celuy qui est engendré d'eulx, Orus (c'est le monde) n'est point immortel, ny impassible, ny incorruptible, ains tousjours engendrant tasche à faire par vicissitude de mutations, et par revolution de passion de demourer tousjours jeune, comme si jamais ne devoit perir.
LVII. Or se fault il servir des fables, non comme de propos qui realement subsistent, ains en prendre ce qui par similitude convient à chascun. Quand doncques nous-disons la matiere, il ne fault pas en le referant aux opinions de je ne sçay quels philosophes, estimer que ce soit un corps sans ame, sans qualité, qui demeure quant à soy oysif sans action quelconque, car nous appellons l'huile la matiere d'un parfum, et l'or la matiere d'une statue-d'or, combien qu'ils ne soient pas de tout poinct hors de toute similitude : aussi disons nous que l'ame mesme et l'entendement de l'homme est la matiere de la vertu et de la science, et les baillons à former, dresser, et accoustrer par la raison, et y en a eu quelques uns qui ont dit que l'entendement estoit le propre lieu des especes et le moule des choses intelligibles.
LVIII. Comme aussi y a il quelques naturels qui tienent que la semence de la femme n'a point de force de principe constituant en la generation de l'homme, et ne sert que de matiere et de nourriture seulement : suivant lesquels il faut aussi entendre que ceste deesse ayant fruition du premier dieu, et le hantant continuellement pour l'amour des biens et vertus qui sont en luy, ne luy resiste point, ains l'aime comme son mary juste et legitime : comme nous disons que une honeste femme qui jouit ordinairement de son mary, ne laisse pas pour cela de l'aimer et desirer, aussi ne laisse elle pas à estre enamourée de luy, bien qu'elle soit tousjours avec luy, et qu'elle soit remplie de ses principales et plus sinceres parties : mais là où Typhon sur la fin y survient, elle s'en fasche et s'en contriste, et pour ce, dit on, qu'elle en demene deuil, et qu'elle recherche quelques reliques et quelques pieces d'Osiris, lesquelles quand elle en peut trouver, elle les reçoit et recueille soigneusement, et les cache diligemment, comme de rechef elle en monstre et en produit d'autres d'elle mesme : car les raisons, les idées et les influences de dieu qui sont au ciel et aux estoilles, y demourent quant à cela : mais celles qui sont semées parmy les corps sensibles et passibles en la terre et en la mer, et sont attachées aux plantes et aux animaux, y estans amorties et ensepvelies, se resveillent et ressuscitent aucunefois par generation : voilà pourquoy la fable dit, que Typhon coucha avec Nephthys, et que Osiris aussi à la derobée eut sa compagnie, car la puissance de perdre et amortir occupe principalement les dernieres parties de la matiere que lon appelle Nephthys et mort, et la vertu generative et conservatrice y donne bien peu de semence foible et debile, estant perdue et amortie par Typhon, sinon en tant que Isis la recueillant la conserve, et la nourrit et maintient, mais universellement cestuy-cy vault mieux, comme Platon et Aristote sont d'opinion, et la puissance naturelle d'engendrer et de conserver se meut devers luy, comme devers l'estre, et celle de perdre et de gaster arriere de luy vers le non estre : c'est pourquoy ils appellent l'un Isis, qui est un mouvement animé et sage, estant le mot derivé de Jesthai, qui signifie mouvoir par certaine science et raison, car ce n'est point un mot barbaresque : mais ainsi que le nom general de tous dieux et de toutes deesses qui est Theos, est dit, ou de Theaton ou de Tbeon, dont l'un signifie visible, et l'autre courant : aussi et nous et les Ægyptiens avons appellé ceste deesse Isis, et de la science ensemble et du mouvement : ainsi dit Platon que les anciens qui l'ont appellée Isia, ont voulu dire Osia, c'est à dire saincte, comme Noesis et Phronesis qui sont mouvement de l'entendement et du jugement, et ont aussi imposé ce mot Syniénai à signifier ceux qui ont trouvé et qui voient à descouvert le bien et la vertu, comme aussi ils ont ignominieusement denommé de noms contraires les choses qui empeschent, gardent et arrestent le cours des choses naturelles, et ne les laissent aller, en les nommant Kakia vice, Aporia indigence, Dilia lascheté, Ania douleur, comme gardant Jenai ou Jesthai, c'est à dire, d'aller en avant.
LIX. Quant à Osiris c'est un nom compose de Osios et Jeros, c'est à dire sainct et sacré : car c'est la raison ou idée commune des choses qui sont au ciel, et en bas, dont les anciens avoient accoustumé de nommer les unes sainctes, et les autres sacrées, et la raison qui monstre les choses celestes, et le cours des choses qui se meuvent là sus, s'appelle Anubis, et quelquefois Hermanubis, l'un comme convenable à celles de là sus, et l'autre à celles de çà bas, pourtant sacrifient ils à l'un un coq blanc, et à l'autre un jaune, pour ce qu'ils estiment les choses de là sus pures, simples et luisantes, et celles de ça bas meslées et de diverses couleurs, et ne se faut pas esmerveiller si lon a deguisé les termes à la façon des mots Grecs : car il y en a infinis autres qui ont esté transportez de la Grece avec les hommes qui en sont autrefois sortis, et y demeurent encore jusques aujourd'hui, comme estrangers, hors de leurs pais, entre lesquels il y en a aucuns qui sont cause de faire calomnier les poètes, qui les rappellent en usage, comme s'ils parloient barbaresquement, par ceux qui appellent telles dictions poetiques et obscures Glottas, qui est à dire langues : mais ès livres que lon appelle de Mercure, on dit qu'il y a escript touchant les noms sacrez, que la puissance ordonnée sur la revolution du soleil, les Ægyptiens l'appellent Orus, et les Grecs Apollon, et celle qui est ordonnée sur le vent, aucuns l'appellent Osiris, les autres Sarapis, les autres en Ægyptien Sothi, qui signifie estre grosse ou engrossement : d'où vient que par un peu de la depravation de langage l'estoille caniculaire a esté nommée Kyon, qui vaut autant à dire comme chien, caniculaire, laquelle on estime propre à Isis : bien sçay je qu'il ne faut point estriver touchant les noms, toutefois je cederois plus tost aux Ægyptiens de ce mot Sarapis que de Osiris : celuy là est estranger, et cestuy-cy Grec, mais l'un et l'autre signifie une mesme puissance de la divinité.
