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dimanche 8 mars 2009

Le conte de Sinouhé


Le conte de Sinouhé est un des récits les plus populaires de la littérature égyptienne antique. Il débute sous le règne d'Amenemhat Ier, fondateur de la XIIème dynastie. Il semble que ce conte fasse référence à des faits réels. Il s'agit également d'une des plus anciennes oeuvres littéraires qui nous soient parvenues. Ce conte a inspiré le romancier finlandais Mika Waltari. Le roman se déroule, quant à lui sous le règne d'Akhénaton soit six siècles plus tard. Hollywood s'empare de cet ouvrage et crée un film dirigé par Michael Curtiz avec, entre autres, Edmund Purdom (Sinouhé), Michael Wilding (Akhénaton) et Peter Ustinov (Kaptah). Le roman (1945) comme le film (1954) s'appelle "Sinouhé l'égyptien". 

Ce récit est raconté à la première personne, car le conteur n'est autre que Sinouhé.


A la saison peret de l'an trente du règne d'Amenemhat Ier, le peuple égyptien s'activait à labourer les champs qu'une bonne inondation venait de fertiliser, on y préparait également les grains qui serviraient de semence. Dans les champs, les enfants riaient et jouaient avec l'insouciance de leur âge.
C'était cependant un grand malheur qui guettait le pays. Le bon roi Amenemhat décèda. Aussitôt, le peuple prit le deuil et se lamenta. le deuil dura soixante-dix jours. L'Egypte se trouvait dans un état de somnolence.

À cette même période, Sésostris, le prince héritier venait de mener à bien une opération militaire contre des pillards, à l'ouest du delta. Dans le pays que l'on nomme la Terre du Nord. Sur le chemin du retour, des émissaires de la cour vinrent à sa rencontre, lui apprenant la terrible nouvelle. Sésostris, le coeur rempli par le chagrin, partit aussitôt afin de rejoindre la capitale.

D'autres enfants royaux participaient à cette campagne. Des émissaires se mirent en quête de les retrouver afin de les prévenir.

Je me trouvais à proximité de l'un d'eux quand on vint lui annoncer la mort du roi. Ce que j'entendis ne me procura aucune réjouissance. Je fus témoin, bien malgré moi, de la préparation d'un complot contre le futur roi. Sans vouloir y prendre part, j'y étais mêlé parce que je me trouvais au mauvais endroit, au mauvais moment.

Ne pouvant le supporter, je décidais de prendre la fuite. Je me cachais des passants. Il m'était dangereux de regagner la cour, car si la guerre de succession avait éclaté, Sésostris, l'héritier du trône allait vraisemblablement penser que j'appartenais au complot. Par conséquent ma vie ne tenait qu'à un fil.

Pour vivre, il ne me restait que la fuite en avant. Je marchais des jours durant, traversant des marais, dormant où je le pouvais, me nourrissant de ce que je trouvais, apaisais ma soif au hasard des puits que je trouvais. Je devenais l'ombre de moi-même, me faisant le plus discret possible, je me fondais dans le paysage. traversant les marais et les prés, passant les canaux le plus discrètement possible.

Après des semaines d'errance, je pus traverser le fleuve sur un vieux bateau. Ensuite je pris la route du nord. Arrivé à la frontière matérialisée poar un mur pour arrêter les pillards, je dus à nouveau me cacher le jour et marcher la nuit.

A proximité des lacs Amers, je dus avancer dans le sable. La chaleur se faisant de plus en plus lourde, manquant d'eau, je finis par tomber d'inanition. Le goût que j'avais dans la bouche me fit comprendre que la mort était proche.

Combien de temps suis-je resté allongé sur le chemin, je ne peux pas le dire. C'est un berger qui menait son troupeau qui me trouva. Celui-ci ayant déjà séjourné en Egypte me reconnut. Il me donna de l'eau et m'offrit l'hospitalité. Auprès de sa famille je repris peu à peu des forces. Je les suivis quelques temps puis m'installa à Kedem. C'est à ce moment là que j'appris que Sésostris était sur le trône. Malgré mon exil volontaire, mon coeur était empli de joie.

C'est à cette époque que je rencontrai le prince du Retenou. Il me demanda les raisons de mon exil. Je lui répondis que je n'avais rien à me reprocher et que pour mon malheur j'avais assisté à une conversation interdite. Ma crainte fut que mon roi ne se méprenne sur ma conduite et qu'il me fasse subir le sort des comploteurs. Pour cette raison, et tenant à la vie, j'ai préféré rester à l'écart. Ma sincérité ayant touché le prince, celui-ci me proposa de rejoindre sa cour, m'assurant que je n'y serai pas dépaysé. Certains de ses conseillers étaient en effet égyptiens.

