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vendredi 2 octobre 2009

Le livre de ce qu’il y a dans l’Hadès

Introduction
Sur « la vie après la mort », pour employer une expression courante, il existe des récits dans toutes les traditions. Le Bardo Thödol  tibétain est sans doute le plus connu.
Bardo signifie entre-deux, ce livre décrit effectivement les états (ou étapes) immédiatement post-mortem ce qui ne justifie pas totalement son appellation de « livre des morts tibétain ».
En Egypte ce que nous appelons « livre des morts », espèce de guide pour l’au-delà, a fait l’objet de plusieurs éditions dont la plus ancienne, celle de Pierret, reste très estimée.
Moins connu, plus voisin du texte tibétain, le livre ci-dessous mérite attention.
C’est grâce au dévouement de José qui ne désire pas recevoir les remerciements qu’il mérite pour avoir scanné et relu ce texte, qu’il est à votre disposition. Les hiéroglyphes n’ont pas été repris, les spécialistes se reporteront à l’édition sur papier.
Il a existé en occident des « ars moriendi » et des représentations de la mort dans les danses macabres dont le sens échappe à ceux qui sont insensibles à l’allégorie.
C. G. le 8 février 02

L'extrait du "Livre de ce qu'il y a dans l'Hadès" est publié avec l'aimable autorisation de Claude Gagne qui en a effectué la préparation pour son site "Cosmos" :

LE LIVRE DE CE QU'IL Y A DANS L'HADÈS

VERSION ABRÉGÉE PUBLIÉE
D'APRÈS LES PAPYRUS DE BERLIN ET DE LEYDE AVEC VARIANTES ET TRADUCTION

GUSTAVE JÉQUIER

PARIS ÉMILE BOUILLON, ÉDITEUR
67, RUE DE RICHELIEU ; 1894

L'HADÈS ÉGYPTIEN

L'Édition abrégée.

A — PLAN

Fort peu d'exemplaires de cette édition nous sont parvenus complets; à ma connaissance, seuls les papyrus de Berlin n° 3001 et de Leyde T. 71 contiennent le texte abrégé en entier; d'autres, ceux du Louvre n° 3071 et de Turin, en donnent plus de la moitié, les sept premières heures, de même que le tombeau de Séti Ier, le seul exemplaire monumental que nous possédions.
Ce texte est disposé en colonnes verticales, remplies d'hiéroglyphes rétrogrades rouges et noirs, les changements d'encre indiquant en général la place où dans nos écritures modernes se trouveraient des alinéas. Le plus souvent, les hiéroglyphes couvrent ces colonnes du haut en bas, d'autres fois ils n'en occupent qu'une partie plus ou moins longue, et coupent ainsi les phrases d'une manière plus nette. Après un court préambule qui contient la mention de l'arrivée du dieu dans un des cercles de l'Hadès et des paroles magiques qu'il adresse aux habitants de cette contrée, vient pour chaque heure le nom de la porte par laquelle le dieu y entre, puis celui du nome lui-même; à ce dernier est adjointe en général une phrase qui lui sert d'apposition et dit en plus ou moins de mots les particularités de la cité en question. Parfois aussi, on y ajoute le nom collectif des dieux qui s'y trouvent. Ensuite vient l'énumération des félicités réservées aux bienheureux qui nomment tous ces lieux et tous ces génies et qui ont fait copier à leur usage ces tableaux extraordinaires, composés autrefois, selon la tradition, par Horus, pour décorer le tombeau de son père, la maison cachée de l'Amenti : ces privilèges sont de double nature et concernent aussi bien la vie du double dans la tombe que la vie de l'âme qui peut, quand elle est suffisamment instruite, traverser pendant la nuit l'Hadès sur la barque du soleil et se promener sur la terre pendant le jour. Le nom de la déesse de la nuit qui pilote le dieu dans la contrée en question, termine le texte.
Tel est le plan général de chacune des douze divisions de l'Abrégé, qui ne s'en écartent, les unes ou les autres, que par de très légères divergences.

B — LES TEXTES

1. Papyrus Berlin 3001. —Ce papyrus, un des plus complets que nous possédions, est sans contredit le plus grand; il mesure 7m56 de long sur 0m33 de haut; il est fort bien conservé. Après les neuvième, dixième et douzième heures que nous présente la version illustrée, nous avons en 175 colonnes les douze heures de l'Abrégé, et enfin un grand tableau, unique dans les exemplaires du Livre de l'Arn-Douat, représentant le jugement du mort : son cœur est pesé par Anubis dans une grande balance en face des deux déesses Mâat; derrière le mort agenouillé attendant son arrêt, est accroupie l'hippopotame femelle, l'accusatrice. Dans un autre coin du tableau, le bassin de purification, rempli de feu et flanqué de quatre cynocéphales. Cette vignette est empruntée au chapitre cxxv du Livre des Morts, dans les variantes duquel nous la retrouvons plus ou moins développée. A l'autre extrémité du papyrus, avant le commencement du texte illustré, une autre figure représente Osirisx-Khont-Amenti, sous la forme d'une momie couronnée du diadème de la Haute-Egypte; ses deux bras saillants sont enveloppés d'une étoffe à ramages; il tient le fouet et le pedum. Ce papyrus est au nom du ?. Au sujet de ce personnage, mon ami M. Legrain, qui prépare un Catalogue complet des antiquités, égyptiennes du Cabinet des médailles, m'a communiqué les inscriptions de trois statuettes funéraires de cette collection, inscriptions ainsi conçues: ?. Ces statuettes, qui paraissent bien appartenir au même individu, ont été trouvées avec celles d'autres personnages de la même famille : elles sont en émail bleu avec repeints noirs, en tout semblables pour la forme, l'aspect et les procédés de fabrication à celles qui proviennent de la trouvaille de Déir el-Bahari. Cela nous reporterait donc au plus tard vers la XXIe dynastie, époque qui correspond assez bien au genre d'écriture de notre papyrus.
Nous avons ici affaire à un des textes les plus complets de l'Abrégé du Livre de ce qu'il y a dans l'Hadès, et c'est celui que j'ai pris comme base de ce travail. Comme orthographe, il est souvent plus correct que les autres, et se rapproche en cela de la version du tombeau de Séti Ier. A deux endroits seulement, dans la septième et dans la neuvième heure, le scribe a omis quelques lignes qui , grâce aux variantes , peuvent être facilement reconstituées.
2. Papyrus de Leyde T. 71.‑ Ce manuscrit inédit, lui aussi, est peut-être plus complut que celui de Berlin. Il mesure 4m60 sur une hauteur de 0m24. Il est anonyme, mais ne peut, paléographiquement, se placer beaucoup plus tard que le papyrus de Berlin, ni que celui de Turin, avec lequel il a encore d'autres points de ressemblance.
Tout d'abord nous avons ici les quatre dernières heures de la nuit, illustrées, dans un texte très développé et très complet; puis viennent 119 colonnes contenant l'Abrégé tout entier, sans aucune omission, écrit alternativement en noir et en rouge, comme d'habitude; il remplit les colonnes du haut en bas, de même que le papyrus de Turin. Les hiéroglyphes sont de la même facture que ceux des autres manuscrits, mais légèrement plus petits.
Ce texte important a été mis à ma disposition, avec beaucoup de complaisance, ainsi que les autres papyrus du Musée de Leyde, par le directeur et le conservateur, et je tiens à leur témoigner ici ma reconnaissance.
3. Papyrus Louvre 3071. — C'est ce texte qui le premier a été l'objet d'une étude sérieuse de la part de M. Devéria, qui en publia une traduction complète. Cette traduction, reproduite par M. Pierret, dans son édition de ce papyrus, est imprégnée des idées mystiques qu'on se faisait à cette époque sur la religion de l'Egypte.
Ce papyrus, encadré et exposé dans la salle funéraire du Musée du Louvre, ressemble comme facture au papyrus de Berlin. Il renferme les quatre dernières heures, illustrées, et les sept premières de l'Abrégé. Il ne nous donne pas le nom de celui pour lequel il a été écrit.
4. Papyrus Turin. — Le seul manuscrit important de cette catégorie qui ait été jusqu'ici publié en fac-similé est celui du Musée de Turin. M. Lanzone en a donné en 1879 une édition sous le titre de: Le. Domicile des Esprits. Il contient les quatre dernières heures de la nuit dans l'édition illustrée, puis, dans les 97 colonnes de l'Abrégé, un texte qui s'arrête avant la dernière phrase de la septième heure. Ce papyrus, qui a beaucoup de rapports avec celui de Leyde (T. 71), lui est cependant inférieur au point de vue de l'orthographe et dénote plus de négligence de la part du scribe. Il est anonyme et mesure 4m02 sur 0m25.
5. Tombeau de Séti Ier. — Seul de tous les textes monumentaux, l'hypogée de Séti Ier nous offre, à côté d'une édition illustrée très complète jusqu'à la onzième heure, le commencement de la version abrégée, qui s'arrête brusquement, faute de place, au milieu de la première phrase de la septième heure.
Dans ces 213 petites colonnes, nous avons un texte très soigné et très correct, qui se rapproche surtout, pour l'orthographe, du papyrus de Berlin n° 3001.
6. Les autres textes. — Parmi les variantes que nous avons encore de l'édition abrégée de notre livre, il faut citer tout d'abord le grand papyrus de Leyde T. 72, qui nous donne les quatre premières heures de la nuit, puis celui du Louvre n° 3119, qui en a trois. Pour la première heure seule, nous avons encore les papyrus duLouvre n° 3109 et entrée 3451. Quant au papyrus de Leyde T. 77, il contient bien les trois premières heures, mais il est difficile de s'en servir, vu le désordre qui règne dans sa composition et le manque de suite avec lequel ses phrases se succèdent.