LX. A quoy se rapporte le langage des Ægyptiens, car bien souvent ils appellent Isis du nom de Minerve, qui signifie en leur langue autant comme, je suis venu de moy mesme : qui monstre et donne à entendre un volontaire mouvement : et Typhon, comme nous avons dit, se nomme Seth, Bebon, et Smy, tous lesquels noms signifient un arrest violent et empeschant une contrarieté, et un devoyement et destournement. Davantage ils appellent la pierre de l'aimant l'os de Orus, et le fer l'os de Typhon, ainsi que l'escrit Manethus : car ainsi comme le fer semble quelquefois suivre, et se laisser tirer à l'aimant et bien souvent aussi se retourne et repoulse à l'encontre : aussi le bon et salutaire mouvement qui à la raison du monde convertit et amene à soy, et adoulcit par remonstrances de bonnes paroles celle dureté de Typhon, mais aussi quelquefois elle rentre en soy mesme, et se cache et profonde en impossibilité. Davantage Manethus dit, que les Ægyptiens feignent de Jupiter, que ses deux cuisses se prirent et unirent tellement ensemble, qu'il ne pouvoit plus marcher, en sorte que de honte il se tenoit en solitude, mais que Isis les luy couppa et les divisa d'ensemble, tellement qu'elle le feit marcher droit à son aise.
LXI. Laquelle fable donne couvertement à entendre que l'entendement et la raison de dieu marchent invisiblement, et secretement procedent à generation par mouvement : ce que monstre et donne taisiblement à entendre le seistre, (qui est la cresserelle d'aerain dont on use ès sacrifices d'Isis), qu'il faut que les choses se secouent, et ne cessent jamais de se remuer, et quasi s'esveillent et se croulent comme si elles s'endormoient ou languissoient : car ils disent qu'ils destournent et repoulsent Typhon, avec ses seistres, entendans que la corruption liant et arrestant la nature, le mouvement de rechef la deslie, releve et remet sus par la generation. Et ceste cresserelle estant ronde par dessus sa curvature contient quatre choses qui se secouent : car la portion du monde qui naist ou qui meurt, c'est à dire, subjecte à corruption et alteration, est contenue par la sphaere de la lune, au dedans de laquelle toutes choses s'emeuvent et se changent par les quattre elemens, du feu, de la terre, de l'eau, et de l'air : et sur la rondeur du seistre au plus haut ils y engravent la figure d'une chatte, ayant la teste d'un homme, et au dessoubs des choses que lon secouë, quelquefois ils y engravent le visage d'Isis, et quelquefois celuy de Nephtys, signifians par ces deux faces la naissance et la mort, car ce sont les mutations et motions des elemens : et par la chatte ils entendent la lune, à cause de la varieté de sa peau, qu'elle besongne la nuict, et qu'elle porte beaucoup, car on dit qu'elle porte premierement un chaton à la premiere portée, puis à la seconde deux, à la troisieme trois, et puis quatre et puis cinq, jusques à sept fois, de fait qu'elle en porte en tout vingthuict, autant comme il y a de jours de la Lune : ce qui à l'advenfure est fabuleux, mais bien est veritable que les prunelles de ses yeux se remplissent et s'eslargissent en la pleine lune, et au contraire s'estroississent et se diminuent au decours d'icelle : et quant au visage d'homme qu'ils luy baillent, ils entendent par là la subtilité ingenieuse et de grand discours des mutations de la lune.
LXII. Et pour estraindre tout ce propos en peu de paroles, la raison veut que nous n'estimions point, ny que le Soleil, ny l'eau, ny que la terre, ny le ciel, soient Isis ou Osiris, ny semblablement aussi que la seicheresse, l'ardeur excessive de chaleur, ny le feu, ny la mer, soient Typhon, mais simplement tout ce qui est en telles choses demesuré, inconstant, desordonné, tant en excès qu'en defaut. il le faut attribuer à Typhon, et au contraire tout ce qu'il y a de bien disposé, bien ordonné, de bon et de profitable, il nous faut croire que c'est œuvre d'Isis, et l'image, l'exemple et la raison d'Osiris : et en l'honorant et adorant de ceste sorte, nous ne pecherons point, et qui plus est nous osterons toute la defiance et doubte d'Eudoxus, qui demande pourquoy c'est que Ceres n'a aucune part de la superintendence des amours, et qu'on la donne toute à Isis, et pourquoy Bacchus ne peut ny augmenter et croistre le Nil, ny commander aux morts : car pour dire une raison generale et commune, nous estimons que ces dieux là ont esté ordonnez pour la portion du bien, et que tout ce qu'il y a en la nature de beau ou de bon est par la grace et par le moyen de ces deitez là, l'un qui en donne les premiers principes, et l'autre qui les reçoit et qui demeure perseverante.
