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Thot
L'évolution de l'écriture - partie 2
Le méroïtique

samedi 9 mai 2009

Les couleurs

A l'origine, l'écriture hiéroglyphique était essentiellement destinée à la décoration des monuments. Il ne faut pas perdre de vue que l'homme n'est que l'instrument de Thot dans l'utilisation de cette écriture. Si le dieu lui a offert ce moyen de communication, il est à l'origine destiné aux dieux. C'est principalement pour cette dernière raison que l'attrait visuel de cet art ne sera jamais négligé.

Les signes sur les monuments pouvaient être représentés : soit en relief, soit en silhouette creuse, soit en relief dans le creux. Ils étaient réalisés avec une précision extrême. Outre l'éclat que nous lui reconnaissons aujourd'hui malgré sa monochromie, il faut imaginer les hiéroglyphes réhaussés de couleurs.


Ecriture en silhouette creuse et relief dans le creux (signe Ra)
Détail de l'obélisque de Thoutmosis III
Place San Giovanni in Laterano - Rome
Photo : gebetnout.free.fr

Ecriture en relief
Détail d'une stèle de Thoutmosis III dédiée à Mentouhotep I
Musée du Vatican
Photo : gebetnout.free.fr


La couleur ornant les hiéroglyphes pouvait trouver son origine soit dans la nature de l'objet soit d'une façon purement conventionnelle. Cependant, suivant le type de texte ou son support, les signes pouvaient être tracés à l'encre noire ou rouge (sur les murs des tombeaux ou sur les sarcophages).

Dans la "Grammaire égyptienne", Jean-François Champollion, nous donne un aperçu assez précis de la couleur des hiéroglyphes. Le texte ci-dessous est un extrait de la "Grammaire égyptienne" (chapitre 1) de Jean-François Champollion (Paris, Typographie de Firmin Didot Frères - 1836), les hiéroglyphes sont issus du site "Projet Rosette", la couleur a été ajoutée, avec plus ou moins de bonheur, en fonction des directives du père de l'égyptologie.

14- Dans le premier système, applicable seulement aux caractères sculptés en grand, on cherchait, par des teintes plates, à rappeler à peu près la couleur naturelle des objets représentés :


Ciel

Terre

Lune

Soleil

Eau

Eau


15- Les figures d'hommes en pied sont peintes sur les grands monuments d'après des règles assez constantes : les chairs sont en rouge plus ou moins foncé; les coiffures généralement en bleu, et la tunique blanche, les plis des draperies étant indiqués par des traits rouges.


Homme assis

Dignitaire

Homme debout

Momie dressée


16- On donnait ordinairement des chairs jaunes aux figures de femmes, et leurs vêtements varient en blanc, en vert et en rouge.


Accouchement

Femme assise


Les mêmes règles sont suivies dans le coloriage des hiéroglyphes dessinés en petit sur les stèles, les sarcophages et cercueils; mais les vêtements sont tous de couleur verte.


Roi assis avec le flagellum



17- Dans tous les cas, si les signes hiéroglyphiques retracent les forment des différents membres du corps humain, ils sont toujours peints de couleur rouge,


Bouche

Deux bras levés

Tête de face

Jambes avançant


ainsi que certains membres d'animaux, tels que la tête de veau ,la cuisse de boeuf, et les côtes de l'un ou l'autre de ces quadrupèdes, présentées en offrande.

18- On appliquait aux caractères sculptés sur les monuments de premier ordre, des couleurs à peu près analogues à celles qui caractérisent l'être dont ils reproduisent l'image. C'est dans ce système que sont peints les grands hiéroglyphes représentant des quadrupèdes, tels le lion, le taureau (...), des oiseaux : tels que la chouette, l'oie, l'ibis (...), des poissons : tels que le latus, l'oxyrynchus (...), des insectes : tels que l'abeille, le scarabée (...), des plantes, telles que diverses espèces de roseaux, de lotus, le papyrus (...).

19- Mais on n'employait, dans les inscriptions moins détaillées peintes sur les sarcophages ou les stèles, que des couleurs totalement conventionnelles pour les images d'êtres appertenant au règne animal ou au règne végétal.

Ainsi les images de quadrupèdes ou de portions de quadrupèdes, des reptiles et des plantes, étaient peintes en vert et quelquefois réhaussées de bleu.

20- Les ailes et la partie supérieure du corps des oiseaux sont colorées en bleu, le reste du corps en vert, et les pattes en bleu ou en rouge.