C — CRITIQUE DES TEXTES

En comparant entre elles les différentes versions que nous avons de l'Am-Douat abrégé, nous pouvons constater une grande ressemblance : les nombreuses variantes ne sont guère que de nature orthographique ou phonétique. Quelquefois un papyrus omet une phrase ou un mot, mais cela paraît venir simplement de la négligence ou de l'inattention du scribe, soit qu'il copiât son texte, soit qu'il se le fit dicter. E somme, nous pouvons facilement nous convaincre que tous les exemplaires que nous avons dérivent d'un même original, d'un archétype unique qui — fort probablement composé par un des prêtres d'Ammon — était entre les mains du collège de Thèbes, et à la disposition des fidèles qui pouvaient le faire copier pour leur usage personnel. Ce fait que tous les papyrus que nous avons dérivent du même manuscrit est bien évident à certains passages où l'archétype contenait des fautes ou des abréviations que nous retrouvons dans toutes les variantes ; les exemples les plus frappants en sont à la cinquième heure, où la formule ?, qui se retrouve si souvent, plus ou moins développée, est réduite à sa plus simple expression : ? et à la sixième heure, où nous avons partout la phrase ?, incompréhensible si l'on n'ajoute pas, comme dans les phrases analogues, le mot ? avant ?.
II est cependant encore possible de faire une distinction entre différentes classes de manuscrits, en tenant compte de certaines variétés d'orthographe qui se répètent toujours, ce dont on peut se convaincre aisément en considérant les variantes de chaque heure. Ainsi le papyrus de Berlin 3001 a de grandes analogies avec le tombeau de Séti Ier; de même entre les papyrus de Leyde 71, de Turin et du Louvre 3109. Plus évidente encore est la ressemblance entre les papyrus du Louvre 3071, de Leyde 72 et du Louvre 3109. En admettant que chacune de ces trois classes ait eu pour modèle un même manuscrit, dérivé de l'archétype, nous aurions le tableau suivant ...

LE LIVRE DE CE QU'IL Y A DANS L'HADÈS

édition abrégée

LES TITRES

En tête du texte abrégé se trouve écrite horizontalement, en écriture rétrograde, au-dessus des colonnes de la première heure, la phrase suivante :
... « Abrégé de ce livre, » qui sert d'introduction à notre texte, en le distinguant de l'édition illustrée.
La première colonne renferme le titre proprement dit, titre plus général, qui se retrouve aussi, beaucoup plus développé, en tête du texte illustré :
« Commencement de la Corne d'Occident.— Extrémité des ténèbres épaisses. » Le parallélisme de ces deux membres de phrase est évident et embrasse en ces quelques mots toute la course de Ra dans l'Hadès; la Corne de l'Occident, c'est la montagne derrière laquelle le soleil disparaît, le soir, nom mythique analogue au   des Grecs. Quant à l'extrémité des ténèbres épaisses, on entend par là la fin de la nuit, l'aurore, l'endroit où le soleil va renaître : en effet, cette expression se retrouve à la fin de notre texte pour caractériser la douzième heure de la nuit.