LXIII. Et par mesme moyen satisferons à la commune et aux mechaniques, qui se delectent en des changemens des saisons de l'année, ou bien de la procreation, semailles et labourages des fruicts qui approprient et accommodent les propos de ces dieux là, à ce en quoy ils prennent plaisir, disans que lon ensepvelit Osiris quand on couvre la semence dedans la terre, et que de rechef il ressuscite et retourne en vie quand il commance à germer : et que c'est pource que lon dit, que quand Isis se sentit enceinte elle s'attacha au col un preservatif le sixieme jour du mois qu'ils appellent Phaophi, et qu'elle enfanta Harpocrates environ le solstice de l'hyver, n'estant pas encore à terme avec les premieres fleurs et premiers germes : voylà pourquoy on luy offre les premices des lentilles, et solennise lon les jours feriaux de ses couches après l'equinocce de la prime vere. Car quand les hommes populaires entendent cela, ils y prennent plaisir et le croient, prenans la verisimilitude pour le croire des choses ordinaires, et qui nous sont tous les jours à la main.
LXIV. Et n'y a point d'inconvenient premierement qu'ils nous facent les dieux communs, et non pas propres et particuliers aux Ægyptiens, et qu'ils ne comprennent pas seulement le KNil et la terre que le Nil arroze, soubs ces noms là, ny en nommant leurs lacs, leurs Alisiers, et la nativité des dieux, ils ne privent pas les autres hommes qui n'ont point de Nil, ny de Butus, ny de Memphis, et neantmoins recognoissent et ont en veneration la déesse Isis, et les dieux qui l'accompaignent, desquels ils ont depuis nagueres appris à nommer aucuns des noms mesmes des Ægyptiens : mais de tout temps ils ont eu la cognoissance de leur vertu et puissance, et à raison de ce les ont adorez.
LXV. Et secondement, qui est bien plus grande chose, à fin qu'ils craignent et se donnent bien garde de dissouldre et defiler, sans y penser, les divinitez en des rivieres, des vents, des labourages, et autres alterations de la terre, mutations de saisons et qualitez de l'air, comme font ceux qui tiennent que Bacchus soit le vin, Vulcain soit la flamme, et Proserpine, comme dit Cleanthes en un passage, soit l'esprit qui penetre dedans les fruicts de la terre, et comme un poëte dit touchant les moissonneurs,
Lors qu'à Ceres les jeunes jouvenceaux
Vont decouppant les membres à faisceaux.
Car ceux là ressemblent proprement à ceux qui cuident que les voiles, les chables et cordages ou l'ancre soient le pilote : et que les filets, la trame et l'estaim, et la navette, soient le tisserand : et que le gobelet, la ptisanne, ou l'hydromel, soient le medecin : mais en ce faisant ils s'impriment de mauvaises et blasphemes opinions à l'encontre des dieux, en donnant des noms des dieux à des natures et des choses insensibles, inanimées et corruptibles, dont ils se servent necessairement. et ne s'en sçauroient passer.
LXVI. Car il ne faut pas entendre que ces choses là elles mesmes soient dieux, pour ce que rien ne peut estre dieu qui n'a point d'ame, ne qui soit subject, ny soubs la main à l'homme : mais par ces choses là nous avons cogneu que ce sont les dieux qui les nous donnent perdurables, et qui nous les prestent pour nous en servir, non qu'ils soient autres en un païs, et autres en un autre, ne qu'ils soient Grecs ou estrangers Barbares, ny Septentrionaux et Meridionaux, ains comme le soleil et la lune, le ciel et la terre, et la mer, sont communs à tous, mais ils sont appellez de divers noms en divers lieux : ainsi d'une mesme intelligence qui ordonne tout le monde, et d'une mesme providence qui a soing de le gouverner, et des puissances ministeriales sur tout ordonnées, autres noms et autres honneurs selon la diversité des loix ont esté données, et usent les presbtres de marques et mysteres aucuns plus obscurs, autres plus clairs pour conduire nostre entendement à la cognoissance de la divinité : non sans peril toutefois, par ce que les uns ayans failly le droit chemin sont tombez en superstition, et les autres fuyans la superstition comme si c'estoit un marets, ne se donnent de garde qu'ils tombent dedans le precipice d'impieté.
LXVII. Et pourtant faut il en cela prendre la raison de la philosophie, qui nous guide en ces sainctes contemplations, pour dignement et religieusement penser de chasque chose qui s'y dit et qui s'y fait, à fin qu'il ne nous adviene comme à Theodorus, qui disoit que la doctrine qu'il tendoit de la main droitte, aucuns de ses auditeurs la prenoient et recevoient de la main gauche : aussi que prenans en autre sens et en autre part qu'il ne convient, ce que les loix ont ordonné touchant les festes et les sacrifices, nous ne faillions lourdement : car que toutes choses se doivent en cela rapporter à la raison, on le peut veoir et cognoistre par eux mesmes, car le dix-neufiéme jour du premier mois faisans feste à Mercure, ils mangent du miel et des figues, et disent en les mangeant, C'est une chose doulce que la verité.