Quelques images d'oiseaux reçoivent aussi, parfois, une teinte rouge sur quelques-unes de leurs parties;

et le signe représentant un oiseau qui vient de naître, totalement dénué de plumes, est peint tout en couleur rouge.

21- Les hiéroglyphes sculptés en grand et figurant des ustensiles, des instrumentset des objets de costume, prennent une couleur indiquant la matière dont ils sont formés :

Les objets en bois sont en jaune.

La couleur verte est donnée aux ustensiles en bronze.

Il n'en est point ainsi pour les hiéroglyphes peints sur les monuments d'un petit volume; on ne suit presque à cet égard aucune règle constante; beaucoup de caractères de cet ordre sont peints en vert, en bleu ou en rouge, indifféremment.

22- La couleur bleue est particulièrement réservée aux formes géométriques et aux plans d'édifices.

Les images d'édifices sculptés en grand, sont presque toujours de couleur blanche, comme pour indiquer la teinte pâle du grès et de la pierre calcaire.

23- Diverses couleurs sont données aux vases, dont la série est fort nombreuses parmi les caractères sacrés; les différentes teintes indiquent la matière de chaque espèce de vase :

Ceux dont la destination fut de contenir des matières solides telles que des pains, des viandes, des fruits, etc., étaient en terre cuite et sont conséquemment peints en rouge.

Les vases de bronze sont peints en vert; les objets de fer, le sont en rouge, tels que chars de guerre, sabres, etc.

Enfin, les vases de verre, d'émail ou de terre émaillée, propres à contenir des liquides, ont leur partie supérieure peinte en bleu, couleur du verre ou de l'émail, et la partie inférieure en rouge, pour indiquer soit le liquide, soit la transparence du vase.


Obtention des couleurs


Nom de Nesout-Bity du Pharaon Mérenptah
XIXème dynastie
KV 47 - Thèbes
Photo : Francis Dzikowski

Boîte de couleurs du Vizir Amenemope
Egypte, Nouvel Empire, XVIIIème dynastie (1540-1296 av. J.C.), règne d'Amenhotep II
Musée d'Art de Cleveland - Ohio - USA - 1914.680


Comme l'a montré Jean-François Champollion, dans sa "Grammaire Egyptienne", les teintes servant à l'écriture sont : bleue, verte, jaune, rouge, blanche et noire.

La teinte noire était obtenue de deux manières, suivant son utilisation. Pour le maquillage on utilisait de la galène. La galène est un minéral toxique composé de sulfure de plomb. Il servait à fabriquer le khôl. Le charbon de bois quant à lui permettait de fabriquer la teinte qui servira à la peinture et par conséquent à l'écriture. L'extraction de la galène et du plomb s'effectuait en priorité dans le Gebel El-Zeit à proximité de la mer Rouge.

Le blanc pouvait être obtenu à partir de céruse (blanc de Saturne). Il s'agit d'un pigment blanc à base de plomb. Ce produit a été longtemps le seul pigment blanc couvrant connu.

Le bleu est un pigment qui résulte de silicate de cuivre et de calcium. La couleur est due à une réaction chimique entre le pigment et la chaux. Il s'agit du premier pigment synthétique, né il y a plus de 5000 ans. Le lapis-lazuli quant à lui une fois broyé donne également un très joli bleu, cependant les égyptiens utilisaient ce minéral pour créer des parures de bijoux. Les mines de cuivre se situent à proximité de la mer Rouge.

Les égyptiens ont rapidement compris qu'en mélangeant différentes couleurs, il était possible d'en obtenir une tierce. C'est vraisemblablement de cette façon qu'ils obtenaient le vert (mélange de bleu et de jaune). Celui-ci pouvait être également obtenu en broyant de la malachite

Le jaune et le rouge sont obtenus à l'aide de l'oxyde de fer. Du reste, ce dernier permet une gamme de couleurs très importante, allant du jaune au noir, voir des teintes violacées.

Il est à noter que les mines se situaient dans le désert, que l'extraction était un travail saisonnier et qu'il était interdit de s'y rendre sans autorisation. Le travail y était harassant et si souvent les prisonniers de guerre étaient de corvée, les familles les plus pauvres y travaillaient afin d'obtenir un salaire leur permettant de subvenir aux besoins quotidiens.

Tombe de Ramses IV - Détail du plafond
XXème dynastie - KV 2 - Thèbes
Photo : Francis Dzikowski


Symbolique des couleurs

Le noir est une des teintes les plus importantes d'Egypte. Outre la fertilisation du Nil déposé par le limon noir, la teinte représente la renaissance du corps dans l'autre monde et sa préservation pour l'éternité. Pour cette raison, les divinités représentées avec un corps noir sont associées à la fécondité et au renouvellement perpétuel.