Cet homme d'une grande générosité, me traita mieux que je ne pensais que l'on puisse traiter son propre fils. Il me donna la main de sa fille aînée et m'offrit des terres cultivables et de grandes quantités de bétail. Le temps passait. Je vivais heureux. J'eus de beaux enfants qui grandirent puis qui à leur tour, partirent vivre leur vie. Je m'efforçais d'être bon avec mon prochain. Je soignais les malades et donnais à boire à celui qui avait soif. Il m'arrivai de rendre service au prince en dirigeant son armée. J'eus l'occasion de montrer ma vaillance et l'excellence de ma stratégie.

Un jour, un homme bélliqueux, de forte corpulence et doté d'une force extraordinaire vint me provoquer. Il exigea que je lui fasse don de tout ce que je possédais. En cas de refus, il se battrait contre moi et s'emparerait de mes biens à l'issue du combat à mort qu'il pensait victorieux. En apprenant le nouvelle, le prince, inquiet, me demanda pour quelle raison cet homme m'en voulait ? Je lui répondis que je n'en avais aucune idée. A ma connaissance je ne lui avais causé aucun tort. Cette provocation n'était que le fruit de la jalousie. J'expliquai au prince que la seule issue était de l'affronter et de le vaincre. Le prince me quitta en me souhaitant bonne chance et en m'assurant de son soutien.

Je passai la nuit suivante à me préparer en vue du combat. Je réglai mon matériel, préparai mon arc et mes flèches, nettoyai et graissai mon épée. Quand l'aube pointa les premières couleurs du jour, le peuple était déjà rassemblé, moins impatient d'assister au combat que de connaître son issue. Le colosse marcha vers moi. Le public m'encourageait à tout rompre.

Le combat commençait, ce fut mon adversaire qui prit l'initiative. Il me lança ses javelots avec une force terrible, l'un après l'autre, mais je parvins à les éviter. C'est alors que brandissant une énorme hache, il s'élança vers moi comme un fauve. Le peuple prit d'effroi, se tut. Je pris le temps de la visée et la première flèche que je décochai se figea dans son cou. Il s'arrêta net, essaya d'émettre un son qui ne fut qu'un gargouillis puis tomba en avant, le nez dans la poussière. Je l'achevai avec sa propre hache.

Le public hurla de joie. Cette joie était en réalité un cri de délivrance car connaissant la férocité du colosse, ils avaient craint le pire. Tandis que le prince me serrait dans ses bras, je rendis grâce aux dieux qui m'avaient accordé leur protection. L'issue du combat m'ayant été favorable je récupérai tous les biens de mon rival, bétail, provisions de grains, tapis. Je m'en trouvai considérablement enrichi et ma popularité ne fit que croître dans tout le pays.

Pourtant malgré mes richesses, je regardais à l'ouest. Les saisons succédaient aux saisons et la douleur de ne pas vivre sur la terre qui m'a vu naître s'éveilla peu à peu. Je sentis la vieillesse s'emparer de moi inexorablement, et la tristesse ne faisait que grandir.

Pendant que je me morfondais, Sésostris entendit parler de moi, de mes exploits ainsi que du nouveau prestige du prince du Retenou. Il envoya des émissaires porteurs de somptueux présents ainsi que de ce message :

«Ordre royal pour le compagnon Sinouhé.
C'est de ton plein gré que tu t'es exilé sur les terres lointaines. Quel méfait avais-tu commis pour craindre qu'on s'en prenne à ta vie ? À mes yeux, aucun. Reviens donc au pays. Tu reverras le palais où tu as grandi, et, après avoir baisé le sol de la double grande porte, tu seras de nouveau au nombre de mes amis. Pense au jour peut-être prochain de ton passage dans l'éternité. Ici, tu recevras l'huile et les bandelettes, on te mettra dans un sarcophage en or et en lapis-lazuli, un char à bœufs te mènera à la tombe suivi d'un cortège avec des musiciens et des pleureuses, on lira pour toi la liste des offrandes, on fera des sacrifices auprès de ta sépulture. Si, en revanche, tu meurs en pays étranger, on ne te conduira pas au tombeau. On te coudra dans une simple peau de mouton et. on entassera un peu de terre et quelques pierres par-dessus. Tu es trop vieux, à présent, pour mener une vie nomade. Alors je te le dis : reviens ! »