LXVIII. Et quant au preservatif qu'ils faignent que Isis prit en sa groisse, on l'interprete, voix, veritable : et quant à Harpocrates il ne faut point penser que ce soit un dieu jeune et non encore d'aage parfait, ny aussi aucun homme, ains que c'est le superintendant et correcteur du langage que doivent les hommes tenir des dieux, estant encore jeune, imparfaict, et non bien articulé : c'est pourqnoy il tient un anneau au devant de sa bouche, qui est le signe et la marque de taciturnité et de silence. Et au mois de Mesori, luy apportans des legumages, ils disent, La langue est fortune, la langue est dæmon. Et de toutes les plantes qui sont en Ægypte, on tient que le pescher luy est consacré plus que nul autre, pour ce que son fruict resemble à un cœur, et sa feuille à une langue : car de toutes les choses qui sont naturellement en l'homme, il n'y en a pas une qui soit plus divine que le langage, et le parler, mesmement des dieux, ne qui le face plus approcher de sa beatitude : c'est pourquoy je conseille à tout homme qui vient par deçà à l'oracle, de sainctement, penser, et honestement parler : là où plusieurs ès processions et festes publiques font toutes choses dignes de mocquerie, et combien que lon y face cryer par voix des huissiers et herauts, que lon se taise et se tiene de mal parler, ils ne laissent pas de cacqueter des dieux, et de penser les plus deshonestes choses du monde.
LXIX. Comment doncques est ce que lon se comportera ès sacrifices tristes et sentans leur deuil, où il est prohibé de rire, s'il n'est licite ny de laisser et omettre rien des cerimonies accoustumées, ny de mesler les opinions des dieux, ny les brouiller et confondre de suspicions faulses? Les Grecs en font de presque semblables, et presque en un mesme temps que les Ægyptiens : car en la feste des Thesmophories à Athenes, les femmes jeunent assises sur la terre, et les Bœotiens remuent les maisons d'Achaia, qu'ils'appellent Ceres, nommans ceste feste là odieuse, comme si Ceres estoit en tristesse pour la descente de sa fille aux enfers, et est ce mois là, celuy auquel apparoissent les Pleiades, et que lon commance à semer, que les Ægyptiens appellent Athyr, et les Atheniens Pyanepsion, et les Bœotiens le nomment Damatrien, comme qui diroit Cereal.
LXX. Et Theopompus escrit, que ceux qui habitent vers l'Occident estiment et appellent l'hyver Saturne, l'esté Venus, la prime vere Proserpine, que de Saturne et de Venus toutes choses ont esté engendrées : et les Phrygiens cuydans que dieu dorme l'hyver, et que l'esté il veille, ils celebrent en une saison la feste du dormir, et à l'autre du resveil de dieu : mais les Paphlagoniens disent qu'il est retenu prisonnier, et qu'il est lié en hyver, et que à la prime vere il est deslié, et commance à se mouvoir, et nous donne la saison occasion de souspeçonner, que la triste chere qu'ils font c'est pour ce que les fruicts sont cachez, lesquels fruicts les anciens jadis n'estimoient pas estre dieux, ains des dons utiles et necessaires pour vivre civilement, et non sauvagement et bestialement : mais en la saison qu'ils voyoient les fruicts des arbres disparoir et defaillir totalement, et ceux qu'ils avoient eux mesmes semez, ils les remettoient encore en terre, en fendant la terre bien petitement et bien maigrement avec leurs propres mains, sans autrement estre asseurez de ce qui en devoit succeder et venir à perfection : ils faisoient beaucoup de choses semblables à ceux qui inhument les corps en terre, et qui portent le deuil.
LXXI. Et puis ainsi que nous disons que celuy qui achette les livres de Platon achette Platon, et disons que celuy là jouë Menander qui jouë les comaedies de Menander : aussi eux ne faignoient point d'appeller des noms des dieux les dons ou les inventions d'iceux, en les honorant et reverant pour le besoing qu'ils en avoient : mais les survivans prenans cela lourdement, et le retournans ignorantement, attribuoient aux dieux mesmes les accidens de leurs fruicts, et non seulement appelloient la presence des fruicts : la naissance des dieux, et l'absence le trespas d'iceux, mais aussi le croyoient et le tenoient ainsi, tellement qu'ils se sont remplis eux mesmes de plusieurs mauvaises et confuses opinions des dieux, encore qu'ils eussent la faulseté et absurdité de leurs opinions toute evidente devant leurs yeux, non seulement Xenophanes le Colophonien, et autres qui ont depuis admonesté les Ægyptiens s'ils les estimoient dieux, qu'ils ne les lamentassent point : et s'ils les lamentoient, qu'ils ne les estimassent point dieux : mais aussi que c'estoit une vraye mocquerie, en les lamentant les prier de leur ramener de rechef de nouveaux fruicts, et les faire venir à maturité, à fin que de rechef ils les consumassent, et de rechef les plorassent et lamentassent. Mais cela ne va pas ainsi, car ils plorent et lamentent leurs fruicts qu'ils ont consumez, et prient les au autheurs et donateurs d'iceux, de leur en donner et faire croistre de rechef d'autres nouveaux au lieu de ceux qui sont faillis.
LXXII. Voylà pourquoy c'est que les Philosophes disent très bien, que ceux qui n 'ont pas appris à bien prendre les paroles, usent aussi mal des choses comme, pour exemple, les Grecs qui n'ont pas appris ny accoustumé d'appeller les statues de bronze ou de pierre, et les images painctes, statues et images faittes à l'honneur des dieux, mais dieux mesmes, et puis prennent la hardiesse de dire, que Lachares despouilla Pallas, et Dionysius le tyran tondit Apollo qui avoit une perruque d'or, et Jupiter capitolin durant les guerres civiles fut bruslé et consumé par le feu : et ne se donnent pas garde en ce faisant qu'ils attirent et reçoivent de faulses opinions qui suyvent ces noms là : mesmement les Ægyptiens entre toutes autres nations, touchant les bestes qu'ils honorent. Car quant aux Grecs ils disent bien en cela, et croyent que la colombe est oyseau sacré à Venus, le dragon à Minerve, le corbeau à Apollo, et le chien à Diane, comme dit Euripide,
Diane qui chasse la nuict,
Le chien est son plaisant deduit.