PREMIÈRE HEURE

Avant le moment où commencent les ténèbres épaisses, il y a un instant qui n'est déjà plus le jour et qui n'est pas encore la nuit. Ce crépuscule, où le soleil, déjà disparu de l'horizon, ne répand plus sur la terre qu'une légère lueur, les Égyptiens en ont fait une première étape de la course au travers des enfers, une sorte d'antichambre où le dieu souverain se transforme. Il est encore monté sur sa barque de l'après-midi, celle qui porte à sa proue un grand tapis frangé, mais lui-même a déjà pris son aspect nocturne; il n'est plus que le cadavre, la chair, un dieu à tête de bélier surmontée du disque solaire.
Le caractère particulier de cette contrée qui ne fait pas encore, à proprement parler, partie des mondes infernaux, lui a fait donner par les Égyptiens un autre nom qu'aux principautés suivantes du Douaout. A l'opposition des cercles ou zones ou des cités entourées de leur nome nous avons simplement ici un vestibule, un entrepôt. Ce mot exprime l'idée de magasins, de dépendances et les Égyptiens enfermaient non seulement leurs provisions, mais aussi leurs esclaves, leurs fellahs ; ces magasins formaient une cour, entourée d'un nombre plus ou moins grand de petites loges, telles que celles qui ont été, retrouvées derrière la. pyramide de Khéfren. Ici, c'est la même chose : toute une série de petites cellules s'échelonnant le long du fleuve et servant de retraite aux serviteurs du dieu, qui n'en sortent que pour faire leur service auprès de lui.
Moins grande que les autres, cette contrée est aussi moins peuplée: à part deux groupes de cynocéphales et quelques génies dont le rôle est, soit d'ouvrir au dieu mort la porte des enfers, soit de lui adresser des acclamations à son passage, les autres divinités que nous trouvons représentées, chacune dans sa cellule, n'y habitent pas perpétuellement ; elles n'y sont qu'en attendant le moment où elles iront auprès du soleil exercer leurs fonctions, soit pendant le jour, soit pendant la nuit. Ce sont d'abord les douze déesses qui, de jour, acclament Ra, puis les douze uræus crachant des flammes pour éclairer, chacune à son tour, les ténèbres par lesquelles passera le dieu, enfin les douze déesses qui prendront l'une après l'autre leur quart sur la barque divine et la guideront sur le fleuve mystérieux, et celles qui invoqueront le soleil pendant la nuit. Nous nous trouvons donc ici dans une sorte de corps de garde où le dieu, après s'être transformé, quitte l'escorte qui l'a accompagné pendant le jour pour prendre avec lui celle, plus nombreuse, qui non seulement devra lui faire des invocations, mais encore guider sa barque à travers des pays remplis d'obstacles et de dangers, et éclairer les ténèbres autour de lui.
C'est là une population bien pacifique, si on la compare aux multitudes de génies redoutables qui hantent les autres parties de l'Hadès. A côté de ces habitants, se trouve encore la série de divinités chargées, comme dans plusieurs autres cercles, de former cortège devant la barque divine. Tout d'abord quelques déesses et dieux bien connus, comme Mout Neit, Khont-Amenti, puis une barque portant un gros scarabée, l'âme du soleil mort, qui vient de le quitter, et s'unira de nouveau à lui à la fin de la nuit, et enfin des serpents et des génies brandissant des épées et des serpents.
Voilà pour les habitants divins de cette contrée, qui était en outre remplie d'une multitude d'êtres, trop peu importants, pour être représentés, et ne jouant aucun rôle dans l'histoire des voyages du dieu Soleil. Ce sont les âmes des morts, qui quittent la terre au soir, en même temps que Ra, mais doivent s'arrêter à cette première étape où elles végéteront pour l'éternité, probablement, faute d'avoir en leur possession, comme sauf-conduit, des formules magiques qui leur permettent de monter sur la barque .solaire et de se faire conduire jusqu'au domaine du dieu que, de leur vivant, elles ont adoré, ou, s'assimilant à Ra, de le suivre pendant toute sa course pour reparaître au jour le matin, et errer sur la terre, pendant la journée, à leur gré.

DEUXIÈME HEURE

C'est à Osiris qu'appartiennent les premiers domaines de la nuit, et plus particulièrement à Osiris-Khont-Amenti, le dieu des morts d'Abydos. Le grand dieu soleil, le cadavre d'Ammon-Ra, y passe en suzerain, est reçu comme tel et adoré par ses vassaux. Dans ce deuxième nome de l'enfer, ceux-ci ont un caractère plutôt pacifique, et se promènent sur les rives du fleuve, la plupart couronnés de grands épis ou tenant à la main des pousses de palmiers ; d'autres, il est vrai, brandissent des épées ou des massues, mais ni le dieu ni les fidèles n'ont rien à craindre de leur part : ce sont les gardes d'Osiris, chargés de faire la police du nome, d'en interdire l'entrée aux morts qui ne sont pas des fidèles d'Osiris ou qui ne voguent pas sur la barque solaire, et de les exterminer. Sur les bords de l'eau, encore quelques formes de grands dieux, comme Thot, Seb, Khnoum, Hor-Set, regardent passer la divine procession.
Dans ce pays ami, le cortège n'a pas besoin d'être bien imposant ; la barque du dieu, qui a pris sa forme nocturne en déposant simplement son grand tapis à franges, descend le courant du fleuve, sans rameurs, sans haleurs ; son équipage s'est augmenté ici de deux uræus, images d'Isis et de Nephthys, dressées à la proue. Suivant aussi le fil de l'eau, quatre petits canots la précèdent, sans pilotes, sans matelots, portant chacun des objets d'une grandeur colossale, un disque solaire sur un chevet, accompagné d'une plume d'autruche, un sistre entre deux femmes, un crocodile (ou lézard) portant une tête humaine sur le dos, et enfin, entre deux énormes épis, trois personnages sans bras.
Cette contrée est désignée sous le nom ? , mot que l'on n'a pu s'empêcher de rapprocher de l'ουραυος des Grecs. Ici ce n'est probablement que le nom que porte le fleuve dans ce nome. De même qu'en Égypte, le Nil changeait de nom, avec chaque nouvelle principauté dans laquelle il entrait. Ce nom est localisé dans le territoire de la deuxième heure et ne se retrouve nulle part ailleurs dans nos textes. Le rapprochement le plus naturel à trouver pour cette contrée fertile, habitée et cultivée par des sujets d'Osiris, serait avec les jarchns d'Ialou du Livre des Morts, car ici, si les semailles et les moissons ne sont pas représentées, du moins nous y trouvons personnifiés les différents états du grain germant. Quant à ceux qui doivent cultiver cette contrée, les fellahs, ce sont des dévôts d'Osiris que Ra amène jusque-là dans sa barque, ensuite il leur distribue des fiefs, des champs et vivifie leurs âmes par sa parole magique, chaque nuit, à son passage. C'est une existence plus heureuse que l'oubli dans lequel sont plongées toutes les âmes qui ne peuvent dépasser les limites de la première heure.