A la lecture de cet ordre, je me sentis transporté de bonheur. Je songeai au roi qui me pardonnait. Je me dis que j'avais eu tort de fuir mon pays. Que mon roi, dans sa grande bonté, m'accordait de passer la fin de mes jours à sa cour. Je m'empressai d'envoyer au souverain cette réponse :
« Seigneur parfait des trônes du Double Pays, puissent les dieux donner force et vie à ta narine, puissent-ils t'accorder l'éternité sans fin! Ton humble serviteur est heureux d'apprendre que tu ne lui reproches pas sa fuite et que tu la comprends. Elle n'était pas préparée. Je ne sais pas au juste ce qui m'a poussé à partir. Ce fut comme dans une espèce de rêve. On ne m'avait pas menacé ni persécuté. Pourtant j'ai pris peur. Tous mes membres se sont mis à trembler et le dieu qui ordonnait cette fuite m'a poussé. Mais l'éloignement de ton humble serviteur n'a pas été inutile. Il lui a permis de rencontrer des princes favorables à l'Égypte et qui seront pour elle de fidèles alliés. Ordonne donc d'amener à la cour le seigneur du Retenou; il s'est toujours montré amical et désireux de te servir. Fais de même pour les princes Meki de Kedem, Khentiouiaoush de Khentekechous, et Menous du pays des Fenkhou. Accueille-les comme des amis. Pour ce qui concerne ton humble serviteur, il est prêt à renoncer aux fonctions de vizir qu'il exerce dans le pays où il réside pour obéir aussitôt à tes ordres ! Que Sa Majesté fasse comme il lui plaira et que les dieux le protègent pour l'éternité !»

Quelques mois plus tard, une délégation arriva d'Égypte pour me chercher. Je pris le temps nécessaire pour transmettre tous mes biens à mes enfants. Ainsi fait, je pris la route afin de retourner auprès de mon roi. A la frontière de la Terre du Nord les navires envoyés par le souverain m'attendaient. Ils étaient chargés de présents pour ceux qui m'avaient accompagné. Si c'est avec plaisir qu'ils les reçurent, c'est avec regret qu'ils me quittèrent.

Arrivé à proximité de la demeure royale, des hommes vinrent me chercher afin de me conduire au palais. C'est avec une profonde émotion que je touchai le sol de mon front entre les sphinx. Ce sont les enfants du roi qui m'accueillirent à la porte d'entrée et me conduisirent vers le souverain. Sa Majesté était assise sur son trône d'or. L'émotion était à son comble et alors que je m'apprêtais à le saluer, je perdis connaissance. En revenant à moi, j'entendis la voix de Sésostris demander à un homme de me relever afin que je puisse lui parler. Un moment passa et c'est encore sous le coup de l'émotion que le roi prit la parole :
- "Te voilà de retour après ton exil dans les pays étrangers.
Je sentis du reproche dans sa voix. Je crus que tous ces évènements n'étaient qu'une machination bien orchestrée afin que le roi puisse enfin me punir de ma traîtrise.
- Me voici devant toi. Ma vie t'appartient.
Il fit appeler ses enfants ainsi que Neférou, la Grande Epouse Royale.
- Voyez ! Sinouhé est de retour.
Tous les regards se portèrent sur moi. Personne ne me reconnut.
- Ce n'est pas lui, Majesté ! C'est un bédouin !
- C'est bien lui, en vérité. Il s'était enfui, mais il est revenu à ma demande, prendre place au milieu de mes amis." Leur répondit le roi en souriant.

Suite à ce retour en grâce, Sésostris m'installa dans un appartement du palais royal. Je pus bénéficier de tous les bienfaits dus à mon rang. Une armée de domestiques m'y servit. Tant et si bien que le poids des ans disparu petit à petit sous les mains expertes des masseurs royaux, des bains et de l'hygiène corporelle si importante en Egypte. Je coulais enfin des jours heureux. L'amitié du roi et celle de ses enfants m'étaient acquises. Je recevais trois à quatre repas journaliers. Une pyramide ornée et garnie de mobilier fut construite pour moi à proximité de celle de mon souverain. Le roi commanda une statue à mon effigie, elle fut plaquée d'or.

C'est ainsi que je peux affirmer avoir reçu plus de bienfaits que n'importe quel autre homme et avoir bénéficié des faveurs royales jusqu'à mon dernier souffle.

Telle est l'histoire de Sinouhé.


Payrus de Sinouhé - XIIème dynastie - Musée de Berlin