LXXIII. Mais les Ægyptiens, au moins la plus part, entretenans et honorans ces animaux là, comme s'ils estoient dieux eux mesmes, ils n'ont pas seulement remply de risée et de mocquerie leur service divin, car cela est le moins de mal qui soit en leur ignorance et sottise, mais il s'en engendre ès cœurs des hommes une forte opinion, qui attire les simples et infirmes en une pure superstition, et jette les hommes aigus d'entendement ou audacieux en pensemens bestiaux et pleins d'impieté : c'est pourquoy il ne sera pas mal à propos de dire en passant de cela ce qui en est plus vraysemblable.
LXXIV. Car de penser que Typhon ait mué les dieux espouventez ès corps de ces bestes là, comme se cachans dedans les corps des cigognes, des chiens, ou des esparviers, cela surpasse toute monstruosité de fiction et de fables : et semblablement de dire que les ames de ceux qui trespassent, demeurans encore en estre, renaissent seulement ès corps de ces animaux là, il est aussi hors de toute verisimilitude : et quant à ceux qui en veulent rendre quelques causes et raisons civiles, les uns disent que Osiris en son grand exercite, ayant departy sa puissance en plusieurs bandes et compaignies, il leur donna à chascune pour enseignes des figures d'animaux, desquels chascune bande depuis honora et eut en veneration le sien, comme chose saincte. Les autres disent que les roys successeurs d'Osiris pour espouventer leurs ennemis, porterent en battaille le devant de telles bestes faictes d'or et d'argent sur leurs armes. Les autres alleguent qu'il y eut quelque roy advisé et caut, qui cognoissant que les Ægyptiens de leur nature estoient legers et prompts à se revolter, et à emouvoir seditions, et que pour leur grande multitude ils seroient mal-aisez à contenir et à deffaire s'ils estoient bien conseillez, et qu'ils s'entr'entendissent les uns avec les autres, il sema parmy eux une eternelle superstition, laquelle leur seroit occasion d'inimitié et dissension qui ne finiroit jamais entre eux : car leur ayant commandé de reverer des bestes qui avoient naturelle inimitié et guerre continuelle les unes contre les autres, voire qui s'entre-mangeoient les unes les autres, chasque peuple voulant secourir les sienes, et se courrouceant quand on leur faisoit desplaisir, ils ne se donnerent garde qu'ils se tuerent eux mesmes pour les inimitiez qui estoient entre les animaux qu'ils adoroient, et qu'ils s'entre-haïrent mortellement les uns les autres : car jusques aujourd'huy encore, il n'y a que les Lycopolites qui mangent du mouton, pource que le loup, qu'ils venerent comme un dieu, est son ennemy : et jusques à nostre temps les Oxyrinchites, pour autant que les Cynopolites, c'est à dire, les habitans de la ville du chien, mangent le poisson qui se nomme Oxyrinchos, comme qui diroit bec-agu, quand ils peuvent attrapper un chien ils le sacrifient, comme une hostie, et le mangent : et pour ceste occasion ayans emeu la guerre les uns contre les autres, ils s'entrefeirent beaucoup de maux, et depuis en ayans esté chastiez par les Romains, ils s'appointerent.
LXXV. Et pour autant que le vulgaire dit, que l'ame de Typhon mesme fut decouppée en ces animaux là, il sembleroit que ceste fiction voudroit dire, que toute mauvaise, bestiale, et sauvage nature, est et procede du mauvais dæmon, et que pour le pacifier et addoucir qu'il ne leur face mal, ils honorent et reverent ainsi ces bestes là. Et si d'adventure il advient une grande ardeur, et mauvaise seicheresse qui cause des maladies pestilentes, ou d'autres calamitez estranges et extraordinaires,les presbtres amenent quelque une des bestes qu'ils servent et honorent de nuict en tenebres, sans en faire bruit ny en rien dire : et la menassent du commancement et luy font peur, puis si le mal continue ils la sacrifient et la tuent, estimant que cela soit comme une punition et chastiement du mauvais dæmon, ou quelque grande purgation qui se fait pour notables inconveniens : car mesme en la ville de Idithya, ainsi que Manethon recite, ils brusloient des hommes vifs, et les appelloient les Typhoniens, et en sassant par un tamis les cendres, les dissipoient et semoient çà et là, mais cela se faisoit publiquement et manifestement à certain temps, et ès jours qu'ils appelloient Cynades : mais les immolations des bestes qu'ils avoient pour sacrées, se faisoient secrettement, et non à certain temps ny à jours prefix, ains selon les occurrences des inconveniens qui advenoient : et pourtant le commun peuple n'en sçait ny n'en voit rien, sinon quand ils les ont inhumées, et qu'en presence de tout le peuple ils en monstrent quelques unes des autres, et les jettent quant et quant, pensans que cela attriste en contr'eschange Typhon, et reprime la joye qu'il a de mal faire.