TROISIÈME HEURE

Ce pays-ci rentre encore sous la domination du même Osiris, mais si la zone précédente était plus spécialement destinée à servir d'habitation aux fidèles, ici, c'est la résidence du dieu lui-même, qui trône sur la rive du fleuve, sous huit formes différentes, représentées par autant de momies assises sur des trônes et coiffées, les premières de la couronne blanche, les autres de la couronne rouge ; ce sont : ? puis ?, et en avant de ces derniers, deux autres formes stellaires d'Osiris. Entre ces deux groupes de dieux momies se tiennent toute une série de génies dont la plupart ont des têtes d'oiseaux et sont armés de glaives : ils représentent les ? , les combattants, ou plutôt les massacreurs, ceux qui exterminent les ennemis d'Osiris. Parmi eux est une déesse, celle qui enfante Ra, et en tête de ce registre inférieur, le dieu Khnoum qui paraît exercer une surveillance générale.
En face, sur l'autre rive, des cynocéphales assis sur leurs sables, un bélier destructeur armé d'une épée, trois Anubis, dont un sous la forme d'un chacal étendu sur un naos, des personnages portant les pupilles des yeux d'Horus, une colonnette surmontée du signe de la chair (l'incarnation de la baguette magique) et enfin, conduits par deux Horus, une série de génies mâles et femelles, les uns momifiés, qui acclament Ra à son passage et se lamentent et pleurent quand il a disparu. Tous ces génies sont là pour protéger Osiris, soit par leurs incantations magiques, soit en anéantissant ses ennemis. Peut-être ce nome-ci avait-il aussi une population de fellahs, mais il n'en est fait aucune mention. Quatre dieux, les bras emmaillotés, viennent à la rencontre du cortège qui précède la barque divine et se compose, encore cette fois-ci, uniquement de petites barques, mais au nombre de trois et conduites à l'aviron ; elles sont montées chacune par Osiris sous une de ses formes secondaires, accompagné, outre les deux matelots, de deux autres génies et d'un serpent dressé tout droit sur sa queue.
C'est Ra lui-même qui a créé la population de ce nome, pour escorter et défendre Osiris. Au moment, de son passage, tous ces génies viennent rendre hommage à leur suzerain pour les fiefs qu'ils tiennent de lui et recevoir encore, par la vertu des paroles magiques qu'il prononce, le renouvellement de leur existence.


QUATRIÈME HEURE

L'enfer de Sokaris, où nous pénétrons avec la quatrième heure, doit avoir été primitivement un enfer complet dont on aura, pour les besoins de notre texte, réduit les douze heures au nombre de deux. C'est dans ces quelques lignes que nous avons le plus grand nombre de détails sur le dieu des morts de Memphis, qui a joué un si grand rôle aux origines de la civilisation égyptienne, mais dont fort peu de monuments sont parvenus jusqu'à nous.
Cet enfer étrange, dont la physionomie diffère tant des autres parties de l'Hadès, n'est plus une contrée fertile et bien arrosée où les mânes vivent dans un état relativement heureux: c'est un désert immense, ténébreux, extraordinaire, où de monstrueux serpents rampent presque seuls, faisant leurs rondes ; à peine y trouvons-nous quelques génies ayant une forme plus ou moins humaine. La barque solaire, à son passage, ne traverse pas toute la contrée au vu et su de tous ; elle doit se glisser par des chemins étroits, des couloirs entrecoupés de portes, couloirs que les Égyptiens ont représentés naïvement, coupant en oblique les trois registres l'un après l'autre, après avoir longé un moment le sol de chacun d'eux. Quant à la barque, ils l'ont mise à sa place ordinaire, au registre médial, se bornant à inscrire dans les couloirs que c'est par là qu'elle devait passer ; ces inscriptions sont en double, en deux écritures différentes, dont l'une, simple cryptographie à l'usage des prêtres, probablement, est encore fort peu connue. Le dieu mort a toujours le même entourage, mais comme il n'y a plus de fleuve sur lequel il peuit naviguer, la barque n'a plus de raison d'être, et a pris la forme, la plus pratique pour glisser sur le sable, celle d'un serpent dont les deux têtes se recourbent en arrière, comme la proue et la poupe d'une barque ordinaire. Pour avancer, elle doit être traînée; à la corde par quatre personnages, des formes d'Anubis, le chacal haleur ; peut-être ne sont-ils ici que grâce à un de ces calembours si chers aux Égyptiens qui n'ont pu s'empêcber de mettre l'un à côté de l'autre les mots staou couloirs, et staou halage. Devant ces haleurs, quelques personnages forment le cortège, parmi lesquels figurent Hor et Thot supportant à eux deux un grand oudja, qui n'est pas ici l'œil d'Horus, mais est identifié au dieu du nome, à Sokaris. Plus loin, quatre divinités viennent à la rencontre de Ra, lui apportant les signes de la vie. Cette heure n'a guère pour habitants, comme nous l'avons dit plus haut, que des serpents, monstres qui ont quelquefois deux ou trois têtes, ou sont munis de grandes ailes, perchés sur des jambes humaines, couchés sur des barques ; ils font des rondes à travers ces déserts et souvent ils ont à côté d'eux un génie gardien. Le dernier serpent, à l'extrémité du registre inférieur, porte sur son dos quatorze têtes humaines accompagnées de disques et d'étoiles— représentant les divinités protectrices des quatorze jours d'un demi-mois lunaire — vers lesquelles s'avance en courant le dieu Khepra, suivi de Màat. En face, deux déesses représentant le Nord et le Sud, et quelques divinité, parsemées, aux nomu inconnus ailleurs.
Dans ce nome, la position des fidèles du dieu, si tant est qu'il y en ait eu pour l'habiter, est, encore plus effacée que dans les autres. Il n'en est fait dans le texte aucune mention.

CINQUIEME HEURE

Plus important que le précédent, ce nome infernal est le centre du territoire sokarien. Le dieu y réside, enfermé dans une montagne de sable : au milieu de son domaine s'élève un monticule surmonté d'une tête humaine et c'est là-dessous que Sokaris se tient sous sa forme première. Dans une sorte de caverne, de forme elliptique, entourée d'une muraille de sable, s'étend un long serpent à trois têtes, dont l'une humaine; sur son dos, deux grandes ailes d'épervier, entre lesquelles se dresse, comme s'il faisait partie du reptile, les pieds engagés dans ses replis, la figure de Sokaris, un dieu hiéracocéphale. Comme gardiens de cette retraite, on voit issir à mi-corps, des deux extrémités de la zone de sable, des sphinx couchés.
Comme dans l'autre nome sokarien, nous retrouvons ce mystérieux couloir qui est le chemin de la barque solaire, mais cette fois, il ne traverse plus tout le tableau: après la première porte, le couloir monte jusqu'au-dessus du registre inférieur, le longe jusqu'à la hauteur du tumulus de Sokaris, derrière lequel il paraît se perdre, pour reparaître de l'autre côté, allant toujours dans la même direction, puis redescendre jusqu'à la porte extérieure. De cette manière, le registre inférieur, complètement séparé du reste du tableau, paraît être une partie souterraine du nome, avec la crypte du dieu comme centre, et ses gardiens seuls comme habitants : deux longs serpents et quatre génies accroupis qui sont des formes de Sokaris et portent sur leurs genoux les emblèmes de sa divinité et de sa souveraineté, tête de bélier, double plume, couronne blanche et couronne rouge. Au-dessous de la zone souterraine s'étend un long bassin d'où sortent quatre têtes surmontées de flammes, probablement des âmes de réprouvés, châtiées pour s'être aventurées trop loin, et pour lesquelles l'eau est comme du feu; ils crient de douleur quand le dieu passe au-dessus d'eux.
Cet étang brûlant a ses gardiens représentés au nombre de cinq, au registre supérieur, devant neuf haches plantées en terre et symbolisant une ennéade divine, vers lesquelles une déesse Amenti étend les bras. En face de la pyramide qui recouvre le tombeau de Sokaris, une chambre voûtée, remplie de sable, représente la nuit. C'est de la que sort le scarabée qui ira, se placer sur la barque de Ra et, ranimer le soleil mort. Autour de cette chambre, un serpent gardien à doux têtes fait sa ronde, puis vient une série de génies chargés de châtier et de détruire les morts arrivés jusqu'à cette contrée inhospitalière sans avoir les moyens de la traverser; devant eux, une déesse extermine de ses propres mains un homme qui est dans cette condition.
Afou, toujours dans sa barque-serpent, est halé maintenant par sept dieux et sept déesses, les divinités du demi-mois lunaire, que nous avons vu arriver de l'heure précédente sur le dos du serpent Mennou. En avant du cortège marche la déesse Isis-Amentit suivie de quatre personnages portant des bâtons et sceptres divers, voire même un arbre entier.
A l'extrémité du couloir, à l'endroit où la porte fermée est gardée par un serpent, se trouve représentée l'étoile du matin, le dieu vivant qui marche, marche et passe, la planète Vénus, qui précède le lever du soleil. Ce fait, joint à la représentation du scarabée sortant de la nuit pour se placer sur la barque divine, nous montre bien que le domaine de Sokaris, quoique réduit à deux heures qu'on a intercalées à leur place géographique, représentait un enfer complet, finissant avec le lever du soleil.