Comme dans bon nombre de civilisations, le blanc est couleur de joie. Il symbolise également le luxe. A l'origine les grandes pyramides étaient recouvertes de calcaire blanc. Loin des idées occidentales actuelles de virginité ou d'innocence, le blanc représente la victoire de la lumière sur la nuit. Cette couleur est logiquement associée aux dieux dans sa représentation de l'argent qui est considéré comme les os des divinités.

Si le vert représente le règne végétal, la santé et la jeunesse, le bleu symbolise l'air et tout ce qui a un rapport avec le ciel. Le bleu sombre représente quant à lui les profondeurs d'un ciel constellé d'étoiles (représentation de Nout au plafond de la tombe de Ramses VI). Le bleu turquoise représente le milieu aquatique d'où jaillit la vie. Cette teinte est également nommée "bleu égyptien".


Tombe de Ramses VI - Détail du plafond
XXème dynastie - KV 9 - Thèbes
Photo : Francis Dzikowski


Si l'argent représente les os des dieux, l'or est le symbole de la chair des divinités. Cette teinte jaune est également symbole de l'immortalité, associée aux dieux.

Enfin, le rouge est lié à Seth, personnification de la violence mais également de la victoire éternellement renouvelée sur le serpent Apophis, dans la quête de Rê afin de combattre le chaos. Le rouge représente aussi le désert, et tout ce qui appartient au domaine de Seth. A l'époque de l'Egypte antique, un animal de couleur rousse était craint car il était invariablement relié au dieu Seth et à la violence qu'il pouvait engendrer.

Voyages en Égypte et en Nubie
Deuxième voyage (extrait)
Giovanni Belzoni
Traduit de l'anglais G.P. Depping - La Librairie française et étrangère - 1821
L'art de vernisser le bois, la pierre, la poterie était poussé chez eux à un si haut degré, que je doute que nous puissions y atteindre aujourd'hui. Mais on ne trouve que rarement des modèles de cette branche d'industrie , tandis que les échantillons des sortes inférieures et communes abondent. Je n'en ai même trouvé nulle part que dans le tombeau de Psammétique; mais aussi ces vernis étaient-ils de la plus belle couleur.
L'art de la peinture était peu avancé chez les Egyptiens, puisqu'ils ne savaient point ombrer les figures, et les faire ressortir; mais il faut leur rendre cette justice qu'ils distribuaient leurs couleurs avec goût. Il règne beaucoup d'harmonie dans l'emploi même du rouge et du vert, couleurs qui nous paraîtraient trop tranchantes, et qu'ils mêlaient de manière à produire un effet très agréable et même brillant, surtout à la lumière. Il m'a paru, comme je l'ai dit plus haut, que leurs couleurs étaient tirées du règne végétal : en voici une nouvelle preuve. Les habitants actuels de l'Egypte qui fabriquent de l'indigo, le composent très grossièrement en gâteaux de la grandeur du biscuit de mer. Comme ils ne savent extraire le suc de la plante, sans y mêler du sable, les gâteaux reluisent de toute part à cause de ce sable fin. Or les anciens Egyptiens ne faisaient pas mieux; tout le bleu de leurs peintures , qui est évidemment de l'indigo, brille comme les gâteaux de fabrique moderne. Leur dessin et leur sculpture n'étaient pas plus avancés; cependant ils savaient donner une certaine vivacité aux attitudes et animer les figures. Ils connaissaient à peine la perspective, et dessinaient toujours les figures de profil. Je parlerai du procédé qu'ils employaient pour sculpter et peindre, lorsqu'il sera question de leurs tombeaux qui en offrent de beaux modèles. Ils ne connaissaient d'autres couleurs que le rouge, le bleu, le jaune, le vert et le noir; ils avaient deux nuances de bleu, le clair et le foncé. Avec ce petit nombre de couleurs, ils décoraient leurs temples, leurs tombeaux, enfin tout ce qui était susceptible d'être peint.
Cependant, quoiqu'ils eussent peu de couleurs, je suis sûr qu'ils ne les employaient jamais toutes dans le même morceau.

Pour en savoir plus :Les couleurs dans les Textes des Pyramides :
approche des systèmes chromatiques
(Enquêtes dans les Textes des Pyramides, 2)
Bernard Mathieu
Institut d’égyptologie François Daumas
UMR 5140 (CNRS - Université Paul-Valéry - Montpellier III
texte en pdf - 4.5Mo