LXXVI. Car il semble que Apis avec quelque peu d'autres animaulx soit consacré à Osiris, combien qu'ils luy en attribuent la plus part : et si ce propos est veritable, je pense qu'il signifie ce que nous cherchons, et ceulx qui sont de tous confessez, et qui ont honneurs communs, comme la cigogne, l'esparvier, et le cynocephale, et Apis mesme, car ainsi appellent ils le bouc en la ville de Mendes. Il reste doncques l'utilité et la marque significative, car les uns participent de l'une des raisons, et les autres des autres : car le bœuf, le mouton et l'ichneumon, il est certain qu'ils les honorent pour l'utilité et pour le profit qu'ils en reçoivent, comme les habitans de Lemnon honorent les alouëttes, pour ce qu'elles trouvent les œufs des sauterelles, et les quassent : et les Thessaliens semblablement les cigognes, pour autant que leurs terres ayants produit grand nombre de serpens, les cigognes qui survindrent les feirent tous mourir, à raison dequoy ils feirent un edict que quiconque tueroit une cigogne il seroit banny du païs. Et l'aspic, la belette, et l'escharbot, d'autant qu'ils voyoient en eux ne sçay quelles petites images reluire de la divinité, comme nous appercevons le corps du soleil en une goutte d'eau, car il y en a beaucoup qui cuident encore, et le disent, que la belette s'accompagne avec son masle et qu'elle fait ses petits par la bouche, et disent que c'est une figure et representation de la parole qui se forme et procede de la bouche. Et quant aux escharbots ils tienent, qu'en toute leur espece il n'y a point de femelle, et que tous les masles jettent leur semence dedans une certaine matiere qu'ils forment en faconde boule, laquelle ils poulsent à reculons, comme il semble que le soleil tourne le ciel au contraire de luy, qui a son mouvement de l'Occident en Orient : et l'aspic pource qu'il ne vieillit point, et qu'il se remue sans instruments de mouvement avec une grande facilité, vistesse et soupplesse, et pour ce l'ont ils comparé à l'astre du soleil. Le crocodile mesme n'a point esté par eux honoré sans quelque occasion vraysemblable, ains disent qu'il est en certaine chose l'image de dieu, car il est seul entre tous les animaux qui n'a point de langue, à cause que la parole divine n'a point besoing de voix ny de langue,
Ains cheminant par le sentier sans bruit
De la justice, à droict le tout conduit.
Et dit on que de toutes bestes qui vivent en l'eau, il n'y a que luy seul qui ait sur les yeux une taye bien deliée et transparente, qu'il fait descendre de son front, et en couvre ses yeux, tellement qu'il voit sans estre veu, en quoy il est conforme au premier des dieux : et l'endroit où la femelle se descharge de son petit, c'est le bout dernier de la croissance et regorgement du Nil, car ne pouvans enfanter dedans l'eau, et craignans en accoucher loing, elles presentent si exquisement et si parfaittement ce qui en doit advenir, qu'elles se servent du Nil qui s'approche d'elles, quand elles pondent leurs œufs, et qu'elles les couvent, et neantmoins maintienent et contregardent leurs œufs secs sans estre baignez de la riviere : elles en pondent soixante, et les pondent en autant de jours, et vivent autant d'années ceulx qui vivent le plus longuement, qui est le premier et principal nombre, duquel se servent plus ceux qui traittent des choses du ciel.
LXXVII. Au demourant quant aux animaux qui sont honorez pour toutes les deux causes, nous avons jà au paravant parlé du chien, mais la cigogne noire oultre ce qu'elle tue les petits serpenteaux, dont la morsure est mortelle, elle est celle qui la premiere a enseigné l'usage de la purgation et evacuation medicinale du clystere, parce que lon appercoit qu'elle se lave, purge et nettoye elle mesme de ceste sorte : et les plus experimentez et plus religieux des presbtres, quand ils se veulent sanctifier, prennent de l'eau où la cigogne a beu, pour s'en asperger, car elle ne boit jamais eau corrompue ny empoisonnée, ny n'en reçoit point : et de ses deux jambes eslargies, et de son bec, elle fait un triangle de costez egaulx : et davantage la diversité et meslange des plumes blanches avec les noires represente la lune, quand elle a passé le plein.
LXXVIII. Et ne se fault pas esmerveiller si les Ægyptiens se sont contentez de si legeres et petites similitudes avec les dieux, car les Grecs mesmes tant en paintures que mouleures et sculptures, ont usé souvent de telles conferences et similitudes : comme en la Candie il y avoit une statue de Jupiter qui n'avoit point d'aureilles, pource que à celuy qui est seigneur et maistre de tout il ne convient point estre instruit par ouir aucun : et à celle de Pallas Phidias y adjousta le dragon, et à l'image de Venus en la ville d'Elide, une tortue, pour donner à entendre, « Que les filles ont besoing d'estre soigneusement gardées, et les femmes mariées se doivent tenir en la maison, et garder silence » : et le trident de Neptune signifie le troisieme lieu que tient la mer après le ciel et l'air, et pour ceste mesme occasion ils appelloient la mer Amphitrite, et les petits dieux marins des Tritons : et les Pythagoriens ont bien honoré les nombres et les figures geometriques de noms des dieux, car le triangle à costez egaulx, ils l'appelloient Pallas née du cerveau de Jupiter, et Tritogenia, pour autant qu'il se divise egalement avec trois lignes droictes tirées à plomb, de chascun des angles : et Un, ils l'appelloient Apollon,
Tant pour la grace à persuader vive,
Que la jeunesse en unité naifve :
et le Deux, contention et audace : et le Trois, justice : car offenser et estre offensé, faire ou souffrir tort, se fait l'un par excès et l'autre par default, le juste demeure au milieu en egalité : et le nombre qu'ils appelloient Tetractys, qui estoit trente et six, c'estoit leur plus grand serment, comme il est en la bouche d'un chascun : et s'appelle le monde composé des quatre premiers nombres pairs, et des quatre premiers non pairs, assemblez ensemble.