SIXIÈME HEURE

Remontant toujours vers le nord, après Abydos et Memphis, nous nous trouvons dans le Delta, et en effet, pour cette heure et les trois qui vont suivre, c'est le cycle d'Osiris qui reprend, mais celui d'Osiris dieu de Busiris et de Mendès. C'est de nouveau une contrée paisible, où Ra agit en suzerain et comble de bienfaits les habitants en leur faisant parvenir des offrandes de toute espèce. Cette idée des offrandes qui revient si souvent dans ce texte, spécialement dans le nom du chef d'une des ennéades qui habitent le nome, et de toute une classe de mânes, pourrait faire rapprocher ce cercle-ci des champs d'Hotep, mentionnés dans d'autres textes religieux, de même que le deuxième cercle correspondrait aux champs d'Ialou.
Afou a repris possession de sa barque qui n'a plus besoin de se traîner comme un serpent sur les sables du désert, mais vogue de nouveau sur le fleuve. Ici, plus de procession ouvrant la marche au dieu. L'artiste a profité de cette circonstance pour représenter au registre central la chose la plus importante du nome, la maison mystérieuse qui renferme l'image d'Osiris, de manière à la mettre en évidence et à ne pas encombrer les deux autres registres, déjà surchargés de divinités. C'est une grande chambre à toit plat, très allongée, où se tiennent debout quatre groupes de quatre momies chacun, des rois de la Haute-Egypte, des morts munis de biens inaliénables, des rois de la Basse-Egypte, et enfin de simples mânes, les quatre classes de morts dignes d'entrer dans ce royaume de bienheureux. Ra, en passant, leur adresse dos paroles de bénédiction et les engage à lui prêter main-forte contre Apophis qu'il rencontrera sous peu. Dans la même chambre, nous trouvons encore une singulière image du dieu Khepra, montrant nettement l'idée que se faisaient les Égyptiens de la renaissance de l'âme et de sa réunion au corps ; le signe des chairs sous ses pieds, le dieu, saisissant un scarabée placé au-dessus de sa tête, est étendu sur le dos d'un grand serpent à cinq têtes, vers l'une desquelles vient aboutir sa queue, enveloppant ainsi le dieu de ses replis. A elle seule, cette image est un résumé de la doctrine contenue dans notre livre tout entier: c'est la trans-formation du dieu mort en un soleil nouveau, à l'abri de Mehen, le serpent protecteur, qui va, à l'heure suivante, monter sur la barque.
Entre la bari du dieu et la maison osirienne se trouve encore un Thot assis, à tête de cynocéphale, tendant un ibis à une déesse qui s'avance vers lui et tient derrière son dos les prunelles des yeux d'Horus. Au registre supérieur sont représentés tout d'abord neuf dieux osiriens, et à leur tête le dieu des offrandes, tous dans la position de personnages assis, mais sans sièges pour les sout-nir. Plus loin vient une neuvaine de rois, représentée par neuf sceptres | surmontés alternativement de couronnes rouges, de couronnes blanches et d'uraeus, et flanqués chacun d'une épée. Au-devant d'eux, un grand lion couché, surmonté de deux oudjas, et une déesse assise en l'air. Les dieux représentés ici sont les vassaux immédiats, les grands feudataires propriétaires de leurs champs; c'est par leur entremise que les offrandes apportées par la puissance magique des paroles de Ra parviennent aux morts. L'ennéade des rois représente aussi des propriétaires, des fermiers qui moissonnent ou cultivent eux-mêmes leurs champs.
Plus loin encore, un Horus enfant ou un dieu momie, montent la garde sur trois petites cabanes, collas contenant chacune un emblème : tête humaine, aile d'épervier, arrière de lion. Chacune de ces cellules est percée d'une petite lucarne par laquelle regarde un serpent dressé sur sa queue et crachant du feu.
Sur l'autre rive, encore des séries de génies, sous la direction d'un dieu à tête de crocodile ; d'abord ce sont sept personnages debout, puis quatre déesses : tous ces génies sont censés suivre la barque de Ra, vivent et jouissent de leurs biens par l'effet magique de ses incantations; ils ont pour rôle d'escorter les âmes des morts à travers ce cercle de l'Hadès. Devant eux se traine le grand serpent mangeur de mânes, celui qui fait justice des ennemis de Ra, dans cette heure; il est invisible au dieu, mais les quatre têtes des enfants d'Horus qui se dressent sur son dos entendent les paroles magiques de Ra et en profitent. Puis viennent quatre formes d'Osiris, assises sans siège, auxquelles Ra ordonne de ressusciter et de s'unir à leurs corps. Enfin neuf serpents crachant des flammes et issant du sable, tout raides, armés chacun d'un couteau, représentent les grands dieux Totounen, Toum, Khepra, Schou, Seb, Osiris, Hor, Apou et Hotpou: ils sont aussi là comme destructeurs des ennemis du dieu qui voudraient s'opposer à la renaissance de Khepra, dont l'origine est en cette sixième heure de la nuit.