LXXIX. Si donc les plus excellents et plus renommez philosophes, ayant apperçeu ès choses qui n'ont ny corps ny ame quelque marque et figure de la divinité, ont estimé qu'il ne falloit en cela rien negliger ny despriser, et passer sans honneur, encore estime je qu'il le faille moins faire ès natures qui ont sentiment, et qui sont capables d'affections et de qualitez particulieres de doulceur de meurs. Il se fault doncques contenter, non pas d'honorer telles bestes, mais par elles la divinité qui reluit en elles, comme en un plus clair et plus reluysant miroir, qui est selon nature, àfin que nous les reputions comme instrument et artifice du dieu qui regit et gouverne tout ce monde. Et ne faut pas penser qu'aucune chose, n'ayant point d'ame ou point de sentiment, puisse estre plus digne ny plus excellente que celle qui a ame et qui a sentiment, non pas si lon mettoit tout tant qu'il y a d'or ny d'esmerauldes ensemble : car ce n'est point en couleurs ny en figures ou polissures que la divinité s'imprime, ains tout ce qui ne participe point de vie, ny ne fut onques de nature pour en participer, est de moindre et pire condition que les morts mesmes : mais la nature qui veit et qui voit, et qui en soymesme a le principe de mouvement et cognoissance de ce qui lui est propre, et de ce qui luy est estranger a tiré quelque influence et quelque part et portion de la providence, par laquelle cest univers est gouverné, comme dit Heraclitus. Et pourtant la divinité n'est pas moins representée en telles natures qu'en ouvrages faicts de bronze ou de pierre, lesquels sont aussi bien sujects à corruption et alteration, mais par nature ils sont privez de tout sentiment et de toute intelligence. Voilà l'opinion que je treuve de toutes la meilleure, quant aux animaux que lon honore.
LXXX. Au reste les habillements d'Isis sont de differentes taintures et couleurs, car toute sa puissance gist et s'emploie en la matiere, laquelle reçoit toutes formes, et se fait toutes sortes de choses lumiere, tenebres, jours, nuict, feu, eau, vie, mort, commancement, fin : mais ceux d'Osiris n'ont aucun umbrage, ny aucune varieté, ains sont d'une seule couleur simple, à sçavoir de la couleur de la lumiere, car la premiere cause et principe est toute simple sans meslange quelconque, estant spirituelle et intelligible : voylà pourquoy ils ne monstrent que une seule fois ces habillements là, et au demourant les resserrent et les gardent estroictement, sans les laisser voir ny toucher, là où au contraire ils usent souvent de ceux d'Isis, pource que les choses sensibles sont en usage, et les a lon tousjours entre les mains, et d'autant qu'elles sont subjectes à plusieurs alterations, on les desploye et regarde lon à plusieurs fois. Mais l'intelligence de ce qui est spirituel et intellectuel, pur et simple et sainct, reluisant comme un esclair, ne se donne à toucher et regarder à l'ame que une seule fois.
LXXXI. Voylà pourquoy Platon et Aristote appellent ceste partie de la philosophie epoptique, comme qui diroit visive ou visible, pource que ceux qui ont passé avec le discours de la raison toutes les matieres subjectes à opinions meslées et variables, saultent finablement à la contemplation de ce premier principe là simple, et qui n'a rien de materiel, et depuis qu'ils ont peu attaindre la pure verité d'iceluy : ils estiment que la philosophie achevée a attainct le dernier but de sa perfection. Et ce que les presbtres maintenant ont horreur de monstrer, et qu'ils tiennent couvert et caché avec si grand soing et diligence, ne le monstrant seulement que à cachettes en passant, que ce dieu commande et regne sur les trespassez, qui n'est autre dieu que celuy qui s'appelle Ades, en langage Grec, et Pluton, le commun peuple n'entendant pas comment cela est vray, s'en trouble, trouvans cela estrange que le sainct et sacré Osiris habite dedans la terre, ou soubs la terre, là où sont cachez les corps de ceux que lon estime estre venus à leur fin. Mais luy au contraire est bien loing de la terre, sans macule, sans tache ny pollution quelconque, pur et net de toute substance qui peult admettre aucune mort, ny aucune corruption.
LXXXII. Mais les ames des hommes, pendant qu'elles sont icy bas enveloppées de corps et de passions, ne peuvent avoir aucune participation de dieu, sinon d'autant qu'ils en peuvent attaindre de l'intelligence par l'estude de la philosophie, comme un obscur songe : mais quand elles seront délivrées de ces liens, et passées en ce lieu là sainct où il n'y a passion aucune, ny forme quelconque passible, alors ce mesme dieu est leur conducteur et leur roy, s'attachans le plus qu'il leur est possible à luy, et contemplans insatiablement, et desirans celle beauté qu'il n'est possible de dire ny d'exprimer aux hommes, de laquelle, selon les anciens contes, Isis fut jadis amoureuse, et l'ayant tant poursuyvie qu'elle en jouit, elle fut depuis remplie de toutes les choses belles et bonnes, qui peuvent estre engendrées en autruy. Voylà donc comment il en va quant à cela, selon l'interpretation qui est plus convenable aux hommes.