SEPTIÈME HEURE

Ici, la traversée devient de plus en plus difficile : le fleuve n'est plus qu'un bas-fond, et le peu d'eau qu'il y a, Apophis menace de l'avaler et d'arrêter ainsi la course du soleil. Contre un ennemi aussi redoutable, il faut multiplier les précautions : le grand défenseur d'Afou, le serpent Mehen, remplace la charpente de la cabine où se tenait le dieu, le cache sous ses replis, et dès à présent ne quittera plus ce poste d'honneur. Les paroles magiques de Ra ne suffisent plus, et il faut qu'Isis, la grande magicienne, prenne place à la proue de la barque, pour proférer ses incantations, secondées par celles du dieu Samsou. Devant la barque s'avance, menaçant, le monstrueux serpent Nehahi, une forme d'Apophis, mais grâce au verbe magique, Selkit et Heri-Tesouf s'emparent du reptile, le lient, le transpercent de glaives, le mettent en dehors du chemin sur un bas-fonds qui lui est réservé et qui peut juste le contenir : la barque peut continuer sa route en paix. Derrière ces deux défenseurs, quatre déesses armées d'épées sont prêtes à les seconder.
C'est dans cette contrée dangereuse que se trouve le sépulcre d'Osiris, sous la forme de quatre maisonnettes recouvrant de petits monticules de sable. C'est là-dessous que se trouvent ensevelies les quatre âmes du dieu, déterminées ici par les noms de Toum, Chepra, Ra et Osiris, c'est-à-dire les quatre états du soleil. Ces quatre tombeaux si primitifs, dont la tradition doit remonter à une très haute antiquité, sont surmontés chacun de deux têtes humaines qui les protègent des mauvais esprits, reste des anciennes coutumes de faire des sacrifices humains sur les tombes, ou bien de la croyance, encore vivante chez plusieurs peuples de l'Afrique, que les têtes des ennemis tués sont une protection pour la maison sur laquelle elles sont plantées. Plus loin, un dieu et une déesse montent encore la garde sur ces tombeaux. Au registre supérieur, après deux ou trois personnages, parmi lesquels une uræus à tête humaine, nous retrouvons le serpent Mehen recouvrant de son corps un dieu qui porte le nom de Chair d'Osiris, assis sur un trône et coiffé de la double plume d'Ammon. C'est le prince de ce nome, à qui Ra demande le passage, tout en lui ratifiant la possession de son fief. Devant lui une déesse à tète de lionne décapite trois de ses ennemis, liés et agenouillés ; plus loin, trois autre simpies gisent à terre, liés de longues cordes que tient à la main le génie Ankou, l'attacheur. Enfin, les âmes pieuses sont représentées par trois éperviers à tête humaine, au delà desquels nous apercevons encore un dieu assis, nommé les Chairs de Toum, personnage dans le genre de celui qui trônait sous les replis de Mehen.
Au registre inférieur, une procession de douze dieux-étoiles se dirige vers celui qui doit les passer en revue, un Horus siégeant sur son trône. Ce sont les génies qui président au lever des heures, dans l'autre monde, et dont les étoiles guident, chacune à son tour, la course de Ra. Leur place ici est très naturelle, car nous retrouvons dans différents textes ces divinités stellaires comme gardiens du tombeau d'Osiris.— Puis douze déesses, aussi des guides du soleil, marchent dans l'autre sens vers un gros crocodile étendu sur un tas de sable. Ce tumulus est encore un tombeau d'Osiris, et le monstre menace toujours de dévorer le Dieu qui y est enseveli; seulement, pendant le passage de Ra, le crocodile, charmé par ses paroles magiques, perd pour un instant sa force de destruction, et Osiris peut sans crainte sortir sa tête au-dessous de la gueule du monstre pour voir passer son suzerain. De même les âmes osiriennes qui savent qu'à ce moment-là le crocodile n'est pas redoutable, peuvent en profiter pour passer auprès de lui sans danger.

HUITIÈME HEURE

Sarcophage des dieux, ainsi s'appelle cette région qui porte si bien son nom et qui est une des plus importantes de l'Hadès. Partout ce ne sont que dieux et génies, non plus vivants, mais ensevelis et embaumés selon tous les rites ; auprès de chacun sont des bandelettes et des linceuls, représentés par le signe des étoffes, qui leur sert de siège ou bien est placé simplement devant eux.
La barque divine a toujours le même aspect que dans l'heure précédente, dominée, en guise de cabine, par le serpent Mehen. Pour traverser cette contrée morte, il n'y a plus besoin d'incantations ni de sortilèges, et la patronne de la barque est de nouveau debout à sa place, devant le naos d'Afou. Dès ce moment la barque et l'équipage ne changeront plus jusqu'au lever du jour.
Ici, les haleurs reparaissent, au nombre de huit, attelés à la corde. En avant d'eux, une ennëade de serviteurs, représentés par l'hiéroglyphe de leur nom, sont des fidèles de Ra, transportés dans ce nome pour lui servir de cortège ; bien momifiés suivant les rites, ils sont munis de leurs bandelettes. Quoique morts, ils sont encore doués d'une certaine vie et s'animent au passage du dieu, ce qui nous explique l'apparition de ces têtes humaines qui sortent lorsque Ra leur adresse la parole, leur enjoignant de s'armer de leurs glaives et d'exterminer ses ennemis qui peuvent se trouver dans cette contrée. Ouvrant le cortège, marchent quatre béliers, la tête ornée des différentes coiffures solaires: la double plume, la couronne rouge, la couronne blanche et le disque. Ici, ces béliers ne représentent pas , comme d'habitude, les quatre âmes d'Osiris, mais des formes de Totounen.
Les deux côtés du fleuve sont occupés par un certain nombre de demeures ou cercles fermés, dont les portes s'ouvrent au passage d'Afou pour laisser entrevoir les habitants du lieu, les dieux morts dans leurs tombeaux. Tous ces dieux sont non seulement munis de leurs bandelettes, qui ne représentent que les cérémonies de l'embaumement, mais ils ont encore été mis au tombeau suivant les rites institués par Horus pour son père : ils sont établis sur leurs sables, une des premières et plus importantes cérémonies des funérailles, qui consistait à placer sur un tas de sable la momie ou une statue du mort. Ra leur adresse la parole, et tous ces cadavres se raniment un peu, veulent lui répondre, mais ne font entendre qu'un murmure sourd et confus, plus ou moins fort, qui ressemble soit à un son très lointain de voix, soit à un bourdonnement d'insectes, à des miaulements de chats, à des rugissements de lions ou à des cris d'oiseaux de proie. Au registre supérieur, chaque cellule renferme trois dieux, assis sur leurs étoffes, tous se rapportant aux mythes du Delta. Tout d'abord l'ennéade héliopolitaine au complet remplit les trois premiers tombeaux : Toum, Khepra et Schou; Tafnout, Seb et Nout ; Osiris, Isis et Horus; le quatrième contient ? , et le cinquième ? et ? . Au delà de la dernière porte, une déesse se tient debout.
Sur l'autre rive, divisée de la même manière, se trouvent d'autres dieux, plus nombreux, mais moins connus. D'abord, dans la première chambre,.le serpent Mehen, les flèches du soleil et le dieu Neb-Rokhitou, à tête de bélier ; la deuxième renferme Nouit, To et Sebek ; les deux suivantes, chacune quatre génies sous forme de momies, et la dernière quatre uræus dressées sur le signe des étoffes. Au delà de ces cellules se tient le dieu Nou.