LXXXIII. Et s'il fault aussi parler des parfums que lon y brusle par chascun jour, selon que j'ay promis au paravant, il fault premierement supposer en son entendement, que les hommes ont accoustumé d'avoir principalement en singuliere recommandation les exercices qui appartiennent à leur santé, mesmement ès cerimonies de leur service divin, en leurs sanctifications, et en leur vivre ordinaire, où il n'y a pas moins d'esgard à la santé qu'à la saincteté, car ils n'estiment pas qu'il soit loysible ne bien seant de servir à l'essence qui est toute pure, sans aucune tare ny pollution ou corruption quelconque, avec des corps non plus que des ames gastez au dedans ou subjects à des maladies, et pour autant que l'air duquel nous usons le plus souvent, et dedans lequel nous sommes tousjours, n'est pas tousjours en semblable disposition ny mesme temperature, ains la nuict s'espessit, et comprime le corps, et fait retirer l'ame en ne sçay quelle tristesse et soucieuse façon, comme estant obscurcie de brouillais et appesantie, incontinent qu'ils sont levez ils encensent et allument de la resine pour nettoyer et purifier l'air par ceste rarefaction et subtilisation, eu resveillant par mesme moyen les esprits qui en noz corps sont comme languissans, et encore assopis par la force de ceste odeur, laquelle a je ne sçay quoy de vehement, et qui bat les sens. Et puis sur le midy, sentans que le soleil attire de la terre par son ardeur grande quantité de vapeur forte, ils allument alors de la myrrhe pour en parfumer l'air, car la chaleur de ce parfum là dissoult et dissipe ce qui est gros et espais et limonneux en l'air : mesme en temps de pestilence les medecins pensent y remedier en faisant de grands feus, ayants opinion que la flamme subtilise et rarefie l'air, ce qu'elle fait encore mieulx quand on y brusle des bois bien odorants, comme sont les cyprès, les genevres, et les sapins.
LXXXIV. Voylà pourquoy lon dit que le medecin Acron, du temps de la grande pestilence à Athenes, acquit grande reputation de ce qu'il ordonna que lon feist bon feu auprès des malades de peste, car il en sauva par cela plusieurs : et Aristote escrit, que les doulces senteurs et bonnes odeurs des parfums, des fleurs, et des prairies, ne servent pas moins à la santé, qu'au plaisir et à la volupté, par ce qu'elles destrempent et dissolvent avec leur chaleur et suavité la substance du cerveau, qui de sa nature est froide, et comme figée : et puis les Ægyptiens appellent le myrrhe bal, qui signifie autant comme dechassement de resverie, ce qui donne encore quelque confirmation à nostre dire.
LXXXV. Et quant au parfum qui s'appelle Cyphi, c'est une composition de seize ingredients, où il entre du miel, et du vin, des raisins de cabas, et du souchet, de la resine et de la myrrhe, de tribule et de seseli, de jonc odorant, de bitume, de la mousse et du lapathum, et oultre cela de deux sortes de grains de genevre, du grand et du petit, du cardamon et du calame, et les composent ensemble, non point à l'adventure, ainsi qu'il leur vient en fantasie, ains lit on des lettres sacrées aux parfumeurs ce pendant qu'ils les meslent ensemble. Et quant au nombre, encore qu'il soit carré et fait d'un autre carré, et que seul entre les nombres egalement egaux il face l'aire au dedans contenue egale aux unitez de sa circonference, si ne fault il pas penser qu'il face ny coopere rien en cela, mais plusieurs des simples qui entrent en ceste composition ayants vertus aromatiques, rendent une doulce haleine et une bonne vapeur, par laquelle l'air s'altere, et le corps s'emouvant souefvement et doulcement se prepare à reposer, et en prent une temperature attractive de sommeil, en laschant et desliant les liens des ennuis et soucis du jour, sans qu'il soit besoing d'yvresse pour les oster, lissant et polissant la partie imaginative du cerveau qui reçoit les songes, ne plus ne moins que un miroir, et le rendant plus pur et plus net, autant ou plus que les sons de la lyre et des instruments de musique, desquels usoient les Pythagoriens devant que se mettre à dormir, enchantans ainsi et entretenans la partie de l'ame irraisonnable, et subjecte aux passions : car les odeurs bien souvent suscitent et resveillent le sentiment qui default, et au contraire aussi bien souvent ils le rendent plus mousse, plus reposé et plus quoy, quand les senteurs aromatiques sont espandues et semées par le corps pour leur subtilité, ainsi comme aucuns medecins disent, que le dormir se forme en nous, c'est à sçavoir, quand la vapeur de la viande que nous avons prise, venant à ramper tout doulcement au long des parties nobles, par maniere de dire, les chattouille.
LXXXVI. Ils usent aussi de ceste composition de Cyphi en breuvage, car ils tienent qu'en le beuvant il purge et lasche le ventre : mais sans cela la resine est ouvrage du soleil, et cueille lon la myrrhe à la lune, des arbres qui la pleurent : mais des simples qui composent le Cyphi, il y en a qui aiment mieulx la nuict, comme ceulx qui sont nourris des vents froids, des ombrages, des rosées et humiditez, car la clarté et lumiere du jour est une et simple : et dit Pindare, que lon voit le soleil à travers l'air solitaire, là où l'air de la nuict est une composition et meslange de plusieurs lumieres et plusieurs puissances, comme plusieurs semences confluentes de plusieurs astres en un mesme corps : et pourtant à bon droict bruslent ils ces parfums là qui sont simples le jour, comme ceux qui sont engendrez par la vertu du soleil, et ceux cy comme estans meslez et de toutes sortes de diverses qualitez, ils les allument sur le commencement de la nuict.