NEUVIÈME HEURE

Avec le neuvième pays infernal, nous arrivons dans des contrées qui, si elles ne sont guère plus faciles à comprendre pour notre esprit moderne, nous sont connues par un bien plus grand nombre de variantes et d'éditions diverses. C'est avec cette heure que commencent les scènes figurées sur tous les papyrus un peu complets que nous possédons.
Ce n'est plus ici un cimetière de dieux, quoique nous retrouvions bien des choses qui rappellent le sujet de l'heure précédente et sont en rapport avec les cérémonies prescrites dans le rituel funéraire : tout d'abord les signes des étoffes sur lesquels sont juchés douze personnages momifiés, et en face d'eux, douze uræus crachant des flammes ; cette dernière contrée osirienne veut aussi que ses habitants y soient en vertu des rites bien exécutés. Tandis que les premiers démasquent leurs faces, au passage du soleil, pour lui rendre hommage, les uræus éclairent toute la zone, dévorent les impies qui s'y sont glissés et se nourrissent de leur sang.
Plus loin, au registre supérieur, douze femmes debout sont animées par les paroles magiques de Ra et transmettent à Osiris la vie et la force, et vis-à-vis d'elles, sur l'autre rive, conduits par un Horus momie, debout sur les sables de l'Hadès, une série de neuf personnages tenant à la main des bâtons tordus représente les fellahs, les cultivateurs du nome. Ici, la barque n'est plus ni remorquée ni halée: elle vogue de nouveau en pleine eau, mue par les rames de douze divinités stellaires qui, faute de place sur la barque elle-même, ont été représentées devant elle, marchant et tenant à deux mains leur aviron. Devant ce cortège de matelots, trois grandes corbeilles portent, les deux premières des momies d'épervier à tête humaine et à tête de bélier, la troisième, une vache couchée. Ces trois choses sont des images de l'abondance qui règne en cette contrée de l'autre monde, dont les habitants reçoivent de Ra lui-même les provisions dont ils ont besoin, par l'entremise de ces bizarres personnages. Les mânes sont aussi abreuvés par les rameurs qui, à leur passage, les aspergent du bout de leurs avirons. – En avant des trois corbeilles, un dieu momie personnifie une fois de plus les offrandes divines.

DIXIÈME HEURE

Le Soleil, redescendant vers le Sud, se trouve, à partir du dixième nome infernal, en pleine contrée héliopolitaine, dans un pays qui porte le nom de la nécropole de cette ville, l'Agarit. C'est Ra lui-même qui en est le prince réel, sous sa forme de Khepra, qui va peu à peu s'unir au dieu mort, et enfin le supplantera pour se lever resplendissant. La barque solaire semble de nouveau avancer toute seule, précédée d'une longue procession. Tout d'abord, l'épervier noir dans les replis d'un serpent ex-traordinaire dont les deux extrémités se relèvent pour se terminer chacune par une tête surmontée d'une des couronnes de l'Egypte et regardant deux déesses coiffées de même ; il est monté sur deux paires de jambes humaines marchant en sens inverse et représente un des décans du ciel égyptien, chargé de précéder le soleil jusqu'à son lever. Plus loin le serpent ? , chargé de surveiller les ténèbres de cette contrée, s'allonge dans une pirogue, et devant lui s'avance tout le cortège des génies qui précèdent le dieu pour anéantir ses ennemis, divisé en trois groupes de quatre personnages, les premiers armés de flèches et portant un disque solaire en guise de tête, les autres munis de javelots et d'arcs.
Le registre inférieur nous fait comprendre le nom d'abîme des eaux donné à cette zone. C'est le Nou, l'océan céleste, qui est figuré dans la plus grande partie de cette contrée, et nous y apercevons une douzaine de personnages, nageant ou flottant dans diverses positions, au travers de ses eaux. Ils sont surveillés par un Horus qui, debout et appuyé sur un bâton, leur donne par ses paroles magiques, la vie et la force de se soutenir au-dessus des eaux du Nou. Plus loin, une tête de Set « le vigilant » montée sur un sceptre, est suivie de quatre déesses qui ont la tête surmontée de serpents chargés d'éclairer Afou dans les ténèbres jusqu'au lever du soleil.
Sur l'autre rive, au registre supérieur, tout d'abord le gros scarabée noir de Khepra, sous la garde d'un génie, prépare sa naissance en poussant devant lui une boule de sable dans laquelle il a enfermé l'œuf d'où il renaîtra, image très abrégée du Douaout. Plus loin, les deux serpents Manen, adossés et portant sur leurs têtes le disque solaire, sont flanqués de deux déesses enfants, assises sans sièges et portant les deux diadèmes égyptiens; plus loin, deux femmes dans la même position adorent un disque solaire posé sur une grande hache fichée en terre. Les quatre déesses de ces deux groupes ne sont autres que les âmes des serpents et de la hache, qui en sortent pour accueillir les mânes arrivant avec le dieu, et rentrent après que le cortège a défilé. Ensuite, un dieu cynocéphale momie est assis sur un trône, tenant à deux mains un grand oudja, vers lequel s'avancent deux groupes de quatre déesses, dont le rôle est d'examiner l'œil d'Horus, de juger s'il est en bon état, et de le protéger. En avant se trouvent encore deux groupes de génies, les uns marchant, les autres momifiés, destinés, comme tant d'autres, à suivre le soleil et à le débarrasser de ses ennemis.
Primitivement, la dixième et la onzième heure de la nuit ne formaient qu'un tout de représentations qui étaient pour les Héliopolitains le résumé de leurs doctrines sur l'Enfer. Autant que nous pouvons en juger, leur Hadès n'était pas divisé en douze heures, car nous voyons la plupart des génies qui remplissent ces deux tableaux, chargés d'accompagner le soleil jusqu'à son lever; peut-être, par contre, retrouverions-nous les traces d'une division de la nuit en quatre parties, dans les nombreux groupes de quatre personnages qui s'y trouvent. Ce n'est que plus tard, quand les prêtres thébains compilèrent — avec les doctrines de toute l'Egypte, — leur grand guide funéraire, qu'ils placèrent ce domaine, divisé en deux, à la place géographique que le soleil occupait à ce moment de la nuit, d'après leurs théories.

ONZIEME HEURE

Le caractère de cette contrée se rapproche beaucoup de l'idée moderne de l'Enfer : avec ses morts cuisant dans des fournaises sans cesse attisées, elle forme bien la contre-partie du nome précédent où les justes — ou plutôt les justes de voix — nagent paisiblement dans des eaux fraîches.
Ici la barque s'avance à la lueur de l'astre Posdit, gros disque rouge qui est venu se fixer sur la proue. Le halage recommence : il ne se fait plus avec une corde, mais au moyen d'une des formes du serpent Mehen lui-même dont la queue se fixe à l'avant de la barque et dont le corps s'allonge indéfiniment au-dessus de douze personnages qui chacun le saisissent à deux mains ; ils s'avancent, portant Mehen, jusqu'à la limite de l'heure, puis rentrent dans leurs demeures ténébreuses. Ils sont précédés par les deux couronnes, rouge et blanche, de l'Egypte, portées sur le dos de deux uræus : ces couronnes sont douées d'une âme qui, au passage de Ra, se montre sous la forme d'une ou de deux têtes humaines. En tête du cortège marchent quatre déesses, des formes de Neith : Neith enfant, Neith reine de la Haute-Egypte, Neith reine de la Basse-Egypte et Neith fécondée.
A l'extrémité du registre supérieur se tient un dieu à deux têtes portant chacune un des deux diadèmes, le dieu muni de ses faces. Devant lui marche sur deux paires de jambes humaines, un serpent portant sur son dos deux grandes ailes blanches que saisit un dieu placé derrière lui, la tête surmontée d'un disque llanqué de deux oudjas. Le serpent, c'est le corps du dieu Toum, et le personnage, c'est son âme, qui apparaît au passage du soleil. Le même phénomène se produit pour le grand serpent rouge qui vient ensuite, accompagné de dix étoiles, et qui n'est autre que la constellation Shodou (12) dont l'âme se montre « pour jeter les vies au soleil ». Plus loin une série de dieux, un à deux têtes, un Khnoum, et neuf autres dont la plupart sont sans bras, ont un rôle dans les mystères du dieu pour cette heure. Enfin huit uræus, réunies par couples, servent de siège à quatre déesses, dont la nature est à demi terrestre, à demi infernale : si leurs corps sont encore dans l'Hadès, leurs têtes sont à la surface de la terre, et elles abritent leur figure avec leur main contre le vent frais qui souffle au lever du soleil. Cette représentation nous montre une fois de plus l'extrémité des enfers à une place autre que la lin de la douzième heure, où elle devrait naturellement se trouver, si l'ouvrage que nous avons entre les mains n'était pas une compilation de plusieurs livres distincts.
Sur l'autre rive nous voyons ce qui donne à ce nome son nom de « bouche du cercle qui juge les corps ». C'est bien le jugement des impies que ces six brasiers, où des corps humains, des membres, des ombres, subissent le martyre du feu. Chaque bûcher est gardé par une déesse armée d'une épée flamboyante et vomissant des flammes; seule la dernière fournaise n'est pas surveillée et ne brille plus : elle renferme quatre personnages entièrement anéantis, renversés la tête en bas. Appuyé sur un bâton et brandissant son sceptre, Horus dirige ces tourments, et devant lui Set, sous la forme d'un serpent, attise les brasiers en y jetant les flammes de sa bouche.
Plus loin s'avancent quatre déesses, portant sur la tête le signe des pays ? d'où s'échappent, pour deux d'entre elles, des flammes; elles représentent probablement quatre quartiers de cette zone, et correspondent aux quatre déesses portant des uræus, qui terminent le registre inférieur, dans la zone des eaux qui précède. Derrière elles marchent encore un ou deux génies.

DOUZIÈME HEURE

De même que les prêtres thébains avaient mis comme préambule à leur grand ouvrage une première heure qui n'était probablement dans aucun des anciens livres réunis par eux, de même ils firent, pour terminer dignement la nuit solaire, un dernier portique, une aurore correspondant à leur crépuscule. Cette heure est conçue sur le même plan que les autres et continue le développement de leurs doctrines sur l'enfantement du soleil ; ce n'est plus le Douat proprement dit, c'est le ventre même de Nouït qui en fait la conclusion ; cette contrée qui unit le ciel et l'enfer est donc la plus importante de toutes, sinon la plus ancienne ; si nous ne la retrouvons qu'exceptionnellement figurée sur les sarcophages et les textes monumentaux, c'est sans doute qu'on la réservait pour l'écrire sur papyrus et la mettre ainsi plus près encore de la momie; bien des dévots d'Ammon, trop pauvres pour pouvoir emporter dans la tombe un exemplaire entier du Livre de ce qu'il y a dans l'Hadès, se procuraient au moins une copie plus ou moins complète des figures de cette heure, et c'est pourquoi nos musées en contiennent un si grand nombre d'exemplaires, la plupart écrits à la hâte et peu importants.
Le gros scarabée noir de Khepra est venu se poser à l'avant de la barque, qui maintenant ne vogue plus sur le fleuve, mais doit passer tout au travers du corps d'un gigantesque serpent, la Vie des dieux, entrant par sa queue pour ressortir par sa bouche. C'est dans ce reptile, image du renouvellement, grâce à la faculté des serpents de changer de peau tous les ans, que Khepra va se substituer à Afou, l'âme au corps mort. Pour effectuer ce passage, la barque est halée par douze personnages, des dévots de Ra, qui après avoir traversé avec lui tout l'enfer, vont renaître aussi, rajeunis, à l'Orient, passer la journée sur la terre à faire ce qui leur semblera bon, et venir au soir se remettre sous sa protection. Apres que la barque est sortie de la bouche du serpent, pour atteindre l'extrémité de l'Hadès, dont les murailles viennent se rejoindre en demi-cercle, douze dévotes d'Ammon Ra viennent remplacer les haleurs. Elles le traînent jusqu'au moment où, arrivé au terme de sa course, la momie d'Afou est jetée dans un coin comme un objet inutile, contre la muraille, tandis que seul, le scarabée s'envole vers Schou qui va le faire renaître et le placer, soleil resplendissant, sur Mâdit, la barque du matin. Du dieu Schou, l'on n'aperçoit que la tête et les deux bras étendus, tandis que le reste de son corps est sur terre ; il préside à l'enfantement du soleil qui sort, sous forme d'un scarabée, entre les jambes de Nouït, dans de nombreuses représentations.
Les deux autres registres sont ici fort peu importants et leur population a bien l'air d'y avoir été mise pour remplir un espace vide. Au registre supérieur sont deux séries de douze personnages, dont les premiers, sous la forme de déesses portant sur leurs épaules des serpents à l'haleine enflammée, voyagent avec Ra, le conduisent et repoussent Apophis, tandis que les douze génies qui suivent lui adressent des acclamations. Ces deux groupes correspondent parfaitement à deux des groupes de la première heure, les uræus qui doivent éclairer Afou, et les invocatrices : c'est sans doute, sous une autre forme, les mêmes personnages.
En face, d'abord Nou et Nouït, Hehou et Hehouït, divinités présidant à la naissance du soleil, puis deux groupes de quatre dieux armés de rames, défendant Ra contre Apophis et soulevant le disque à l'horizon oriental, sont séparés par un serpent qui se dresse, crachant des flammes. Enfin, dix adorants récitent des prières.